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» opérer tyranniquement fur les loix auxquelles il ne » s'étend point? La puissance législative dénonce une » peine contre les assemblées : supposons que ce soit » une loi tyrannique, l'acte d'envoyer des ambaffa» deurs peut-il être un moyen d'exécuter tyrannique»ment cette loi? «<

Il prétend enfuite que ces ridicules idées font celles de M. de Montefquieu, qui s'est mal énoncé; mais qui a voulu dire que la puissance législative » défend les affemblées privées : cette loi eft fuppofée » tyrannique. Si la puiffance légiflative fe trouvoit » jointe à l'exécutrice, celle-ci pourroit exécuter tyranniquement les peines portées par cette loi; parce » qu'en ce cas la volonté fe trouveroit combinée à la » force. De même, fi la puissance judiciaire se trouvoit » jointe à la législative, les jugemens ne fuivroient pas > tant l'efprit de la loi, ou fon équité, mais la volonté » & les vues particulières de celui qui l'a faite; le juge » feroit législateur. Voilà, dit enfuite cet interprète, » comment il faut entendre M. de Montefquieu ; & ce qu'il dit prouve évidemment qu'on ne peut l'expli» quer d'une autre façon, à moins d'en ôter tout le fens, & de tomber dans l'abfurde «.

Ainfi notre critique, pour relever M. de Montef quieu de l'abfurde dans lequel il prétend que ce grand

homme étoit tombé, fait difparoître la puiffance qui appartient à chaque état de fe rendre, ou de fe faire rendre la juftice qui lui eft due en conféquence du droit des gens; &, pour cet effet, il confond le droit des gens avec le droit civil. Il dit que, » fui- « vant que l'objet des affaires étrangères fe rapporte « à la fimple volonté ou à l'exécution, il tombe fous « la puissance législative, ou fous l'exécutrice. Par « exemple, faire la paix, en tant que contracter, eft « un acte de fimple volonté, qui ne peut tomber fous « la puiffance exécutrice «.

Sous quelle puiffance cet acte tombe-t-il donc ? Ce n'eft pas fous celle qu'il plaît à l'annotateur d'appeller judiciaire. Eft-ce fous la puissance législative? Mais elle ne peut jamais être relative qu'au droit civil. Un fouverain, quel qu'il foit, ne peut jamais faire des loix que pour les états. Reste done la puiffance exécutrice, dans le fens que M. de Montef quieu l'a définie. Deux fouverains contractent enfemble: : ce n'est pas à l'autorité du droit civil qu'ils foumettent leur contrat ; il n'y a point de loix civiles qui leur foient communes : c'est donc le droit des gens qui doit infpirer & maintenir leurs accords : ils font donc, en traitant ensemble, ufage de la puiffance exécutrice dont parle M. de Montesquieu, & dont

chaque fouverain eft revêtu. Si l'un des deux manque à fes engagemens, celui qui fera lèfé appellera à fon fecours les autres moyens qu'il tient de la puiffance exécutrice.

Ces deux paffages fuffifent pour faire connoître l'ouvrage dont il eft ici question, & pour perfuader aux Libraires que le public leur fçaura gré de n'avoir pas chargé cette édition de ces notes ridicules.

Au refte, elle eft entièrement conforme, quant au corps de l'ouvrage, à celle de 1758, qui avoit été faite fur les corrections de M. de Montefquieu luimême. On a fait quelques changemens à la Table des matières. On s'étoit propofé, en la rédigeant, de rassembler, fous chaque mot, toutes les vues de l'auteur, & de présenter son systême fur chaque chofe. Quelques-unes de ces vues étoient échappées au rédacteur; il les a employées : il s'étoit trompé fur quelques objets; il s'eft rectifié. Enfin, il a donné une nouvelle forme & un nouvel ordre fur quelques articles, pour donner plus de jour à la matière. On fe flatte que le public fçaura gré de ces attentions.

ÉLOGE

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ÉLOGE

DEMONSIEUR

LE PRÉSIDENT

DE MONTESQUIEU,

Mis à la tête du cinquième volume de l'ENCYCLOPÉDIE, par M. d'ALEMBERT.

L'INTÉRÊT que les bons citoyens prennent à l'ENCYCLOPÉDIE, & le grand nombre de gens de lettres qui lui confacrent leurs travaux, femblent nous permettre de la regarder comme un des monumens les plus propres à être dépofitaires des fentimens de la patrie, & des hommages qu'elle doit aux hommes célèbres qui l'ont honorée. Persuadés néanmoins que M. de Montefquieu étoit en droit d'attendre d'autres panégyriftes que nous, & que la douleur publique eût mérité des interprètes plus éloquens, nous euffions renfermé au-dedans de nous-mêmes nos juftes regrets & notre respect pour famémoire : mais l'aveu de ce que nous lui devons nous eft trop précieux, pour en laiffer le foin à d'autres. Bienfaiteur de l'humanité par fes écrits, il a daigné l'être aussi de cet ouvrage; & notre reconnoiffance ne veut que tracer quelques lignes au pied de sa statue.

CHARLES DE SECONDAT, BARON DE LA BREDE ET DE MONTESQUIEU, ancien préfident à mortier au parlement de Bordeaux, de l'académie Françoise, de l'académie royale des sciences & des belles-lettres de Prusse, & TOME I.

a

de la fociété royale de Londres, naquit au château de la Brède, près de Bordeaux, le 18 janvier 1689, d'une famille noble de Guyenne. Son trifaïeul, Jean de Secondat, maître d'hôtel de Henri II, roi de Navarre, & enfuite de Jeanne, fille de ce roi, qui épousa Antoine de Bourbon, acquit la terre de Montefquieu, d'une fomme de 10000 livres que cette princesse lui donna par un acte authentique, en récompense de fa probité & de fes fervices. Henri III, roi de Navarre, depuis Henri IV, roi de France, érigea en baronnie la terre de Montefquieu, en faveur de Jacob de Secondat, fils de Jean, d'abord gentilhomme ordinaire de la chambre de ce prince, & enfuite meftre de camp du régiment de Châtillon. Jean Gafton de Secondat, fon fecond fils, ayant épousé la fille du premier président du parlement de Bordeaux, acquit dans cette compagnie une charge de préfident à mortier. Il eut plufieurs enfans, dont un entra dans le fervice, s'y dif tingua, & le quitta de fort bonne heure : ce fut le père de Charles de Secondat, auteur de l'efprit des loix. Ces détails paroîtront peut-être déplacés à la tête de l'éloge d'un philofophe, dont le nom a fi peu befoin d'ancêtres : mais n'envions point à leur mémoire l'éclat que ce nom répand fur elle.

Les fuccès de l'enfance, préfage quelquefois fi trompeur, ne le furent point dans Charles de Secondat : il annonça de bonne heure ce qu'il devoit être ; & fon père donna tous fes foins à cultiver ce génie naiffant, objet de fon espérance & de fa tendreffe. Dès l'âge de vingt ans, le jeune Montefquieu préparoit déjà les matériaux de l'efprit des loix, par un extrait raisonné des immenses volumes qui compofent le corps du droit civil: ainfi autrefois Newton avoit jetté, dès fa première jeuneffe, les fondemens des ouvrages qui l'ont rendu

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