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CHAPITRE II.

Des loix de la nature.

AVANT toutes ces loix, font celles de la nature; ainsi nommées, parce qu'elles dérivent uniquement de la conftitution de notre être. Pour les connoître bien, il faut confidérer un homme avant l'établissement des fociétés. Les loix de la na ture feront celles qu'il recevroit dans un état pareil.

Cette loi qui, en imprimant dans nous-mêmes l'idée d'un créateur, nous porte vers lui, eft la première des loix naturelles, par fon importance, & non pas dans l'ordre de ces loix. L'homme, dans l'état de nature, auroit plutôt la faculté de connoître, qu'il n'auroit des connoiffances. Il eft clair que fes premières idées ne feroient point des idées spéculatives ; il fongeroit à la confervation de fon être, avant de chercher l'origine de fon être. Un homme pareil ne fentiroit d'abord que fa foibleffe; fa timidité feroit extrême : &, fi l'on avoit là-dessus befoin de l'expérience, l'on a trouvé dans les forêts des hommes fauvages (a); tout les fait trembler, tout les fait fuir.

Dans cet état, chacun se sent inférieur; à peine chacun fe fent-il égal. On ne chercheroit donc point à s'attaquer ; & la paix feroit la première loi naturelle.

Le defir que Hobbes donne d'abord aux hommes de fe fubjuguer les uns les autres, n'eft pas raifonnable. L'idée de l'empire & de la domination eft fi compofée, & dépend de tant

(a) Témoin le fauvage qui fut trouvé dans les forêts de Hanover, & que en Angleterre fous le règne de Georges I,

l'on vit

d'autres idées, que ce ne feroit pas celle qu'il auroit d'abord.

Hobbes demande pourquoi, fi les hommes ne font pas naturellement en état de guerre, ils vont toujours armés? & pourquoi ils ont des clefs pour fermer leurs maisons? Mais on ne fent pas que l'on attribue aux hommes, avant l'établisfement des fociétés, ce qui ne peut leur arriver qu'après cet établissement, qui leur fait trouver des motifs pour s'attaquer & pour fe défendre.

Au fentiment de fa foibleffe, l'homme joindroit le fentiment de fes befoins. Ainfi une autre loi naturelle feroit celle qui lui infpireroit de chercher à fe nourrir.

J'ai dit que la crainte porteroit les hommes à fe fuir : mais les marques d'une crainte réciproque les engageroient bientôt à s'approcher. D'ailleurs, ils y feroient portés par le plaisir qu'un animal fent à l'approche d'un animal de fon espèce. De plus, ce charme que les deux fexes s'inspirent par leur différence, augmenteroit ce plaifir; & la prière naturelle qu'ils fe font toujours l'un à l'autre, feroit une troifième loi.

Outre le fentiment que les hommes ont d'abord, ils parviennent encore à avoir des connoiffances; ainfi ils ont un fecond lien que les autres animaux n'ont pas. Ils ont donc un nouveau motif de s'unir; & le defir de vivre en fociété est une quatrième loi naturelle.

CHAPITRE II I.

Des loix pofitives.

SI-TOT que les hommes font en fociété, ils perdent le fentiment de leur foibleffe; l'égalité qui étoit entre eux ceffe, & l'état de guerre commence.

Chaque fociété particulière vient à fentir fa force; ce qui produit un état de guerre de nation à nation. Les particuliers, dans chaque fociété, commencent à fentir leur force; ils cherchent à tourner en leur faveur les principaux avantages de cette fociété; ce qui fait entre eux un état de

guerre.

Ces deux fortes d'états de guerre font établir les loix parmi les hommes. Confidérés comme habitans d'une fi grande planette, qu'il eft nécessaire qu'il y ait différens peuples, ils ont des loix dans le rapport que ces peuples ont entre eux; & c'est le DROIT DES GENS. Confidérés comme vivant dans une fociété qui doit être maintenue, ils ont des loix dans le rapport qu'ont ceux qui gouvernent avec ceux qui font gouvernés ; & c'est le DROIT POLITIQUE. Ils en ont encore dans le rapport que tous les citoyens ont entre eux; & c'est le DROIT CIVIL.

