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moment, échappant aux efforts de ceux qui voulaient la retenir, se jeta toute échevelée sur le corps inanimé de son époux, et puis aux pieds du Roi, en s'écriant, avec l'accent du désespoir : « Sire, j'ai une grâce à requérir de Votre Majesté, elle ne me la refua sera pas. Je vous demande la permission de retourner en Sicile. « Je ne puis plus vivre ici après la mort de mon mari (1). » Le Roi chercha en vain à calmer son désespoir; on la porta dans son carrosse à demi évanouie; on la ramena dans son palais, d'où elle voulut partir le lendemain pour Saint-Cloud, et y cacher à tous les yeux sa douleur.

Après cette scène, les princes prièrent le Roi de s'éloigner, « Je ne crains pas le spectacle de la mort, dit le monarque ; j'ai << un dernier devoir à rendre à mon fils. » Et, appuyé sur le bras de M. Dupuytren, il s'approcha du lit, ferma les yeux et la bouche du prince, lai baisa la main et se retira sans proférer une seule parole (2).

Charles-Ferdinand d'Artois, duc de Berry, que la France venait de perdre, était né à Versailles, le 24 janvier 1778. La révolution l'avait surpris au milieu de son éducation, dans le cours de laquelle il montrait beaucoup de goût et d'aptitude pour les arts. Sorti de France, réfugié d'abord à Turin, il fit huit campagnes à l'armée de Condé, où il s'annonça, par sa bravoure et ses talens, comme devant être un des meilleurs officiers de cavalerie de l'Europe. Forcé ensuite de chercher un asile en Angleterre, il y trouva des consolations dans la culture de ces beaux-arts qu'il avait aimés dans son enfance. Dès que l'heure de la restauration fut arrivée, il reparut en France où l'on eut à peine le temps de connaître et d'apprécier ses qualités chevaleresques. Il avait le teint coloré, les yeax bleus et doux, la lèvre forte, une taille moyenne et robuste. Il aimait les arts, les plaisirs, la chasse et la guerre ; il parlait presque toutes les langues de l'Europe, et dans son caractère vif, brusque et généreux, dans mille actions de sa vie privée, il rap

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pelait ce bon roi avec qui le genre de sa mort lui donne encore une funeste ressemblance.

A la nouvelle de cet attentat, qui se répandit, avec la rapidité de l'éclair, à Paris et dans les provinces, partout les plaisirs furent arrêtés, les affaires suspendues, les théâtres fermés et les tribunaux vacans. Un deuil universel sembla couvrir la France.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

Dès le matin du 14, une foule immense assiégeait les portes de la clambre des députés; la plupart se rendirent avec un crêpe au bras et à l'épée, tous portant sur leurs fronts l'empreinte de la douleur.

L'ordre du jour, publié l'avant-veille, annonçait la présentation d'un nouveau projet de loi sur les élections; mais on prévoyait bien que la chambre ne serait occupée que de la triste communication le gouvernement avait à lui faire

que

A peine avait-on achevé la lecture du procès verbal de la dernière séance, que M. Clausel de Coussergues, montant à la tribune, dit, d'une voix qui s'élevait en proportion des murmures qu'il excita dans la salle : « Messieurs, il n'y a point de loi qui fixe le << mode d'accusation des ministres ; mais il est de la nature d'une << telle délibération qu'elle ait lieu en séance publique et à la face « de la France. Je propose à la chambre de porter un acte d'accu«<sation contre M. Decazes, ministre de l'intérieur, comme complice de l'assassinat de Mgr. le duc de Berry, et je demande à développer ma proposition. A ces mots, un mouvement vio

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lent et spontané éclata dans plusieurs parties de la chambre, qui retentit des cris, à l'ordre, à l'ordre, M. le président fit cesser le tumulte, en déclarant qu'il n'avait accordé la parole à l'orateur, que dans l'opinion qu'il la demandait pour faire quelques observations sur le procès verbal, et passant de suite à la triste communication qu'on attendait, il lut la lettre par laquelle le président du conseil des ministres annonçait aux deux chambres l'assassinat de Mgr. le duc de Berry. -On n'a pas besoin de dire l'impression qu'elle produisit, ni de répéter les discours où quelques orateurs développèrent des sentimens que tous partageaient. On ne peut

s'arrêter qu'à ceux où se manifestèrent dès lors les passions des partis.

Ainsi M. de la Bourdonnaye appelle, en ces termes, la pensée de la chambre sur la source du mal et le principe du crime :

« Quel esprit un peu élevé, peut voir un assassin obscur sans haine personnelle, comme sans ambition, porter une main parricide sur le descendant de nos Rois, sur celui qui devait en perpétuer le sang, et cela dans la vue, hautement avouée, d'en tarir pour jamais la source, sans apercevoir dans cet horrible forfait le calcul déplorable d'une imagination exaltée par le fanatisme politique, qui sape chaque jour les fondemens du trône, pour élever sur leur ruine des pouvoirs nouveaux dont une philanthropie délirante a cherché la source dans la souveraineté du peuple, dans la puissance numérique de la multitude, dans le droit du plus fort enfin, contre lequel le contrat social fat rédigé, et l'ordre public institué.

A la vue d'un attentat si déplorable, la première pensée d'un corps politique doit être de détruire dans son germe un fanatisme qui conduit à des résultats aussi funestes, parce que ce n'est qu'en enchainant de nouveau l'esprit révolutionnaire qu'un bras de fer avait long-temps comprimé; ce n'est qu'en sévissant contre des écrivains téméraires, enhardis par l'impunité, que vous arrèterez les manœuvres scandaleuses et coupables qui commencent les révolutions, et excitent aux crimes les plus odieux.

