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précations, que le Géneral n'apportoit qu'un ordre tres-avantageux pour le Prince, n'avoient pû rien gagner fur l'efprit de la mere ni des autres femmes, quand l'Aga Nazir se resolut d'aller luymefme en perfonne effayer à les defabuser. Mais dès qu'il se montra à la mere: qu'il commença en prononçant des fermens horri bles de vouloir faire croire qu'il n'y avoit rien de funefte à craindre, cette Princeffe tenant toûjours fon fils étroitement embraffé, s'écria: Et toy chien, es-tu aufi-bien que les autres messager de

mort.

Cette Princeffe defolée eftoit inconfolable; car tant plus on luy envoyoit de meffagers, plus on luy faifoit de fermens, & moins elle ajoûtoit de foy à ce qu'on luy difoit. Elle regardoit toutes ces chofes comme des artifices pour la furprendre, & pour la porter à confentir que fon fils fortift

fortift dehors où la mort l'attendoit. A la fin quelques filles des principales fe laifferent aller aux perfuafions de l'Aga, & aux horribles imprécations qu'il faifoit fur fa tefte, qu'il n'y avoit nul danger à craindre, & luy aiderent à tirer le Prince, mais pourtant avec quelque forte de violence, d'entre les bras de fa mere; qui reduite au desespoir, voyant qu'elle ne pourroit refifter aux efforts dont on usoit, bien qu'ac. compagnez de quelque refpect, & que ce cher gage luy alloit échaper, s'élança tout à tire le poignard que le jeune Prince portoit à fon cofté, & le prefentant au Seigneur Eunuque qui eftoit proche d'elle, & qui avoit pris le Prince par une main: Soit au nom de Dieu, luy dit-elle,allons. Mais pren garde à ce que tu fais & à ce que tu promets. S'il faut perir, fçache que toy-mefme le premier tu porteras la peine que ton menfonge &

coup,

ta trahison meritent. L'Eunuque accepta la condition, & confentit qu'on luy donnast la mort s'il arrivoit rien de funefte. Cela appaifa un peu cette Dame, fi-bien qu'elle rendit le poignard, & fouffrit qu'il fuft remis au costé du jeune Prince,

Alors l'Aga redoubla les fermens qu'il avoit déja faits, & les affûrances qu'il avoit déja données, qu'il n'y avoit nul peril; au contraire que tout eftoit plein d'heureuses efperances. Ce qui acheva de perfuader ces Royales perfonnes, autant qu'elles en eftoient capables dans une rencontre fi douteufe, à fe laiffer conduire où l'on les vouloit me

ner.

La mere accompagna fon fils jufqu'au dernier lieu, où il luy eftoit permis d'aller fans eftre veuë au dehors par la porte qui eftoit ouverte, & s'en retourna tres-affligée, foûtenuë de quel

ques-unes de fes femmes: & le Prince tout tremblant fut porté (pour ainfi dire) par le Seigneur Eunuque jufqu'au dehors du mier portail vers l'appartement des Eunuques noirs.

pre

Au moment qu'il parut dehors, le Géneral des Moufquetaires avec le Député du premier Miniftre, qui se tenoit un peu éloigné derriere luy, fe jetta aux pieds du Prince, & fit les trois inclinations ordinaires en touchant la terre de fon front: puis fe relevant fur les genoux le vifage baigné de larmes, qu'apparemment les plaintes des Dames avoient excité, ou que le fouvenir de la mort du Monarque, dont il apportoit la nouvelle, avoit attirées; luy fit entendre le fujet de fa députation en ces mots qu'il prononça à haute voix tres-distinctement: Que vostre glorieufe tefte foit toûjours faine. Le Roy du monde vostre pere Habas, à I ij

HELDE

BIBLIOTHE

DE

LYON

1894

LA VILLE

*

qui le Dieu des mifericordes vueille accorder une nouvelle augmentation de gloire, a trouvé fa place auprés de la bonté divine; & voftre treshaute perfonne a efté choisie pour luy fucceder, &a efté nommé le Lieu tenant du vray Souverain. Car c'est ce que veut fignifier cette diction Valié-Neamet, qui fut employée là, comme eftant l'épithete la plus ordinaire, auffi-bien que la plus fublime, que les Perfes ayent accouftumé de donner à leurs Rois, Car Valié dénote un Lieutenant fouverain: c'est à dire, un Prince abfolu dans fes Eftats, mais qui pourtant releve d'un autre Souverain. Il fignifie encore Mediateur,prefqu'au mefme fens; parce qu'un Lieutenant de cette nature eft Médiateur entre le Sei gneur dont il tient l'autorité, & le peuple auquel il diftribue les peines & les recompenses au nom de ce premier Maistre. Pour Neamet, il vient d'Inaam qui fignifie

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