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CHAPITRE VI.

ESPAGNE.

RÉVOLUTION. Complot des officiers de l'armée d'expédition. - Surprise de

l'état major et de l'île de Léon. — Attaque de la Cortadura. — Prise de la Caracca par les insurgés.-Mesures du gouvernement espagnol.-Dispositions du général Freyre. Conspiration dans Cadix.- Expédition de Riego. -Insurrection de la Galice. — Mouvemens à Madrid.—Incertitudes du cabinet. Défection générale de l'armée. —Proclamation de la constitution de 1812. -Affaire de Cadix.

POUR quiconque a bien observé la situation de l'Espagne, telle que nous l'avons déjà représentée ( Ann, pour 1818, p. xxxviii, 300, 309; Ann. pour 1819, p. 383, 384, 387, 390), la détresse de ses finances, la faiblesse ou la violence intempestives du gouvernement, les mécontentemens tous les jours signalés par des conspirations ou des brigandages, les revers éprouvés au dehors, les fléaux au dedans, l'état des finances, la dégradation de la marine et le moral de l'armée, une grande révolution était prochaine. Les tentatives faites par Mina, par Porlier, par Lascy, par le colonel Vidal, et surtout la conspiration du mois de juillet dernier, avaient élargi la voie révolutionnaire et laissé partout des appuis à des conspirateurs nouveaux. Les prisons de Valence, de Galice, de Grenade et d'Andalousie, regorgeaient de suspects, mais on ne produisait contre eux que des opinions, et telle est la nature des conspirations préparées par des opinions qu'échouées sous une forme, elles renaissent sous une autre.

,

A peine la peste avait cessé ses ravages à Cadix et dans l'île de Léon, qu'on reprit avec plus d'ardeur les préparatifs de l'expédition. Le ministre de la marine, Cisneros, pressait, lui-même, la réparation des vaisseaux d'escorte et des bâtimens de transport. Le nouveau général en chef, comte de Calderon, rappelait dans leurs cantonnemens les troupes que la peste avait fait disperser;

et avec les nouveaux renforts qu'il reçut à la fin de 1819, l'armée d'expédition, rassemblée entre Séville et Cadix (1), se trouvait encore composée de 15 à 18,000 hommes, dont 5 à 6,000 destinés à renforcer le général Morillo, allaient être embarqués, lorsqu'éclata cette révolution qui a bouleversé la face de l'Espagne, et changé ses rapports avec ses colonies.

Autant qu'on peut s'assurer de la vérité des faits dans des complots, dont chacun veut avoir la gloire quand ils ont réussi, il paraît que, dès le mois de novembre 1819, à l'époque où l'armée fut de nouveau réunie, plusieurs lieutenans-colonels, commandans de bataillons ou officiers d'un grade inférieur de l'infanterie et de l'artillerie, s'étaient secrètement entendus sur les moyens de renouer la conspiration du mois de juillet, étouffée par ses chefs (2). Ils étaient convenus de mettre à leur tête don Antonio Quiroga, lieutenant-colonel, qui, s'étant fait remarquer par son zèle dans l'insurrection, était encore en prison, ou plutôt en surveillance au couvent de Santo - Domingo d'Alcala de los Gazules; ils avaient remis l'exécution du projet au moment où l'expédition devait mettre à la voile, pour lui donner un puissant motif et un grand essor; et pour opérer cette révolution, ils avaient cru que dans l'état actuel de l'Espagne, il suffirait de quelbataillons et de leurs chefs pour décider le reste de l'armée. En conséquence, il fut arrêté, dans une des dernières conférences, entre les officiers résolus de tenter l'entreprise, que le

ques

(1) Elle était composée des régimens ( quelques-uns de 3 bataillons) du roi, du prince, de la princesse, d'Amérique, d'Espagne, de Séville, des Asturies, de Valence, d'Arragon, de Canaries, de Guadalaxara, de Cordoue, de Catalogne, de la couronne, d'un corps de sapeurs et mineurs, d'une brigade d'artillerie et d'un corps de cavalerie de choix.

(2) Une lettre écrite de Séville (3 octobre 1819) insérée dans le courrier espagnol ( no 15), qui se publiait à Londres, dit que le général O'donnell et son lieutenant Saarsfield étaient à la tête de l'insurrection projetée............. D'ailleurs, la défiance de la cour, la retraite forcée et les aveux positifs du général ont levé tout doute à cet égard.

1er janvier, don Raphaël del Riégo, commandant le second bataillon des Asturies, qui était à Las Cabezas de San Juan, marcherait sur Arcos de la Frontera, avec son bataillon et le second de Séville, stationné à Villa Martin, afin de surprendre le quartier général et l'état major de l'armée d'expédition, tandis que don Antonio Quiroga, sortant en même temps d'Alcala los Gazules, à la tête de deux bataillons (2o d'Espagne et de la Couronne), marcherait sur l'île de Léon, l'arsenal et Cadix, où l'on avait des intelligences. Au moyen de ces deux attaques faites simultanément, dans un espace de 9 à 10 lieues, on espérait se rendre maître de l'armée, de la marine, de la ville la plus riche de la péninsule, et en cas de malheur, d'un asile où l'Espagne avait déjà sauvé son indépendance.

Au jour et au lieu convenus, le lieutenant-colonel Riégo sortant du quartier, à la tête de son bataillon, harangue ses soldats, fait poser des sentinelles à l'entrée de Las Cabezas, se rend sur la place, et proclame la constitution des cortès de 1812, à laquelle lui et ses soldats vont ensuite prêter serment dans l'église, à neuf heures du matin; cette proclamation faite, il destitue les autorités, nomme des alcades provisoires, fait quelques provisions pour sa troupe, et se met en route, le soir, pour Arcos.