< C'est par des mesures fortes et énergiques qui en préviennent le retour que les pouvoirs de la société doivent répondre à la communication du gouvernement; c'est la seule manière utile de délibérer.

En conséquence, M. de la Bourdonnaye demande que l'adresse à faire au Roi, exprime la volonté fortement prononcée de la chambre de coopérer avec énergie à toutes les mesures nécessaires pour

comprimer les doctrines pernicieuses qui, sapant à la fois tous les trônes et toutes les autorités, attaquent la civilisation entière et menacent le monde de bouleversemens nouveaux. »

Un témoignage unanime d'adhésion partit alors de la droite et da centre; mais le général Foy, en appuyant la rédaction de l'adresse, désire qu'elle soit tout entière consacrée à l'expression de la douleur qui absorbe tous les cœurs. «< Que d'autres idées, s'écrie-t-il, que d'autres prétentions n'aillent pas s'élever au milieu des douleurs publiques!... Sans doute le prince est regretté de tous les Français; il l'est surtout par les amis de la liberté parce qu'ils savent que les ennemis de tout ce qui est, se prévaudront d'un attentat affreux pour chercher à détruire les libertés Annuaire hist. pour 1820:

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qui nous ont été données, et les droits que la sagesse du monarque

a reconnus et consacrés. »

Ici, sur la motion de M. Corbières, qui fit observer que si toutes les adresses devaient être délibérées en comité secret, c'était à plus forte raison dans les circonstances actuelles où tous les cœurs avaient besoin de s'épancher librement, la chambre ferma la discussion publique. Les députés s'étant retirés dans leurs bureaux, nommèrent, pour faire l'adresse, une commission spéciale, où le côté gauche eut cinq voix, et l'adresse, rédigée sur-lechamp, fut adoptée séance tenante, à l'unanimité et présentée dès le même soir. Elle offrait à S. M. l'expression de la douleur de la chambre, le vœu de resserrer les liens qui unissent le peuple français à l'auguste maison de Bourbon, et «l'assurance que les députés étaient prêts à concourir avec autant d'énergie que de dévouement, dans l'ordre de leurs devoirs constitutionnels, (seule expression qui paraît avoir donné lieu à quelques débats dans le comité secret), aux mesures que la sagesse de S. M. jugerait nécessaires en de si graves circonstances. » Le Roi répondit à la députation qu'il voyait avec plaisir que la chambre était disposée à concourir à ses vues. « Homme par le cœur, Roi par devoir, ajouta S. M., elle ne doit pas douter que je ne prenne toutes les mesures propres à préserver la France des dangers dont l'attentat d'aujourd'hui ne m'avertit que trop. »

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CHAMBRE DES PAIRS.

L'adresse des pairs annonçait les mêmes dispositions à concourir aux mesures à prendre en témoignant toutefois que la chambre était arrêtée dans l'expression de ses sentimens par l'ordonnance qui, la constituant en cour judiciaire, ne lui permettait en ce moment que le langage de la douleur.

En effet, dans cette même séance, M. le comte Decazes venait d'apporter, en personne, une ordonnance royale qui constituait la Schambre des pairs en cour de justice, pour connaître de l'attentat commis. «< Jamais, disait-il, en finisant son discours, jamais crime plus grand ne fut déféré à un tribunal plus auguste, et ne pro

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toqua le religieux examen du premier pouvoir judiciaire de la société, qui n'aura besoin que de se défendre d'une trop juste indignation et de conserver le calme nécessaire aux magistrats pour juger le crime, et aux hommes d'État pour sauver la société des dangers qui la menacent. »

(15 juillet. ) Dès le lendemain la chambre se forma en cour judiciaire pour entendre le réquisitoire de M. Bellart, chargé de remplir auprès d'elle les fonctions du ministère public, contenant plainte contre le nommé Louis-Pierre Louvel, et contre ses complices, fauteurs et adhérens; et M. le chancelier commit pour assister M. Bellart, dans l'instruction du procès, M. le baron Séguier, pair de France, premier président de la cour royale du département de la Seine, et M. le comte Bastard de l'Étang, pair de France et président de la cour royale de Lyon. Nous reviendrons à ce procès.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

Le même jour la séance de la chambre des députés commença par une scène orageuse, suite naturelle de celle de la veille. Après la lecture du procès verbal, où il était dit que la chambre avait repoussé par un mouvement violent d'improbation la proposition faite hier par M. Clausel de Coussergues, M. le comte de Saint - Cricq exprima le profond regret qu'il avait éprouvé « de voir mêler à la manifestation d'une grande douleur publique un sentiment d'animosité particulière, et pour qu'il ne demeurât aucun doute sur le sentiment que MM. les dépatés ont partagé, il demanda que son expression fût constatée par une délibération spéciale et consignée au procès verbal. »

A cette proposition, plusieurs orateurs du côté droit (MM. de Castel Bajac, Cornet d'Incourt, Benoist), prétendent, au contraire, que le mot «improbation » soit retranché du procès verbal, soutenant qu'il n'appartenait à personne de traiter une proposition de téméraire et de calomnieuse, jusqu'à ce qu'elle eût été développée et soumise à la chambre. D'un autre côté, M. Couryoisier veut qu'on y substitue les mots : « la chambre a manifesté

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