Images de page
PDF
ePub

"Ifpaham comme d'efpions pour luy mander toutes les affaires, & les intrigues de la Cour & du Royaume, ils ne manquoient point d'écrire à toutes les occafions, & pour lors prenant celles de la Caravanne, qui dans le Printemps va aux Indes, ils envoyerent des Lettres par cette Caravanne qui contenoient entr'autres chofes; qu'Aureng-Zeb, (c'eftoit le nom de ce Prince,) ne devoit point tarder davantage à attaquer la Perfe. Qu'une conjoncture la plus favorable qu'on auroit jamais peu defirer l'y convioit. Que rien deformais ne le pouvoit empefcher d'entrer victorieux jufques dans Ifpahan, puis qu'il n'y avoit fur le trône qu'un jeune homme fans experience & fans courage, plongé dans les débauches du vin & des femmes que celuy qui gouver noit tout fous luy eftoit un vieux Tiran, General d'armée; mais

qui pour fon grand aage n'eftoit plus propre à la guerre: qu'à l'égard des autres Miniftres, outre que ce n'eftoient pas des perfonnes de cœur ny de confeil, ils estoient dégoûtés du Gouverne. ment. Qu'avec cela il Y avoit dans le pays une extrême disette de toutes les chofes neceffaires à la vie, & fur tout dans la Capitalle que par tout on crioit contre le defordre & la mauvaise administration: qu'il couroit des bruits que de plufieurs parts la Perfe eftoit attaquée : qu'enfin les Indiens n'auroient jamais une plus belle occafion de faire des conqueftes en ce Royaume-là, ny de reprendre Kand-dar. Dans ces lettres eftoient enfermés les Portraits du Roy & des Principaux Miniftres & Officiers de I'Eftat, qu'à force d'argent, ces Indiens avoient eu d'un Peintre, pour les envoyer à la Cour des Indes, & les faire connoistre au

L

Monarque de ces pays-là.

Cette menée fut découverte par un petit esclave qu'avoit le Peintre. Car environ fix femaines aprés le départ de la Caravanne, fon maiître l'ayant battu avec excés il entreprit de s'en vanger d'une maniere au deffus de fon âge & de fa condition. II s'enfuit chez le General d'armée, & dit qu'il vouloit parler à luy en fecret. D'abord on ne le vouloit point admettre, ni aller interrompre ce Seigneur toûjours environné d'une foule incroyable de gens, & accablé d'une multitude d'affaires, pour un fujet qui fembloit de fi peu d'importance. Neanmoins comme il continuoit à demander qu'on le fist parler à luy, & qu'il avoit un grand fecret à découvrir qu'il ne pouvoit dire à d'autres; les gardes en donnerent avis au Generaliffime qui le fit venir en fa prefence; & luy ayant demandé ce qu'il luy vou

loit, l'Esclave répondit avec beaucoup de refolution que ce n'eftoit pas chofe qui se pûst declarer devant tant de monde : qu'il luy plûft de faire retirer ceux qui l'environnoient, ou le faire conduire dans quelque lieu fecret où il pûft s'entretenir seul à feul. Le Generaliffime fur l'heure n'en fit pas grande eftime, & l'on affeure qu'il fut trois jours chez luy, fans que ce Seigneur fe mift beaucoup en peine de l'interroger. L'Esclave persistant toûjours à dire qu'il ne reveleroit jamais fon fecret qu'à luy feul, enfin le General d'armée émû de sa perfeverance le fait venir dans un petit cabinet, où celuy-cy luy déclara que fon maistre avoit fait le portrait du Roy & de tous les Grands de la Cour, & qu'il les avoit vendus fecrettement à des Indiens pour les envoyer aux Indes: Que trois Dervichs ( on appelle ainfi les gens qui menent par

motif de Religion une vie pauvre) eftoient les porteurs des portraits: Qu'ils eftoient venus chez fon maiftre avec les Indiens; & que là ils les avoient cachez fous les haillons qui les couvroient: qu'il y avoit veu encore ferrer des lettres; mais qu'il n'en fçavoit pas le contenu: Qu'il l'affeuroit feulement que ces gens eftoient partis avec la caravane de Kand-dar. Le General d'armée ne fçavoit s'il devoit ajoûter foy à la dépo fition de cet Efclave: il l'éprouva tantoft par des menaces, tantoft par des promeffes, pour voir s'il ne l'ébranleroit point, & ne le feroit point varier; parce qu'il fe figuroit que ce pourroit bien eftre une impofture que cet Ef clave euft inventée: mais comme il le vit ferme & qu'il difoit toû jours la mefme chofe; qu'il l'affuroit mefme avec des fermens eftimez parmi eux les plus terribles; qu'il offroit fa tefte fi ce

« PrécédentContinuer »