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LA DÉCOUVERTE DE L'AFRIQUE AU MOYEN AGE

CHARLES DE LA RONCIÈRE. La Découverte de l'Afrique au Moyen Age. Cartographes et explorateurs. Ouvrage publié sous les auspices de Sa Majesté Fouad Ier, roi d'Égypte. Tome I: L'Intérieur du continent; tome II: Le Périple du continent [Mémoires de la Société royale de géographie d'Égypte, tomes V et VI]; in-4°, 175 et 147 pages, 37 planches, Le Caire, 1924 et 1925.

S. M. Fouad Ier a toujours aimé la géographie; il ne l'a pas oubliée depuis qu'il est devenu roi d'Égypte. C'est grâce à sa libéralité que l'ouvrage de M. Charles de la Roncière sur la découverte de l'Afrique au Moyen Age peut se présenter avec un luxe de bon goût. Parfaitement imprimé au Caire par les soins de l'Institut français d'archéologie orientale, il est orné d'une abondante illustration, qui consiste surtout en reproductions excellentes de cartes conservées à la Bibliothèque nationale ou dans d'autres grands dépôts. Car l'auteur mène de front l'étude des voyages faits par des Européens aux xIII, XIVe et xve siècles, et celle de la cartographie, qui a enregistré les résultats acquis. De part et d'autre, il apporte une riche moisson de documents inédits ou fort peu connus, qu'il met en œuvre de la manière la plus heureuse. Ce livre est aussi attachant qu'instructif.

I

Ce qu'était le Soudan au Moyen Age, nous le savions, dans une assez large mesure, par des écrits arabes, et il faut bien dire qu'ils demeurent nos principales sources d'informations. L'islamisme, qui avait commencé à se répandre dans cette contrée au x1° siècle, avait créé des liens entre elle et le reste du monde musulman. Plus tôt encore, des marchands, venus de Berbérie et même d'Orient, avaient traversé le Sahara pour se rendre au pays des Noirs, là où l'on croyait retrouver, dans le Niger et dans le Sénégal, une tête et une branche du Nil: erreur héritée des anciens, qui, rencontrant des crocodiles, d'autres animaux et des végétaux nilotiques dans des rivières de l'Ouest africain ', s'étaient empressés d'identifier ces cours d'eau avec le grand fleuve d'Égypte.

1. Non pas au Soudan, mais au sud du Maroc.

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Dans les premiers temps du Moyen Age, surtout au Ix et au xe siècle, des souverains puissants, dont la domination s'étendait au loin, résidaient, à l'ouest de la boucle du Niger, à Koumbi, ville que l'on désignait d'ordinaire par un des titres royaux, Ghâna. L'hégémonie passa ensuite aux rois de Mali (ou Melli), seigneurs des Mandingues, qui, depuis le xi° siècle, eurent leur capitale à Niani, à droite du Haut Niger. Le XIVe siècle vit l'apogée de ce grand État nègre, avec Gongo Mouça (appelé aussi Mença Mouça), qui fit fastueusement le pèlerinage de la Mecque, et Souleïman, dont le célèbre voyageur Ibn Batoutah fut l'hôte. Ces princes tenaient une cour luxueuse, ils habitaient des palais, qu'avait construits un architecte de Grenade, ils échangeaient des ambassades avec les sultans de Fez. Quoiqu'on fût assez disposé à les regarder comme des parvenus, d'une éducation imparfaite, on avait pour eux les égards dus à leur opulence. L'or abondait dans leur royaume et ils en prélevaient la meilleure part. Devant leur demeure de Niani, se dressait, comme un symbole, une énorme pépite, conquise jadis à Ghâna; elle était percée d'un trou, auquel ils faisaient attacher leurs chevaux.

Ce qui attirait surtout chez eux les commerçants étrangers, c'était cet or, qu'on troquait sans peine contre des marchandises de mince valeur. Entre le pays de Mali et les royaumes de Fez, de Tlemcen, de Tunis, les caravanes sillonnaient le Sahara, passant, pour la plupart, soit par Sidjilmassa, dans le Tafilelt, au sud du Maroc, soit par Ouargla, au sud de l'Algérie, et poursuivant leur route par le Touat. « Comme le goudron, disait-on au Maghreb, guérit la gale des chameaux, ainsi la pauvreté trouve son meilleur remède au Soudan. »>>

Il

y avait dans ce Maghreb d'assez nombreux chrétiens: non seulement des soldats aux gages des souverains, mais aussi des commerçants, venus de Catalogne, de Provence, de Gênes, de Venise, et protégés par des traités. Naturellement, ce qu'on racontait sur les richesses du Soudan ne laissait pas ces gens indifférents : ils désiraient fort en prendre leur part, en s'abouchant avec des intermédiaires, voire même en s'aventurant loin du littoral. D'autres, messagers du Christ, tournaient de ce côté des ambitions plus désintéressées.

