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CHAPITRE IV.

SUITE DES LOIS D'EXCEPTION.

Proposition pour le rétablissement de la Discussion et adoption de ce projet dans les deux chambres. - Mesures relatives à l'exécution des lois d'exception.

censure des journaux.

CHAMBRE DES PAIRS.

! (15 février.) La question de la liberté des journaux avait été traitée l'année dernière, d'après les principes généraux. Maintenant les principes sont soumis aux circonstances, et M. le comte Decazes, encore ministre de l'intérieur le jour qu'il vint proposer à la chambre des pairs le rétablissement de la censure à l'égard des journaux, la considéra comme une des mesures législatives que la nécessité commande et que réclament également « la sûreté du trône et le maintien de nos institutions les plus chères.

Si le crime lui-même et le sang de l'auguste victime qu'il a frappée ne parlaient pas si haut, dit S. Exc., les aveux ou plutôt les apologies de son infâme auteur nous auraient appris quels sont les fruits détestables des maximes funestes, des doctrines subversives de l'ordre social, des principes régicides, prêchés avec tant d'audace depuis que tout frein a été ôté à la licence des journaux. »

L'expérience a prouvé l'impuissance des jugemens; mais en proposant le rétablissement de la censure, le ministre ajoutait «< tous les actes du gouvernement et de l'administration continueront à recevoir la plus grande publicité. Ils seront librement appréciés. La loi proposée ne gênera point la discussion des matières politiques; elle préviendra seulement l'odieux abus qu'on en fait journellement dans des publications pleines d'audace ou de perfidie, qui attaquent à la fois toutes nos institutions, et la paix publique dont ces institutions sont la base. »

D'après ce projet, les journaux et les écrits périodiques ou sémipériodiques ne pouvaient paraître sans l'autorisation du Roi, et devaient être soumis, jusqu'en 1825, à une censure préalable, nommée et surveillée par une commission de trois pairs, trois députés et trois magistrats inamovibles..... Il ne reçut d'abord, à la chambre des pairs, qu'un accueil équivoque. Quelques-uns des membres de cet illustre corps, les plus dévoués aux intérêts du trône et de l'aristocratie ne dissimulèrent pas leur crainte, que sous l'influence du ministère d'alors on ne se servît de cette mesure contre le parti même qu'on supposait le plus disposé à l'appuyer, c'est-à-dire contre les royalistes. Au reste, sa présentation fut comme le dernier acte de l'existence ministérielle et législative de M. le comte Decazes, qui n'était plus à portée de le soutenir de son crédit, ni de son talent, lorsque le rapport en fut fait le 23 février, au nom de la commission nommée pour l'examiner (1).

M. le duc de Larochefoucauld, chargé de faire ce rapport, repoussa l'idée que le crime de Louvel, médité depuis quatre ans, eût été le fruit de la liberté des journaux, accordée seulement depuis neuf ou dix mois..... Il signala le danger des lois d'exception; mais il reconnut qu'il y avait eu quelque licence. dans la manière dont les journaux avaient usé de la liberté, qu'on avait eu à gémir de quelques jugemens rendus en cette matière, et « que les lois sur la répression de la licence étaient incomplètes, en ce qu'elles n'ont pas assez clairement caractérisé des doctrines pernicieuses que toute société doit repousser de son sein. »

Dans ces idées, le noble rapporteur exposait qu'il serait possible de porter remède à la licence des journaux par l'amélioration de l'organisation du jury, et par quelques dispositions additionnelles à la loi, par des saisies, etc., etc. Quant à la censure, «< idée

(1) Cette commission était composée de MM. le vicomte de Montmorency, le marquis de Pastoret, le duc de Larochefoucauld, le comte Boissyd'Anglas et le comte Daru.

dominante dans le projet de loi, mais destructive de la liberté de la presse, sans laquelle le gouvernement représentatif ne peut pas exister, les précautions qu'on prend pour l'améliorer avaient paru nulles ou du moins insuffisantes..... La commission censoriale, composée, comme elle doit l'être, par des membres pris en nombre égal dans les chambres des pairs et des députés et dans la magistrature, au choix du gouvernement, il suffirait qu'il en gagnât un seul de chaque chambre pour y avoir la majorité. D'ailleurs les commissaires distraits de cette surveillance par d'autres devoirs, ne pourraient avoir d'action sur les départemens. Enfin ni eux, ni les censeurs ne seraient responsables. » Frappée de ces abus et de l'impossibilité de remédier à la licence des journaux, sans sortir des voies constitutionnelles, la commission proposait de rejeter le projet loi.

