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table & s'eftoit attiré une haine univerfelle: fi-bien qu'il apprehendoit justement de ne pouvoir refifter à tant d'ennemis. Il eft vray qu'il avoit les bonnes graces du Roy & du General d'armée mais c'eftoit tout, & il n'eftoit pas affeuré s'il pourroit s'y conferver encore long-temps. 11 fe perfuada que le meilleur parti qu'il avoit à prendre en une conjoncture fi fafcheufe, eftoit de fe retirer le plus loin qu'il pourroit de la Cour avec un pretexte fpecieux & plein de gloire. Et comme le Gouvernement de Kanddaar luy prefentoit cette occa fion fi favorable pour fon deffein, il penfa à fe le faire donner.

Pour cela il appuya fortement les faux bruits qui coururent de cette guerre que le Roy des Indes entreprenoit : il donnoit à fa Majefté des avis qu'il difoit eftre tres-affeurez, que l'Indien venoit affieger Kand-daar avec une puif

fante armée: que pour mieux faire reüffir fes deffeins & attirer à fon parti les yuz-beks, il leur avoit envoyé cinquante lacres de Roupies, qui peuvent estre sept millions de livres, à condition qu'ils fe declareroient contre la Perfe qu'Aureng-zeb mesme eftoit déja en campagne. Enfin, il fceut forger des fables fi apparentes & des terreurs fi probables, qu'on ne penfa plus qu'aux remedes qu'on pourroit apporter à des maux qu'on eftimoit fi proches & fi dangereux. Là-deffus il fait le fidelle Sujet & le paffionné pour fa patrie: il affeure qu'il veut eftre le Korban, comme ils parlent, c'est à dire le facrifice qui operera le falut du peuple, & qu'il ira luy-mefme à Kand-daar exposer fa perfonne & foûtenir les premieres attaques des ennemis. Il intereffe le General d'armée dans cette brigue, lequel d'ailleurs eftoit bien aise de luy rendre

la pareille & de se revancher du plaifir qu'il en avoit receu de la façon que nous l'avons marqué. Le Roy perfuadé par ces deux Seigneurs qui eftoient fes deux confidens, l'un le General de fes armées, & l'autre le General de fes esclaves, accorda à ce dernier ce qu'il briguoit avec tant de cha. leur, & luy donna la commission de lever du monde pour Kanddaar avec esperance d'en avoir le Gouvernement. Ce ne fut pas une petite joye à ce faiseur d'intrigues qui fe crût par là à couvert de toutes les mauvaises affaires que fon efprit inquiet luy

avoit attirées.

Nous avons dit ailleurs que de tout temps ce Seigneur avoit paffé pour un grand fourbe, & que fous Habas II.appuyé de la

faveur du Prince il avoit cent fois joué la Cour: qu'il prenoit en ce temps-là'de l'argent de tous ceux qui luy en offroient, leur pro

mettant de leur faire donner les charges & les emplois qu'ils demandoient; & qu'après l'avoir receu il ne fe fouvenoit plus de fes promeffes: qu'il prenoit plaifir de femer la difcorde & de mettre le feu par tout: qu'il inventoit des calomnies dangereuses contre fes competiteurs, & qu'avec un front d'airain il les debitoit au Roy comme des veritez tres-conftantes. Ce Seigneur au refte eftoit bienfait de fa perfonne, d'un grand courage & d'un grand efprit, adroit aux armes, liberal jufques à la magnificence; il euft pû paffer pour un des excellens hommes du monde, fans cette noire malignité dont il infectoit toute fa conduite; en un mot on ne vit jamais un compofé fi meflé de bonnes & de mauvaises qualitez.

C'eftoit par les bonnes qu'il gagnoit le cœur de ses Maistres, comme c'eftoit par les mauvaises

qu'il fe rendoit odieux & redou table à fes Egaux: & comme il entra dans l'efprit du jeune Sou verain, comme il avoit fait dans celuy de fon pere, il continua fous ce nouveau regne les mesmes pratiques d'auparavant.

Un des premiers tours de fourbe qu'il fit tomba fur Mir-za Ibrahim ou Abraham Vazier ou Fermier Royald Azour-beijan, qui eft la Me. die un des plus riches de la Perfe. Il tira de luy cinquante mille livres, & avec cela luy suscita une affaire qui luy fit perdre la plufpart de fes grands biens, & qui le fit tomber dans une disgrace dont jufqu'à-prefent il ne s'eft pû relever, & dont apparemment il ne se relevera jamais. Voicy comme la chofe fe paffa. Le General des Efclaves dans le deffein de tirer cette fomme de cinquante mille livres s'adresse au neveu de ce riche Fermier : car pour luy il eftoit à Tauris où il exerçoit fa

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