Arrivé le lendemain, à deux heures du matin, à un quart de lieue de cette ville, à la métairie du Terral, où s'étaient secrètement rendus des officiers de la place engagés dans la conspiration, Riégo fait halte afin d'attendre le bataillon de Séville, qui devait être parti de Villa Martin, pour le rejoindre, et agir de concert avec lui. Cependant, après avoir passé plus de quatre heures dans cette attente (le bataillon attendu s'était égaré ou avait été retardé par un temps affreux ), Riégo voyant le jour venir, inquiet de sa position, au milieu d'un pays couvert de troupes, dont il ne connaissait pas les dispositions, se décide à entrer dans Arcos, où se trouvait un bataillon des Guides plus fort que le sien. Il ordonne aux officiers chargés d'arrêter les chefs de l'armée dans leurs logemens, de partir avec leurs détachemens, et lui-même, avançant à peu de distance avec le reste

de son bataillon, se porte, pour appuyer leurs attaque's imprévues, ou leur retraite s'ils échouaient dans leur entreprise, sur une petite place à l'entrée de la ville. L'entreprise réussit au gré de ses désirs.

Le comte de Calderon, général en chef de l'armée expéditionnaire, les maréchaux de camp Blaise de Fournas et Stanislas Sanchez Salvador, trois brigadiers, quelques colonels, l'intendant de l'armée expéditionnaire, de Torres, le Corregidor de la ville d'Arcos, furent tous surpris et faits prisonniers dans leurs logemens, sans résistance. Riégo se fit remettre en même temps, par l'intendant de l'armée, le peu d'argent (12,000 ducats) qui se trouvait en caisse, à quoi il joignit bientôt un autre envoi fait de Madrid. Le bataillon des guides, qu'on n'avait pas eu le temps de mettre en défense, se joint aux insurgés; arrive celui de Séville, qui avait été retardé par le mauvais temps dans sa marche; les soldats fraternisent, et leur chef proclame la constitution et change les autorités municipales. Le lendemain, il court à Bornos, avec 300 homines, et entraîne le 2o bataillon d'Arragon.

Cependant, D. A. Quiroga, à qui Riégo avait déjà envoyé plusieurs officiers pour lui apprendre le succès de son entreprise sur Arcos, n'avait pu commencer au jour fixé la sienne sur l'île de Léon; le gonflement des rivières en avait rendu le passage impraticable. Ce n'est que le lendemain vers midi, que le bataillon d'Espagne, qui était en cantonnement à Alcala de los Gazules, sortit de la ville, et que Quiroga, échappé du couvent de Santo-Domingo, alla se mettre à sa tête, et se porta sur Medina, où il fut joint par le bataillon de la Couronne, comme on l'avait espéré.

Les chemins étaient mauvais, la route fut longue et difficile. Les insurgés n'arrivèrent au pont de Suazo que le 3, à neuf heures du matin. Il fut enlevé en quelques minutes par une compagnie de grenadiers de la Couronne, et on marcha sur San Fernando, où l'on surprit M. de Cisneros, ministre de la marine.

Le principal objet de cette expédition était de s'assurer de Cadix, où le général avait des intelligences, et qui n'avait pour

garnison qu'un bataillon de Soria, quelques troupes de la marine, et les milices urbaines. On sait qu'on ne peut y arriver, du côté de l'île de Léon, que par une langue de terre ou levée de cinq à six mille toises, coupée au milieu par une espèce de fort, appelé la Cortadura, qui ferme le chemin entre la baie et la mer. A l'entrée de la nuit du 3 au 4, le commandant du bataillon de la Couronne, don Rodriguez Vera s'y porta avec quatre compagnies, mais il fut accueilli par une fusillade qui lui tua plusieurs hommes, et le força de rentrer dans l'île.

De son côté, Riégo, impatient de ne point recevoir des nouvelles de l'entreprise de Quiroga, partit d'Arcos, emmenant les officiers généraux qu'il y avait enlevés et ses quatre bataillons; il se dirigea par Xeres où il proclama la constitution, et nomma des alcades, sur Puerto Santa Maria, où il fut joint par les officiers supérieurs O'daly, Arco de Aguero, et les deux frères San Miguel, échappés du château de Saint Sébastien de Cadix, et ils entrèrent ensemble dans l'ile de Léon, où l'on enferma les prisonniers d'Arcos au fort de Santi-Petri.

La population des pays parcourus par les insurgés, avait montré quelque intérêt à leur cause, mais peu de dispositions à les snivre. Leurs forces réunies ne s'élevaient qu'à sept bataillons incomplets (Asturies, Séville, Espagne, la Couronne, Arragon, Guides, et le bataillon du dépôt des Vétérans), auxquels on espérait bientôt joindre ceux du Prince et d'Amérique. Néanmoins, les officiers assemblés en conseil, résolurent d'organiser l'armée, dite nationale: ils déférérent de nouveau le commandement en chef à Don A. Quiroga, celui de la 1te division à Don R. Riego, et se distribuèrent les autres emplois en proportion des grades antérieurs, ou des services déjà rendus à la révolution.

Investi de cette qualité, Quiroga fit à son armée la proclamation suivante :

• SOLDATS,

< Placé à votre tête par le choix des officiers de l'armée, je vous parlerai avec la franchise qui doit régner entre des compagnons d'armes.,

Notre Espagne touchait à sa destruction, et vo're ruine aurait entraine

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