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pas bien à foy. Il ne s'en faut pas étonner Pouvoit-on attendre autre chofe d'une perfonne qui toute la vie avoit efté tenuë enfermée, & qui n'avoit jamais rien veu de ce qui fe paffe dans le monde, & pardeffus tout cela qui qui par une fatalité fecrette de la mauvaise humeur de fon pere avoit efté refferré dans une prifon plus rigoureufe que la pratique ne portoit à l'égard des Enfans du Roy? Pouvoit-il obferver la bien-feance qu'une action auffi importante que celle-là demandoit, luy qui n'avoit jamais oüy parler de rien de semblable, ny de quelle façon on proclamoit les Roys? Pouvoit-il garder une certaine pofture pleine de majefté, qui fans paroistre embaraffé euft fait toutes les chofes d'une maniere furprenante puis qu'on ne l'en avoit jamais inftruit auparavant; & qu'encore moins pou voit-il y avoir fait reflexion de

coup

luy-mefme? Ajoûtez à cela que ce jeune Prince paffoit tout d'un d'une extrémité à une autre: Il s'entendoit appeller le Maiftre du Monde, luy qui un peu auparavant fe trouvoit en une condition qui ne differoit gueres de celle des Efclaves. Il est vray qu'il jouïffoit de toutes fortes de commoditez dans fa captivité, toutes les delices des fens l'accompagnoient; mais ces delices fe changeoient en des tourmens par l'amertume que répandoit fur elles la crainte de la mort, Ou d'un cruel aveuglement qui le menaçoient à tous momens.

Ce que nous venons de dire le reduifoit déja affez à ne fçavoir ce qu'il devoit faire : Mais pour combien compterez-vous ce dernier affaut qu'il avoit nouvellement receu ? Combien d'images funeftes pensez-vous qu'avoient presenté à son esprit les clameurs épouvantables, les gémiffemens

forcenez

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forcenez de fa mere & de fes femmes, & des autres perfonnes du mefme fexe, qui avoient de l'amour pour luy? Son ame, pour imiter les façons de parler des Perfes fe trouvoit en l'eftat d'une mer, qui ayant esté agitée par un furieux vent, ne laiffe pas encore de faire mugir fes flots & d'en paroiftre troublée, quoy que l'orage ait ceffé, & qu'un autre vent contraire fe foit élevé à la place.

La Grande Ducheffe (car on donne ce nom aux meres des Princes de Perfe dés le moment qu'un de leurs fils eft devenu Roy) ne fe trouvoit pas reduite à de moindres extrémitez. On luy avoit rapporté les premieres paroles que le General des Moufquetaires avoit prononcées en fe jettant aux pieds de fon fils, & de moment en moment on luy venoit dire ce qui fe paffoit prés de luy mais la crainte & la douleur

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avoient tellement saisi son imagination, que les autres paffions n'y pouvoient trouver d'entrée. Elle demeura plus d'un quart d'heure fans vouloir écouter les grandes nouvelles qu'on luy recitoit elle refufoit obstinément de les croire ; & quoy qu'elle eût de fi grands fujets de joye, elle répandoit toûjours des larmes, & continuoit fes gémiffemens fuivant la maniere de celles de fon fexe, qui s'arreftent volontiers fur des objets affligeans & s'opiniaftrent à en conferver les idées. A la fin toutefois tant d'Eunuques luy vinrent rapporter les nouvelles affurées de la mort du Roy fon mary & de l'élection de fon fils, dont on preparoit le Couronnement, qu'elle commença à y prefter l'oreille & à faire diminuer fes craintes. Son ame cependant demeura encore fufpendue entre la joye & la douleur. Car fila bonne fortune de

fon fils & fon élevation au trône luy donnoient du contentement, la trifte mort de fon Epoux rappelloit fes larmes ; & comme ces deux paffions eftoient également puiffantes dans fon cœur, elles le tenoient en équilibre de forte qu'il ne pouvoit pancher ny d'un cofté ny de l'autre. Enfin la coûtume & la bien-feance l'emporterent: de forte que pendant un peu de temps elle retomba dans fes premieres agitations; elle déchira fes habits, appellant l'ame du deffunt & luy demandant, comme s'il euft efté prefent, quel fujet il avoit eu de quitter le monde & de la laiffer ainfi miserable, & d'autres plaintes de cette nature. Elles cefferent neanmoins lors qu'elle apprit que le Roy fon fils feroit bien-toft de retour auprés d'elle. Surquoy, apres qu'elPr le eut fait les luftrations ordinaires que la Loy ordonne, elle changea d'habits auffi-bien que

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