A la fin du XIIIe siècle et au début du xive, le fameux Ramon Lull, ce franciscain qui fut doué de beaucoup plus de science que de raison, rêva la conquête pacifique des musulmans. Il fit lui-même des essais d'apostolat en Berbérie, où sa prédication fut mal accueillie. Il souhaitait des conversions dans des pays plus éloignés encore, et de hauts dignitaires de

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l'Église partageaient ses illusions généreuses. Nous apprenons par un de
ses écrits que, vers 1283, un chrétien de race blanche reçut mission d'un
cardinal,
on ignore lequel, de se rendre au pays « où le fleuve de
Damiette prend sa source ». Cet homme rejoignit donc à Tabelbert (c'est-
à-dire à Tabelbala, entre le Tafilelt et le Touat) une caravane de six mille
chameaux, qui portait du sel au Soudan. Il parvint dans la région de Ghâna,
chez des nègres, « gens joyeux et très attachés à la justice », mais qui,
par malheur, adoraient le soleil, les étoiles, des oiseaux, des bêtes diverses,
surtout un dragon, auquel ils offraient des sacrifices dans une île, au milieu
d'un lac. Le cardinal, informé, s'entretint avec le pape et les autres cardi-
naux des moyens propres à tirer ces idolâtres de leurs erreurs. Le Sacré
Collège reconnut sans doute que l'entreprise serait ardue.

Mais des relations commerciales étaient possibles. Peu d'années après, un marchand de Gênes, qui avait séjourné à Sidjilmassa, donnait à Giovanni di Carignano des renseignements, dont ce prêtre faisait état dans son planisphère, exécuté vers 1320: ils concernaient des caravanes, convoyées à travers le désert par des hommes qui allaient la bouche couverte en tout temps, comme aujourd'hui leurs descendants, les Touaregs.

Il semble bien que ce fut aussi grâce aux Juifs que quelques connaissances sur l'intérieur de l'Afrique se répandirent alors en Europe. Il y en avait beaucoup dans les oasis du Sahara, et ils restaient en rapports avec leurs coreligionnaires des contrées méditerranéennes. Or, au xive et au xv siècle, exista, dans l'île de Majorque, une école de cartographes juifs, d'abord disciples, puis émules des Génois qui avaient exécuté les premiers portulans et planisphères. Le meilleur de ces artistes majorquins fut Abraham Cresques, qui mourut en 1387, et auquel M. de la Roncière attribue l'« Atlas catalan », un des joyaux de la librairie formée au Louvre par Charles V. On y voit représenté, à l'intérieur de l'Afrique, un roi assis, tenant une pépite d'or; auprès de l'image, une légende, qui se traduit ainsi : « Ce seigneur nègre est appelé Mussemelly [= Mouça de Melli], souverain des nègres de Gineua [= la Guinée, l'ancien royaume de Ghâna] c'est le roi le plus riche et le plus noble de toute la contrée, tant abonde l'or qu'on recueille dans son pays! » Et la carte indique les étapes de la route qu'on suivait depuis le Maroc, pour arriver au Melli. Une autre carte majorquine, plus récente, - elle fut faite en 1413 par un Juif converti, Mecia de Viladestes, est encore plus détaillée les oasis. Quant au roi de Melli, il est, en quelque sorte, de style: il figure sur ces cartes depuis la plus ancienne, datée de 1339; il apparaît encore

pour

au

XVe siècle, et jusqu'au xvre, non seulement à Majorque, mais sur des œuvres catalanes et italiennes, auxquelles les majorquines ont servi de modèles.

