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conceffions que les Rois prédeceffeurs leur avoient faites, en payant la fomme arreftée, ils eftoient exempts de tous les autres impofts. Le Roy répondit à la Princeffe: Hé bien foit,je la leur quitte. A l'inftant la Princeffe dépesche un Eunuque pour leur annoncer cette bonne nouvelle : mais l'Eunuque, foit par negligence ou autrement, ne les trou. vant point, ils n'apprirent rien de cette décharge que le Roy leur avoit fait.

Les principaux d'entre eux au nombre de quarante à cinquante dans cette ignorance apprehenderent que le Generaliffime ne les envoyaft prendre prifonniers, à caufe dequoy ils s'estoient refugiez fous le grand Portail de la Maifon du Roy, dit Haly-Kapi, c'eft à dire la porte haute, qui eft un afile pour tous ceux qui font poursuivis en justice, & où l'on ne peut prendre perfonne fans un Bb

ordre exprés du Souverain. Sur le foir comme fa Majesté fut retournée du Palais des femmes, au lieu où elle donne fes audiences, on luy vint dire que tous les Armeniens s'eftoient affemblez fous la porte haute avec beaucoup de tumulte, & qu'ils crioient contre le Generaliffime qui les vouloit mettre prifonniers. Le Roy répondit à cet avis qu'on luy donna: Que font-ils là ces Armeniens ? qu'ils fe retirent, qu'ils s'en aillent, ay pardonné, & je & je leur quitté cet impoft de farine auquel Haly-Kouli-Káán les avoit condamnez par mon ordre. Ce Seigneur eftoit là prefent, qui ne dit pas la moindre parole, quoy qu'en fon cœur il enrageaft d'avoir manqué à fon coup. Plufieurs Officiers qui estoient là coururent pour porter cette nouvelle aux Armeniens: mais pour leur malheur au lieu de fe retirer ils s'imaginerent que c'eftoit un piege que leur

je leur

ay

partie leur dreffoit: qu'il vouloit qu'ils fortiffent de cet afile pour les arrefter quand ils en feroient dehors: de forte qu'ils firent réponse qu'ils ne fortiroient point de là, s'ils ne voyoient un commandement confirmé du feau du Roy qui le leur ordonnast.

Les mefmes Officiers vinrent rapporter au Roy cette refolu. tion furquoy le Generaliffime prit la parole: Sire, luy dit-il nay-je pas eu fujet de reprefenter à Voftre Majefté que les Armeniens. n'eftoient que des chiens, d'un efprit rebelle, & qui n'eftoient qu'à regret foumis à votre empire? Ne voit elle pas clairement qu'ils méprifent fa parole Royale, à laquelle ils ne fe veulent point fier, ni obcir à fes ordres; ils veulent la contraindre de leur donner par écrit ce que fa bouche facrée a prononcé: A-t-on jamais ouy parler d'une pareille infolence? Tu as raifon, reprit le Prince, ils meritent ma difgrace & d'eftre punis;

qu'on leur aille tout-à-l'heure fendrè l'eftomac; ce font des chiens. Les Officiers fe mettoient déja en devoir d'executer le commandement du Monarque: mais le Generaliffime leur fit figne d'attendre un peu, & à mefme temps il fe jetta aux pieds du Roy pour demander la grace de ces malheureux. Car outre qu'il n'en vouloit point à leur vie, mais feulement à leur bourse, il jugeoit qu'une execution fi cruelle, & la perte de ces gens-là qui font induftrieux & habiles negocians, ne pouvoit estre que tres-dommageable à l'Eftat. C'est pourquoy il ajoûta: Sire, ils font indignes de la colere de Voftre Majeftés qu'elle leur faffe grace; ils feront affez punis quand on les obligera a payer quelque groffe fomme d'argent. Cela fera bien, dit le Roy: qu'ils apportent pour amende le prix de quatre fois la charge de farine qu'on leur avoit demandée. C'eftoit qua

tre mille Tomans ou deux cens mille livres. Auffi-toft par vne violence dont l'on n'avoit point encore veu d'exemple en Perfe, on arracha ces Armeniens de leur

afile qui jufques alors avoit esté eftimé inviolable, & on les mit entre les mains de leur Ennemi qui les envoya prisonniers dans un beau Palais dont autrefois le Mir-aab ou Prince des eaux avoit esté le maistre, où ils eurent ordre de fe tenir jusques à l'entier payement de la fomme à laquelle ils avoient efté condamnez.

Cette prifon les fit penser à eux, ils envoyerent le mefme jour vers le General le fupplier de les mettre en liberté, & qu'ils luy donneroient pour reconnoiffance les deux cens Tomans qu'il leur avoit premierement demandez, & que pour leur amende, ils affembleroient tout le bourg de Julfa, & le feroient contribuer à cette fomme imposée,

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