affemblée dans Ifpahan. Cependant, comme nous avons déja remarqué, tout alloit dans cette Ville fon train ordinaire; les bou. tiques eftoient ouvertes, les négocians traittoient leurs affaires dans les places publiques, & l'on tint les marchez jufques bien avant dans la nuit, les autres jours fuivans ce fut la mefme chofe, non feulement dans cette Capitale, mais par toute l'étendue de ce vafte Empire. Ce grand changement n'en caufa aucun dans la fortune ni dans la conduite de perfonne. Le calme fut toûjours tres-profond; dont on peut ap. porter deux raifons: l'une, la fageffe des Grands, qui fceurent avec tant d'adreffe cacher le trépas du défunt Monarque: l'autre, l'autorité abfolue des Rois de Perfe, & le terrible pouvoir que la fuperftition de ces peuples leur donne. A leur fimple commandement les plus grands mefme viennent apporter leur tefte, & se foûmettent au dernier fupplice fans ofer en demander le fujer. Tant-y-a que perfonne ne parut ni trifte ni joyeux; perfonne n'y avoit fait paroiftre le moindre figne de mécontentement. Ce n'eft pas, à mon avis, que plufieurs ne fe fiffent violence à celer leurs déplaifirs, de peur d'offenfer le nouveau Roy. Ils confideroient qu'Habas II.dont ils apprenoient la mort, s'eftoit rendu tres capable de gouverner; qu'il traitoit favorablement fes peuples; qu'il fe faifoit craindre au dehors, & procuroit au dedans l'abondance & la tranquillité, qu'il aimoit la juftice & prenoit garde que les Officiers n'abufaffent de leur autorité, & ne commiffent point d'oppreffions; que cependant une fecrette fatalité au milieu d'une fi belle course le venoit ravir dans l'âge parfait où l'esprit a toutes fes lu. mieres pour contres. Ceux qui reffentirent davantage cette affligeante nouvelle de la mort du feu Roy, furent les Chrétiens. Ce Prince avoit toûtjours témoigné beaucoup d'inclination pour eux, leur faifant des careffes extraordinaires & maltraittant les Gens de Loy & les Interpretes de l'Alcoran, lors qu'ils effayoient de l'envenimer contre ceux qui profeffoient nostre Religion. Ce qu'il a fait connoistre plus d'une fois, comme il a efté dit en fa vie. Jufques-là que les Armeniens fe difoient l'un à l'autre, qu'il eftoit plus chrétien que Mahometan. Ce n'eft pas qu'en effet il ne fût tres-affectionné à fa Religion, autant & peut-eftre davantage que les plus zelez de fes predeceffeurs: mais c'est qu'il n'eftimoit pas qu'il y cuft rien d'agreable à Dieu, ny de conforme à la raifon dans la violence. qu'un Prince exerceroit fur la liberté des créances; que pour estre Mahometan il n'avoit pas ceffé d'eftre homme, & que fi la Providence l'avoit élevé fur le trône, c'eftoit pour y vivre en Roy, & non pas s'y comporter en Tyran; qu'il n'y avoit rien de plus tyrannique ny de plus barbare que cette conduite, qui cho quoit non feulement le droit des gens, mais encore celuy de la nature, qui veulent l'un & l'autre que les hommes vivent dans la focieté, & que bien loing de fe nuire ils s'entr'aident par des of fices mutuels. Enfin qu'il n'y avoit que Dieu qui fût le Maiftre des confciences & le Roy des volontez ; que pour luy il n'avoit que la Politique & l'Eftat exterieur à gouverner, & qu'ainfi il devoit également la justice à tous fes Sujets quelque Religion qu'ils profeffaffent, puifque les uns & les autres eftoient membres de fon Eftat. Il demeura toute fa vie telle. ment perfuadé de ces chofes, que les Directeurs de la fuperftition Mahometane, quelques efforts qu'ils fiffent pour luy donner de l'averfion contre les Chrétiens, ne pûrent jamais rien gagner fur fon efprit. Il les confidera ou comme des emportez, qu'un faux zele rendoit incapables de raisonnement jufte; où comme des intereffez, qui fous le fpecieux pre |