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Féconomie des moyens de transports accroît dans une proportion donnée la quantité des voyageurs, mais un entrepreneur de diligences qui n'au rait pas d'autres bénéfices que ceux qu'il attendrait de l'avilissement des prix, consommerait bientôt sa propre ruine. Il est très rare, au contraire, à moins d'être privé complétement d'expérience, de voir un nouveau service s'établir sur une route, s'il ne doit pas facilement se soutenir et même prospérer sans le secours d'une baisse sensible.

Ce qui détermine presque toujours à monter un servive, c'est la surabondance notoire des voyageurs relativement aux moyens de transport; ce sont les demandes fondées du commerce et du public; ce sont de nouvelles voies de communication, ouvertes et non exploitées, etc. (1).

Les deux Compagnies ont émis sur cette question, des idées bien contraires aux nôtres, mais comme nous n'avons pas la prétention de leur faire abandonner un faux principe, derrière lequel se réfugient des mesures que nous condamnons hautement, nous aurons atteint le but que nous nous proposons, si les personnes de bonne foi sous les yeux desquelles passera cette brochure, partagent la profonde et loyale conviction qui nous anime.

Au mois de juillet 1837, la Compagnie Française monta un service de Paris à Bordeaux. Il n'en existait alors sur cette route que deux, journaliers, appartenant aux Messageries Royales et Générales. L'arrivée inopportune d'une troisième voiture devant, d'après le système des grandes Compagnies, produire le vide, les prix furent immédiatement diminués dans la proportion suivante, savoir:

Le coupé, de... 90 à 50 francs.
L'intérieur, de.. 80 à 40
La rotonde, de. 70 à 30-

La jbanquette, de 60 à 25

Plus tard, et pendant l'existence de ce dernier service, la Compagnie Royale en établit un nouveau, ou quatrième, sur la même route; mais, comme apparemment trois voitures pouvaient se maintenir à la seule condition qu'aucune d'elles n'appartiendrait à la Compagnie Française, dès que cette dernière interrompit son exploitation, les prix furent relevés successivement, et au mois d'août dernier le taux en fut porté, y compris les guides (2), jusqu'à

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(1) L'année 1835 a fourni 25,910 passagers, entre Boulogne et l'Angleterre, et vice versâ; 1836 en a donné 55,512, augmentation sur 1835, 29,602 passagers. En 1837, le nombre des passagers s'est élevé a 56,809; excédant sur 1836, 1.297. En 1836, impossibilité de trouver place

aux

es: En 1837, création du service de l'Aigle, pour remplir un besoin exigé par l'ac

énorme dans le nombre des voyageurs. Malgré cet accroissement, le 15 septembre 1887, au moment de la plus grande affluence, baisse simultanée faite par les deux compagnies : leurs prix sont réduits de 25 1. L'année 1838 donne 62,548 passagers, ou un excedant de 5,739 sur 1837: continuation de baisse, surtout en liver. En 1839, 56,856 voyageurs. En 1840, 52,807; diminution, 4,051 sur 1839, et sur 1838, 9,741, baisse plus forte; mais, chose étrange, au moment où le passage éprouve une diminution de 9,700 personnes, les deux compagnies montent chacune un nouveau service complet pour l'hiver, afin de rendre la baisse plus active, et d'arriver plus vite à la ruine de mon service.

(Note de M. Zacharie, propriétaire du service de l'Aigle, de Boulogne à Paris.) (2) Les guides de chaque conducteur et le pourboire des cochers ou postillons sont géné ralement de deux centimes par kilomètre.

2*

Les exemples analogues ne sont pas rares: pour combattre avec plus d'avantage la Compagnie Française sur Châlon (Saône-et-Loire); afin surtout de prouver l'existence du vide, les Messageries Royales et Générales établirent un service, qu'elles supprimèrent plus tard, et les prix, descendus dans le plus fort de la lutte, savoir:

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furent remontés graduellement, jusqu'au mois d'août 1840, y compris les guides, savoir :

Le coupé, . à 68 fr.

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L'intérieur, à 58
La rotonde, . à 48
La banquette, à 48

Enfin, sur la route de Paris à Bruxelles, une nouvelle voiture fut mise en circulation dans l'année 1836, et les deux Compagnies, toujours, bien entendu, sous prétexte du vide existant, baissèrent les prix de 20, 30, 40 et 50 p. 0/0; mais après plusieurs années d'une guerre sans résultat, c'est-à-dire sans que l'entreprise particulière eut succombé, la quantité de voitures est restée la même, les prix ont été relevés à leur cours primitif et tous les services fructifient.

L'espèce d'armistice qui existe entre les deux Compagnies et certains établissements particuliers, n'a pas d'autre origine ni d'autre cause que la résistance vigoureuse qu'elles en ont éprouvée. De ce nombre sont principalement les entreprises suivantes :

Les Jumelles sur 8 routes;

Les Berlines des maîtres de poste, sur Nantes;

Les Diligences Arnoult, sur Troyes;

Id. Petit et Loisel, sur Caen;

Id. Sergent, sur Sens et Joigny;

Id. Darblay, Janse et Moreau, sur Orléans;
Id. Leloir et Peigné, sur Montargis.

