faire que ce débit se pûst toûjours maintenir, il envoyoit aux bourgs, villes & villages des environs, jufques à la distance de huit à neuf journées, & obligeoit chaque lieu d'envoyer un certain nombre de charges de blé ou de farine à Ifpahan, & de l'y vendre le prix qu'il luy marquoit. Il en vint par ce moyen affez pour nourrir la Ville pendant fix mois. Lors que quelque quantité confirable arrivoit, l'on la faifoit entrer comme en triomphe, le peuple marchant devant avec les inftrumens de mufique, & les beftes de charge qui le portoient eftant couvertes de houffes & d'une infinité de grelots & de fonnettes, qui faifoient avec les cris de joye de la populace un bruit confus & affez plaifant.

Il y eut quelques villages qui vouloient faire les mutins, & qui refusoient d'envoyer des bleds: mais la punition des habitans

d'Ifpahanim-cha donna de la crainte à tous les autres. Le Generaliffime avoit dépesché en ce lieu qui eft un grand bourg de quatre mille maifons à deux lieuës d'Ispahan, un de fes Officiers avec un commandement du Roy portant ordre à ceux de ce bourg d'envoyer vendre en la ville capitale deux cens facs de farine pour la neceffité presente. Les villageois répondirent qu'ils ne s'informoient point de la difette des vivres qui pouvoit estre dans la ville:qu'ils avoient payé les droits & les impofts qu'ils devoient pour la recolte paffée : qu'ils n'avoient faire de que porter vendre leurs blez ni leurs farines à Ifpahan: que ceux qui en voudroient acheter, vinffent chez eux : & qu'ils n'entendoient point les vendre que dans leur bourg mefme. L'Officier remontra aux principaux, que la volonté de fa Majefté eftoit telle: il leur presenta

le commandement du Roy qu'il avoit dans les mains; & comme ils luy parloient avec trop peu de refpect, il mit l'épée à la main, penfant les reduire à la raison. Ces païfans qui n'entendoient point de raillerie fe jettent fur l'Officier, l'accablent de coups, & déchirent le commandement du Roy, difant qu'il eftoit contrefait & fuppofé.

Le Generaliffime indigné de cette rebellion en fit le rapport au Roy, qui luy commanda d'en faire le chastiment. Ce Seigneur envoya deux cens de fes gardes, qui donnerent des coups de bâtons jufques à l'excés aux principaux de ces païfans: il les condamna outre cela à une amende de cent mille écus, qui fut neanmoins reduite au tiers; mais ce fut aprés bien des prieres & des foûmiffions, & un prefent pour le Generaliffime de dix mille livres; tout cela payé comptant.

Le mefme Seigneur dans ce temps-là trouva moyen de se vanger d'un refus que les Armeniens luy avoient fait, & prit pour cela le prétexte de cette commiffion que le Roy luy avoit donnée de fournir Ifpahan de blé. Ces Armeniens font les Chreftiens nez dans Ifpahan. On les appelle ainfi parce qu'ils font originaires d'Armenie, d'où le grand Habas les tranfporta dans le cœur du Royaume à-prefent leur principale colonie est dehors l'enceinte de cette capitale en un lieu proche, & qui n'eft feparé de la ville que par le fleuve, comme il a déja efté dit. Les Perfes les appellent comme nous Armeni,pour la mefme raison. Ils appellent auffi les deux Armenies, l'une Armen la grande, & l'autre Armen la baffe. Haly-Kouli-Kaan au commencement qu'il arriva à la Cour ayant befoin d'argent pour former fon train & avancer fes

bastimens, & ne fçachant où en trouver, un jour que quelquesuns de ces Armeniens pour quelques affaires eftoient chez luy, il leur demanda lefquels de leurs gens eftoient les plus riches. Ceux-cy luy en nommerent cinq ou fix, & entre autres un Koga Zakara. Le Generaliffime fe fouvint de ce nom, & deux jours aprés un autre Armenien eftant venu pour luy prefenter quelque requefte, il s'enquit de luy s'il connoiffoit le marchand Zakara. Celuy-cy luy répondit qu'il le connoiffoit. Surquoy ce Seigneur luy commanda de l'aller querir. L'Armenien ne penfoit pas que le Generaliffime luy parlaft de ce riche Zakara que les premiers luy avoient nommé; mais d'un autre de ce mefme nom qui avec ses deux freres manioit l'argent du Roy, & qui a toûjours des fommes notables dans fes mains pour acheter dans les pays étran