A ces documents, il convient de joindre une relation de voyage fort intéressante, rédigée en latin, que les cartographes contemporains n'ont pas connue et que M. de la Roncière a retrouvée dans un manuscrit du xv siècle. Elle fut envoyée du Sahara, en 1447, par un marchand génois, Antoine Malfant, à un autre Génois, son commenditaire. D'Honeïn, port de Tlemcen, Malfant était allé par Sidjilmassa à Tamentit, ville du Touat, où il s'était établi : ce qu'aucun Européen n'avait fait auparavant. Il fut d'abord l'objet d'une vive curiosité; puis on s'habitua à lui, et il put circuler sans avoir rien à craindre, pas même des propos désobligeants. Tamentit était alors un marché important, où se rendaient beaucoup de Maghrébins, et aussi des Égyptiens, même des « Indiens chrétiens », c'està-dire des Abyssins. Les Juifs jouaient le rôle d'intermédiaires et se faisaient payer fort cher leurs services. L'or restait le produit du Soudan qu'on venait surtout chercher et qu'on troquait contre du bétail, du cuivre, du sel, des objets fabriqués. Les caravanes étaient conduites par des «< Philistins », qui, la bouche et le nez couverts d'un voile, montaient sans étriers des chameaux blancs, très rapides. Ce nom de Philistins, que le Génois a entendu donner aux Touaregs, se retrouve dans des auteurs arabes, appliqué à des indigènes du Nord de l'Afrique. Il a pour origine un calembour, le mot guellid, qui signifie chef dans la langue des Berbères, ayant été identifié avec Djalout [= Goliath]: d'où la légende qui fit du géant philistin l'ancêtre de ce peuple. Sur les Philistins du Sahara, Malfant donne quelques détails, les uns très sujets à caution, les autres certainement exacts: par exemple, cette remarque que, chez eux, l'héritage d'un mort passe, non point à son fils, mais au fils de sa sœur, règle encore en vigueur, du moins pour les successions politiques. A Tamentit, notre marchand était logé chez le « maire riche », personnage, qui avait longtemps vécu au Soudan et dont le frère était le plus grand négociant de Tombouctou, «< cette ville auprès de laquelle passe le fleuve qui, traversant l'Égypte, arrose le Caire ». Il put donc recueillir des informations sur les États musulmans qui se succédaient de l'Océan jusqu'au lac Tchad; sur les nègres idolâtres qui vivaient plus au sud et qu'on accusait volontiers de moeurs bestiales; etc.

Voici maintenant le Florentin Benedetto Dei, que commanditaient les Portinari. C'était un grand voyageur. Il avait rapporté de Beyrouth un

SAVANTS.

serpent à cent dents et à quatre jambes; de Jérusalem, une ample collection de reliques, destinées à sa sœur et à ses cousins; sur le marché d'Oran, il avait vu offrir des singes et des guenons, les pattes liées comme des poulets. Il affirme aussi qu'il est allé en 1470 — à Tambettu [= Tombouctou], où l'on faisait beaucoup d'affaires, en y vendant de gros draps, des serges et des étoffes à côtes, fabriqués en Lombardie. Il se peut que Benedetto dise la vérité, quoiqu'il ne donne point d'autres détails sur cette expédition, dont il aurait eu le droit de s'enorgueillir; il ne prétend même pas qu'il en ait ramené quelque curiosité de choix, pour faire pendant à son serpent de Beyrouth.

Avec la fin du xve siècle prirent fin ces rapports, directs ou indirects, entre l'Europe et le pays des Noirs. Les conquêtes des Portugais en Berbérie, suivies de celles des Espagnols, exaspérèrent les haines contre les chrétiens à ceux-ci fut dès lors interdit l'accès des régions dont les musulmans restaient les maîtres. D'autre part, les Juifs des oasis s'étaient fait détester par leur arrogance et leur rapacité; en 1492, on en fit un grand massacre. A la même époque, leurs coreligionnaires étaient expulsés d'Espagne. Cette double tempête brisa les liens séculaires qui avaient sans doute profité à la science, par l'intermédiaire des cartographes majorquins.

Vers le début du xvre siècle, Hassan, fils de Mohammed, un Maure de Grenade qui avait été élevé à Fez, accompagna, tout jeune encore, une ambassade marocaine au Soudan; il recueillit des informations assez copieuses. Quelques années plus tard, il fut pris en mer par des chrétiens et, ayant été baptisé, devint Jean Léon l'Africain. Il rédigea en italien une description de l'Afrique, qui obtint une juste célébrité et qui, pour la contrée des Noirs, fut, pendant près de trois siècles, l'unique source de ce que savaient les Européens. Il y eut bien, en 1590-1591, une expédition qui alla conquérir Tombouctou, pour le compte du sultan du Maroc, et à laquelle participèrent plusieurs centaines de renégats, originaires de la péninsule ibérique. Ces bandits ne se souciaient que de tuer et de piller. Ils révélèrent aux nègres quelques mots espagnols, qu'ils échangeaient souvent, entre autres ceux qui signifient : « Tranche-lui la tête ! » Mais l'Europe n'ouït guère parler de leurs tristes exploits. Elle dut attendre les voyages de Mungo Park, de René Caillié, de Denham, de Clapperton, de Barth, pour connaître enfin ce Soudan, qu'elle avait entrevu au Moyen Age.

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