D'autres entreprises au contraire, et le nombre se borne à quelquesunes en ce moment, ont été dans la dure nécessité de subir la guerre désastreuse des Messageries Royales et Générales depuis trois ou quatre ans, MM. Guérin et Zacharie se trouvent dans cette pénible position, sur les routes de Paris à Amiens et à Boulogne.

Afin de leur occasionner des pertes plus considérables, les deux compagnies se sont résignées à réduire les prix au taux le plus bas sur les six services qu'elles entretiennent ensemble de Paris à Boulogne, et à Calais; et, si l'on apprécie la différence pour elles, entre les pertes réalisées et les bénéfices qu'elles auraient pu et dû recueillir, dans le cas où elles ne se seraient pas acharnées à pousser la concurrence jusqu'à ses dernières limites d'exagération, on reconnaîtra facilement que cette différence, pour quatre années, n'est pas moins

de 600,000 fr.! Mais qu'importe aux deux grandes entreprises une pareille perte sur deux routes, lorsque trente ou quarante autres présentent des bénéfices considérables?

Pour qui n'est pas initié à tous les débordements de la concurrence, il y a des faits tellement incroyables, qu'il ne faut rien moins que des assertions positives pour y ajouter foi. Or, M. Zacharie a écrit à la commission des pétitions, que, dans le but de lui nuire et de le ruiner, les compagnies, ses rivales, transportaient par composition, des voyageurs de Boulogne à Paris à raison de 12 fr. tout payé, et que, déduisant de cette somme, 5 fr. donnés aux commissionnaires-racoleurs à titre de Trinckguelder, puis 5 fr. de guides pour le conducteur et les postillons, il restait 2 fr. à l'entreprise pour un parcours de 30 myriamètres (57 lieues) environ!

Des transactions de cette nature se font principalement pendant l'hiver, lorsque la quantité des voyageurs diminue; c'est le moment que les Compagnies regardent.comme le plus favorable pour anéantir leurs concurrents, afin que ceux-ci ne viennent plus les troubler pendant la récolte abondante de la belle saison.

Dira-t-on que les Messageries Royales et Générales n'ont jamais pris l'initiative de la baisse? Que l'on recoure aux déclarations consignées sur les registres de la direction des contributions indirectes, pendant la lutte avec les Messageries du Commerce, et plus tard avec les Messageries Françaises ! que l'on rapproche les registres, les feuilles des entreprises belligérantes, et l'on verra de quel côté a commencé le rabais!

Il faut donc en convenir franchement, la baisse, avec toutes ses combinaisons machiavéliques, n'est qu'un moyen d'arriver plus tôt à l'anéantissement d'une entreprise rivale, et certes nos arguments à cet égard ne resposent pas sur de vaines assertions: ainsi, par exemple, les deux Compagnies prétendront-elles que, dans le cours de la futte avec les Messageries Françaises, il n'y avait pas, autant de voyageurs pour trois voitures dans la belle saison, et surtont pendant les vacances, que pour deux voitures au cœur de l'hiver? eh bien! comparons les dates et les prix sur quelques routes :

STRASBOURG.

En juillet 1839. Coupé, 47 fr. Intér., 37 fr. Rot., 30 fr. Banq., 30 fr. En janv. 1841.

54 fr.

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48 fr.

LILLE.

En juillet 1839. Coupé, 26 fr. Intér., 18 fr. Rot.,

En janv. 1841.

40 fr.

35 fr.

RENNES.

En juillet 1839. Coupé, 30 fr. Intér., 25 fr. Rot.,

En janv. 1841.

-

44 fr.

40 fr.

CLERMONT-FERRAND.

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30 fr.

14 fr. Banq., 14 fr. 25 fr.

20 fr. Banq., 20 fr.
34 fr.
29 fr.

En juillet 1839. Coupé, 30 fr. Intér., 24 fr. Rot., 20 fr. Banq., 20 fr. En janv. 1841,

45 fr.

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38 fr. BORDEAUX.

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En juillet 1839. Coupé, 60 fr. Intér., 50 fr. Rot., 40 fr. Banq., 40 fr. 80 fr, - 70 fr. - 60 fr.

En jany. 1841.

55 fr.

En juillet 1839. Coupé, 46 fr. Intér., 37 fr. Rot., 83 fr. Banq., 28 fr. En janv. 1841.

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58 fr.

53 fr.

45 fr.

89 fr.

En présence de pareils chiffres, que devient donc le prestige de la baisse, remède si souverain, si infaillible contre le vide ?Quoi! durant la belle saison, durant les vacances de 1839, à une époque enfin où vous avez constaté vous-mêmes que toutes les voitures se trouvaient sans cesse complétement pleines, vos tarifs étaient, en moyenne, de plus de 30 p. 100 (y compris les guides, il est vrai) au-dessous du taux auquel vous les avez fixés pendant l'hiver de 1841; et lorsque pendant cet hiver, désastreux en messagerie, vos diligences ne portaient que peu de voyageurs, vous n'avez pas recouru à votre talisman favori, a la baisse exagérée, pour en multiplier le nombre? Tous les doutes doivent donc disparaître devant de pareilles preuves, qui ne sont pourtant pas les dernières que nous ayons à produire.

