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charge. C'estoit un jeune homme fils de Mir-za Sadek ou Seigneur juste, auffi Vazier comme son frere de la Province de Fars qui est a Perfide, qui ne cedoit point à l'autre en richeffes. Ce jeune Seigneur avoit en Cour la charge d'Erbaëb-Tahuil, c'est à dire Chef Controolleur de tous les baftimens du Roy & des maifons d'Ifpahan. Un jour le General des Efclaves le tire à-part & luy tient ce langage: Que fait maintenant à Tauris ton oncle Mir-za Ibrahim? Pourquoy ne vient il pas à la Cour? Y-at-il quelqu'un plus propre que luy à remplir la charge de premier Miniftre? Mahammed- Mehdy qui l'occupe indignement n'eft qu'un buffle, & un innocent mal-propre au maniment des grandes affaires. Ie fçay de bonne part que le Roy veut donner fa charge à un autre : je ne connois perfonne plus propre à exercer un employ fi important que Mir-za Ibrahim; & je croy que fans beaucoup de Dd iiij

peine je l'y ferois entrer à la faveur de quelques prefens qui ne feroient pas excelfifs. Si tu me veux donner mille Tomans (qui font cinquante mille livres) je m'affûre de le faire au lieu de Vazier d'une Province. grand Vizir de toute la Perfe, c'est à dire premier Ministre.

Ce jeune Seigneur luy répondit qu'il y fongeroit, & dans le moment qu'il l'eut quitté il en. voye en diligence un Courier à fon oncle, qui luy porte la propofition du General des Efclaves. Celuy-là par le mefme Courier renvoye ordre à fon neveu de donner à ce General la fomme qu'il demandoit, ce qu'il executa auffi.toft. Là-deffus un autre Courier arrive à Ifpahan de la part de Mir-za Ibrahim. Ce perfonnage fe perfuadoit que fon

élevation au fouverain Ministere eftoit affeurée, & cela d'autant plus qu'en effet il en eftoit digne, pour s'y faciliter l'entrée, il

&

demandoit par ce Courier permiffion à fa Majefté de luy venir baifer les pieds: qu'en fon abfence fon fils exerceroit fa charge; & qu'ainfi le fervice de fa Majefté n'en feroit point diminué. Les Miniftres qui ne fçavoient rien de l'intrigue, ne crûrent pas que cette permiffion de venir baifer les pieds du Roy pûst beaucoup nuire à leurs interefts, ni qu'elle dûft fervir de base à un deffein plus important. Ainsi sa requeste fut aisément octroyée, & on luy envoya un commande. ment pour pouvoir venir & laisser fon fils en la place.

Pendant que ces Couriers alloient & venoient, un certain bruit fourd arriva jufques aux oreilles du jeune Seigneur neveu de Mir-za Ibrahim, que le General des Efclaves Gemchid-Kaan eftoit fur fon départ pour Kanddaar. Il s'en informe plus exactement; & comme il eut reconnu

que cela n'eftoit que trop vray; il fongea aux mille Tomans qu'il avoit délivrez à ce General au nom de fon oncle, qui s'en alloient estre perdus s'il n'y prenoit garde. Il s'en alla donc rendre vifite au General des Efclaves, & par quelques termes de civilité il le fit fouvenir de la promeffe qu'il avoit faite de rendre à fon oncle de bons offices auprés de fa Majefté pour l'établir premier Miniftre, & de la fomme qu'il luy avoit mise en main en cette confideration: qu'il avoit appris que luy General des Efclaves alloit quitter la Cour, & qu'ainsi l'affaire eftoit defefperée, du moins fi elle avoit à reüffir, ce ne pouvoit plus eftre par fon moyen: qu'ainfi il le fupplioit de luy rendre les cinquante mille livres qu'il avoit receus. Le General des Efclaves ne témoigna point d'être choqué de cette demande. Il répondit que cela eftoit raifonna

ble, & que dans un certain temps il luy reftituëroit cette fomme. Ce temps venu il le remit de la mefme forte plufieurs fois de jour à autre. Le neveu de Mir-za Ibrahim le preffoit, & ne laiffoit paffer aucune occafion: il luy parfoit neanmoins tout-bas, de peur de faire éclater un fecret qui eftoit capable, s'il euft efté fceu, de renverser la maison de fon oncle & la fienne. Enfin le General des Efclaves fe laffa de le remettre tant de fois; & comme il fe trouva au bout de fes fineffes, & qu'il ne fçavoit plus quels détours il devoit prendre, il fe refolut, pour se délivrer des pourfuites de cet importun folliciteur, de rompre avec luy fans marchander davantage. Un foir lors qu'il eftoit preft de commencer fa priere, pour enfuitte fe rendre à la Cour, (car les Mahometans ont accoûtumé de faire leurs prieres en public) ayant apperçeu ce jeu

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