Le droit des gens eft naturellement fondé fur ce principe, que les diverfes nations doivent se faire dans la paix le plus de bien, & dans la guerre le moins de mal qu'il eft poffible, fans nuire à leurs véritables intérêts.

L'objet de la guerre, c'est la victoire; celui de la victoire, la conquête; celui de la conquête, la confervation. De ce principe & du précédent, doivent dériver toutes les loix qui forment le droit des gens.

Toutes les nations ont un droit des gens; & les Iroquois

mêmes, qui mangent leurs prifonniers, en ont un. Ils envoient & reçoivent des ambaffades ; ils connoiffent des droits de la guerre & de la paix : le mal eft que ce droit des gens n'eft pas fondé fur les vrais principes.

Outre le droit des gens, qui regarde toutes les fociétés, il y a un droit politique pour chacune. Une fociété ne sçauroit subsister fans un gouvernement. La réunion de toutes les forces particulières, dit très-bien Gravina, forme ce qu'on appelle l'ETAT POLITIQUE.

La force générale peut être placée entre les mains d'un feul, ou entre les mains de plufieurs. Quelques-uns ont pensé que, la nature ayant établi le pouvoir paternel, le gouvernement d'un seul étoit le plus conforme à la nature. Mais l'exemple du pouvoir paternel ne prouve rien. Car, fi le pouvoir du père a du rapport au gouvernement d'un feul; après la mort du père, le pouvoir des frères; ou, après la mort des frères, celui des cousins germains, ont du rapport au gouvernement de plufieurs. La puiffance politique comprend néceffairement l'union de plusieurs familles.

Il vaut mieux dire que le gouvernement le plus conforme à la nature, eft celui dont la difpofition particulière fe rapporte mieux à la disposition du peuple pour lequel il est établi.

Les forces particulières ne peuvent fe réunir, fans que toutes les volontés fe réuniffent. La réunion de ces volontés, dit encore très-bien Gravina, eft ce qu'on appelle l'ÉTAT CIVIL.

La loi, en général, eft la raison humaine, en tant qu'elle gouverne tous les peuples de la terre; & les loix politiques & civiles de chaque nation ne doivent être que les cas particuliers où s'applique cette raison humaine.

Elles doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles font faites, que c'eft un très - grand hasard fi

celles

celles d'une nation peuvent convenir à une autre.

Il faut qu'elles fe rapportent à la nature & au principe du gouvernement qui eft établi, ou qu'on veut établir; foit qu'elles le forment, comme font les loix politiques; foit qu'elles le maintiennent, comme font les loix civiles.

Elles doivent être relatives au physique du pays; au climat glacé, brûlant, ou tempéré; à la qualité du terrein, à sa situation, à sa grandeur; au genre de vie des peuples, laboureurs, chaffeurs ou pasteurs: elles doivent fe rapporter au degré de liberté que la conftitution peut fouffrir, à la religion des habitans, à leurs inclinations, à leurs richeffes, à leur nombre, à leur commerce, à leurs mœurs, à leurs manières : enfin elles ont des rapports entre elles ; elles en ont avec leur origine, avec l'objet du législateur, avec l'ordre des chofes fur lesquelles elles font établies. C'est dans toutes ces vues qu'il faut les confidérer.

C'est ce que j'entreprends de faire dans cet ouvrage. J'examinerai tous ces rapports : ils forment tous ensemble ce que l'on appelle l'ESPRIT DES LOIX.

Je n'ai point féparé les loix politiques des civiles: Car, comme je ne traite point des loix, mais de l'efprit des loix; & que cet efprit confifte dans les divers rapports que les loix peuvent avoir avec diverses choses; j'ai dû moins fuivre l'ordre naturel des loix, que celui de ces rapports & de ces choses.

J'examinerai d'abord les rapports que les loix ont avec la nature & avec le principe de chaque gouvernement : &, comme ce principe a fur les loix une fuprême influence, je m'attacherai à le bien connoître ; &, fi je puis une fois l'établir, on en verra couler les loix comme de leur fource. Je passerai enfuite aux autres rapports, qui femblent être plus particuliers.

TOME I.

B

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