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les Perfes qualifient auffi Omrah, c'est à dire Prince, (car ce nom eft le plurier de Mir, diction arabe qui fignifie le mesme: les Vaziers ou Fermiers Royaux, que nous disons Vizirs, qu'on appelle ainfi de ce nom encore arabe, qui fignifie portans des fardeaux: enfin à tous les Gouverneurs & Officiers qui ont quelque commandement principal dans quelque Ville indépendante d'autre que du Roy, & cela fuivant la coûtume de Perfe, où le Souverain nouvellement regnant envoye à chacun de ceux qui poffedent des emplois de cette nature une patente qu'ils appellent Ragam & l'habit qu'ils appellent Kalat. Ces deux pieces maintiennent celuy qui les reçoit dans fon employ: & lors qu'il paroist en public revêtu de cet habillement, les peuples reconnoiffent par là que fon autorité luy eft confer

vée.

Cette commiffion a valu à ce Seigneur de grandes richeffes; car chaque Grand à qui il envoyoit ce commandement & cet habit, luy faifoit suivant la coûtume des presens tres-considerables: mais ç'a efté la ruine de fa fortune & de fa maison, comme nous dirons cy-deffous; ayant mal-ufé de cet ordre, parce qu'il envoyoit ces habits royaux plus ou moins riches, non pas felon le rang, la qualité & l'employ de chaque Seigneur particulier,mais felon la part que chacun avoit en fon amitié. Il en ufa de cette ma. niere envers le Vazier ou Fermier Royal de la Province de Mazenderan, à qui il en envoya un de peu d'importance, pource qu'il eftoit fon ennemi: non feulement

pour se vanger de luy par cette injure; mais parce qu'il jugeoit bien que la fafcherie & le dépit porteroient ce Seigneur à quelque extrémité qui avanceroit fa

perte, laquelle il defiroit de tout fon cœur. Cela arriva en effet: en voicy l'histoire.

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Ce Vazier de Mazenderan nommé Mir-za Hachem pendant la vie d'Habas II. eftoit fort bienvenu auprés de luy. Il n'y avoit point dans la Perfe une langue plus médifante il parloit des Grands au Roy avec une effronterie épouvantable, jufques à les charger d'injures: il appelloit le premier Miniftre, un buffle, le Surintendant, un menteur le fouverain Chef de la Iuftice, un fourbe achevé; pour le General des Mousquetaires, ce n'eftoit qu'un lafche & qu'un voleur: Et bien qu'Habas ne fift pas grand compte de tous fes difcours, neanmoins ceux qui y eftoient meflez apprehendoient toûjours qu'ils ne fiffent quelque impref fion dans l'efprit du Prince, & en vouloient à ce médisant un mal infini.

Le Roy qui eftoit tout fon appuy estant mort, le General des Moufquetaires dont nous parlons, qui tenoit le premier rang de crédit auprés du nouveau Prince, & qui avoit obtenu la commiffion d'envoyer aux Officiers Les habits voulut se vanroyaux, ger de luy, s'affeurant qu'il feroit un plaifir extrême aux principaux de la Cour.

Ainfi pour calatte ou vêtement royal il luy envoya un fimple habit qui ne valoit pas cinq cens livres, fe doutant bien que le Vazier feroit quelque extravagance qui le perdroit. Il n'y manqua pas; car eftant allé dehors pour recevoir cet habit & pour s'en revêtir, afin que le peuple reconnuft qu'il eftoit confirmé dans fa charge, dés qu'il l'eut apperceu, & qu'il eut veu qu'il n'eftoit de nulle confideration, il le jetta avec mépris, se doutant bien que c'eftoit une piece qu'on

luy joüoit & qu'on fe mocquoit de luy: mais fon efprit n'alla pas plus loin, & il ne crût pas qu'on luy dreffaft par-là un piege qui l'alloit faire tomber dans un abyf. me. Il n'ofa rentrer dans la ville avec cet habit; & craignant que le peuple ne le méprifaft s'il le voyoit fi-mal en ordre, & ne s'imaginaft que fon credit eftoit perdu, il fit venir de fon Palais un habit royal des plus riches & des plus magnifiques qu'Habas II. luy avoit donné autrefois, & s'en revêtit. Il fit ainfi fon entrée dans la Ville,faifant accroire qu'il venoit de le recevoir de la main du Monarque fon fils.

Toute la Cour ayant fceu cela, le General des Moufquetaires publia le premier que le Vazier de Mazenderan eftoit un chien, qu'il avoit jetté par terre l'habit que fa Majefté luy envoyoit,avec des paroles de mépris, jufques à dire qu'il n'avoit que faire des

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