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donnera de leur destin.

Le Corps des Grands du Royaume fe rendit à Ispahan en l'efpace d'une femaine, & trois femaines aprés le Couronnement du Roy. Les Ministres venoient les uns aprés les autres, affez en defordre, & le cœur rempli d'affliction: pas un deux ne fçavoit quel perfonnage il alloit faire en cette nouvelle Cour, dont pour tant chacun fe flattoit de faire encore partie. A-mesure qu'ils arrivoient, ils s'en alloient baifer les pieds du Roy, & luy faire le Moubarek-bached qui eft le terme ordinaire dont on ufe quand on veut feliciter une perfonne. C'est comme fi l'on difoit, que telle chofe vous tourne à benediction.

Sa Majefté à-mefure que chaque Grand l'avoit falüée, l'honoroit d'une calate ou vétement royal. Ce nom Persien fignifie en fon étymologie entier, parfait, accompli, pour témoigner ou l'ex.

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cellence de l'habit ou l'excellence de celuy qui le porte: car c'eft une marque infaillible de l'eftime particuliere que fait le Souverain de la perfonne à qui il l'envoye, & qu'il luy eft permis de s'approcher de luy avec confiance : & lors que l'Eftat change de Maître, les Grands qui n'ont point receu ce vétement n'oferoient fe presenter devant le Roy fans fe mettre au hazard de perdre la vie. Suivant cette couftume Sa Majesté en envoya entre plufieurs autres un tres-riche à Aga Mubarik, ce courageux Eunuque qui tout feul luy avoit mis la Couronne fur la tefte. Elle joignit à ce prefent un poignard garni de tres-riches pierreries. D'abord on croyoit le voir monter à quelque plus haut employ; mais il s'en défendoit toûjours avec beaucoup de fermeté : & de toutes les charges que le Prince luy presenta, il ne voulut que-la Surinten

dance des affaires qui touchoient la Princeffe fa mere.

Enfin, tous les Grands eftant arrivez, le Roy tint pendant plu. fieurs jours de fuitte, Mégélés, c'est à dire une affemblée de Seigneurs, où les mefmes qui avoient composé la vieille Cour fe trouverent pour compofer la nouvelle. Le premier jour chacun Y vint avec l'habit royal ou calatte, dont il avoit esté gratifié par fa Majefté. Mais le Nazir ou Surintendant general ne s'y trouva pas, parce qu'il n'avoit point efté honoré de ce vétement: & mefme quand il vit qu'à la feconde af femblée on ne le luy avoit pas envoyé, non plus qu'à la premie

re, il fe perfuada qu'on luy vouloit ofter la vie, ou du moins fon employ: qu'on avoit découvert à fa Majefté, qu'au temps de fon élection il avoit effayé de luy préferer fon jeune frere. Ce foupçon n'eftoit pas du tout éloigné de la

verité,

verité, parce qu'en effet l'on en avoit dit quelque chofe au Roy. Là-deffus il crut qu'il ne pouvoit mieux faire que d'aller luymesme porter fa tefte, fans attendre qu'on la luy vinft demander puifque s'il tafchoit de la conferver en se cachant, il la perdroit fans reffource,mais s'il avoit le courage de l'expofer par une genereufe foûmiffion aux volontez de fon Prince, peut-eftre qu'il la fauveroit. Il ne fe trompa point. Cette resolution hardie gagna le cœur de Sefié II. & toucha de compaffion jufques à fes ennemis & fes envieux. Car s'étant rendu à l'Assemblée publique, il fe tint debout dans le parterre parmi la foule des Officiers, ayant la teste baiffée & les yeux abatus contre terre, comme s'il euft eu honte de fe montrer. L'Affemblée demeura touchée de fon abatement, & quelqu'un des Grands qui ne luy vouloit pas

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de mal, le fut dire au Roy, demandant grace pour luy. Le Roy fut furpris de cette nouvelle, & envoya celuy-là mefme qui luy parloit, demander à l'Intendant general ce qu'il venoit faire là: Ie viens, dit-il, offrir à sa Majesté la tefte d'un coupable, & expier par mon fang le malheur que j'ay d'avoir attiré fur moy fon indignation. Le Roy luy envoya commander de fe retirer chez luy, où quatre jours aprés il fut honoré du vétement royal, comme les autres l'avoient esté, & d'une confirmation pour l'avenir des charges qu'il poffedoit. J'ay fceu de plufieurs gens de qualité & de fes parens mefme, que jamais tefte ne fut fi prefte de tomber : que la moindre parole qu'on euft lâchée contre luy eftoit capable de le faire perir. Mais fa bonne fortune ferma la bouche à fes ennemis: il ne fe trouva perfonne qui ofast ou qui vouluft le charger: & le

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