Sait-on quelle est la meilleure manière de ruiner promptement son concurrent? La voici en peu de mots; la route de Bordeaux servira encore d'exemple :

Dans la lutte avec les Messageries du Commerce, et plus tard aver les Messageries Françaises, les prix ont été abaissés de Paris à Bordeaux, et vice versà, jusqu'à

50 fr. dans le coupé.
40 fr. dans l'intérieur.
30 fr. dans la rotonde.

25 fr. sur la banquette.

Il est reconnu en Messagerie que sur les routes où les relais s'obtiennent à bas prix (et celle de Bordeaux est particulièrement dans ce cas), les services à cinq chevaux reviennent, en moyenne, à environ 1 fr. 50 c. par kil. (12 francs par poste), en comprenant dans cette dépense générale, les relais et les droits de poste; l'entretien et le renouvellement des voitures, les contributions, douanes et octroi, les loyers, les traitements et remises des agents, enfin tout ce qui constitue les frais spéciaux d'une ligne.

On compte de Paris à Bordeaux, par Orléans, 56 myriam, 1 kilom (et anciennement 156 lieues, ou 156 postes par voyage.)

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Or, pour que la perte annuelle s'arrête à cette somme, par chaque service, il faut que le chargement en voyageurs et en marchandise soit toujours au grand complet, hiver comme été, sans possibilité d'augmenter la recette, qui, comme on le voit, ne peut dans aucun cas couvrir la dépense; mais si l'on veut créer à tout prix le vide, on maintient les prix au taux le plus bas, et l'on augmente la quantité des services. C'est positivement ce qu'a fait la compagnie Royale sur la route de Paris à Bordeaux, pendant la lutte avec les Messageries Françaises.

Pour rendre leur situation plus intéressante, les Messageries Royales et Générales s'attibuent toutes les améliorations survenues dans l'industrie des transports. Cherchant un exemple dans la rapidité de la marche, elles citent quelques routes sur lesquelles en effet la vitesse est arrivée à un degré satifaisant; mais elles devraient ajouter, pour être dans le vrai, que cette vitesse s'obtient presque exclusivement sur les lignes où d'autres voitures sont en concurrence de célérité avec les leurs, notamment sur Orléans, Caen, Rouen, le Havre, Boulogne, Bruxelles, tandis que sur les routes où les deux Compagnies sont seules, excepté sur Bordeaux, ainsi de Paris à Brest, à Strasbourg, à Mulhouse, à Lyon et à Toulouse, on fait moyennement 8 kilom. (2 lieues) à l'heure.

Il ne serait pas difficile de réfuter avec avantage les explications données par les Messageries Royales et Générales sur leur régime intérieur, sur les résultats qu'elles ont obtenus à diverses époques, sur la valeur de leurs actions; mais la question n'est pas dans ces détails; et d'ailleurs, comme nous ne saurions jamais assez le répéter, nous tenons essentiellement à la dégager de tout ce qui pourrait avoir le caractère et même l'apparence de personnalités.

La production faite par la Compagnie Royale, d'un état que nous rétablissons ci-après, contenant la prétendue moyenne du prix le plus élevé des places d'intérieur sur dix routes principales de France, depuis 1806 jusqu'en 1840, n'est pas plus convaincante que tant d'autres calculs péniblement élaborés pour conduire à la démonstration très contestable, de pertes ou de bénéfices plus ou moins importants. Les chiffres sont une arme fort dangeureuse en fait de discussion, aussi, la compagnie Laffitte s'est-elle montrée extrêmement sobre de ces sortes d'arguments.

Sans admettre, comme on l'a dit avec exagération, que depuis 1789, le prix des chevaux, des fourrages, des relais, de la construction des voitures publiques, et du salaire, ait triplé, nous convenons qu'il s'est opéré un certain accroissement de dépense dans la valeur de ces différents objets, mais nous soutenons en même temps, que l'on peut gagner autant et plus d'argent aujourd'hui, en transportant jusqu'à 20 voyageurs dans une diligence, non compris la marchandise, avec une marche de 12 kilom. (3 lieues) à l'heure, que l'on en gagnait, il y a cinquante ans, en conduisant, avec la même quantité de chevaux, 6 et 8 voyageurs, dans une espèce de voitures informes, pesantes, parcourant 10 à 15 lieues dans une journée (ce qui nécessitait l'emploi d'un matériel infiniment plus considérable), et présentant surtout le grave inconvénient de n'être jamais pleines, tandis qu'aujourd'hui, sur les principales routes, il est permis de baser les recettes sur le produi des trois quarts des places."

Il n'y a donc ni lle induction décisive à tirer de la différence des

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