Quatre orateurs se firent inscrire pour le défendre, sept pour le combattre, et huit pour y demander des changemens.

La discussion ouverte, M. le duc de Doudeauville, premier orateur inscrit pour parler en faveur du projet, expose que les principes désorganisateurs que la France propage, nous ramènent à la barbarie par l'excès de la civilisation, et tirant quelque consolation du malheur public, il espère « que si la mort d'un simple particulier (Kotzebuë) a sauvé l'Allemagne, celle d'un Bourbon sauvera la France: » il demande qu'on soumette aux dispositions de la loi nouvelle les caricatures et les pamphlets au-dessous de cinq feuilles d'impression..... M. le comte de Saint-Roman, opinant dans le même sens, croit que le silence conviendrait à notre situation politique, mais la loi proposée lui paraît encore insuffisante pour remédier au mal déjà fait. M. le marquis de ClermontTonnerre, insistant plus fortement à cet égard, n'hésite pas à signaler comme complices du crime affreux dont gémit la France, les doctrines pernicieuses professées dans les journaux et l'imprudent appui prêté à ces doctrines par le gouvernement. Suivant le noble orateur, le principe de la liberté de la presse se rattache au principe de la souveraineté du peuple; elle n'a jamais eu en France que de funestes résultats. Il impute à ses excès la chute des

gouvernemens qui se sont succédés depuis trente ans, et en conclut la nécessité d'opposer une digue à la licence des journaux. M. le marquis de Lally-Tollendal, tout en regardant l'adoption de la loi comme le plus grand sacrifice qu'on pût faire à la paix publique, y consent comme imposé par les circonstances; sacrifice dont le refus appellerait sur la chambre une immense responsabilité...........

Entre les orateurs inscrits pour parler sur le projet, M. le comte Germain appuya la suspension provisoire de la liberté des journaux, mais en attendant une loi plus sévère sur les abus de la presse. Dans ce discours, remarquable sous plus d'un rapport, il signalait les dangers de l'état de choses actuel, le défaut d'une majorité fixe dans les deux chambres, la nécessité de modifier la charte en quelques points, et d'en fortifier le principe aristocratique, reconnaissant d'ailleurs les avantages de la liberté de la presse dans le gouvernement représentatif et l'inconvénient de la censure, « qui ne prouve qu'une sécurité factice, et qui crée une dictature irresponsable. » Plus décidé sur le principe, M. le comte Desèze demandait qu'on ajoutât à la censure « une loi répressive contre les délits de la presse, une loi conservatrice de l'ordre social, une loi protectrice de la religion, dont on n'a pas même voulu prononcer le mot, dit-il, et dont il eût fallu confier l'application aux tribunaux seuls, non à l'institution du jury. » Le même orateur regrettait que l'on soumît à la censure les journaux « qui ont combattu pour les principes conservateurs de l'ordre social, que les nations étrangères ont recueillis par estime pendant qu'elles fermaient rigoureusement leurs barrières aux journaux infectés de libéralisme. »

D'un autre côté, M. le duc de Broglie, regardant toute mesure provisoire comme inutile et dangereuse, aperçoit le principe du mal moins dans l'insuffisance de la loi que dans la négligence de son exécution. M. le comte Lanjuinais croit qu'elle est trop récente pour qu'on puisse la taxer d'insuffisance; M. le duc de Praslin regarde la mesure proposée comme inconstitutionnelle au fond et dans la forme, contraire à la prérogative royale, et aux droits des citoyens, sans qu'aucun amendement, aucune

modification pût la mettre en état d'être adoptée par la chambre ; enfin M. le comte Daru, qui parle le dernier des pairs inscrits repoussant les accusations intentées contre la liberté de la presse, " pour des abus qui, dans son opinion, naissent de toute autre cause,» vote le maintien absolu de cette liberté, << dont le sacrifice d'ailleurs lui paraît inutile dans l'intérêt du gouvernement comme dans celui de la nation. »

Ces nobles orateurs entendus, le ministre des affaires étran gères, M. le baron Pasquier, prenant la parole, entreprend de défendre le projet de loi, soit contre le rapport de la commission, soit contre les attaques de ses adversaires, dans toutes les opinions; il ne dissimule ni le danger des lois d'exception, ni la responsabilité qu'elles entraînent pour le ministère, et que les ministres acceptent franchement. Il établit d'abord une distinction entre les journaux, les pamphlets et les livres.

« Ce sont les livres, dit-il, non les pamphlets qui ont éclairé le monde.... Qu'on jette les yeux sur l'état où la licence des journaux a mis la société : partout les passions ont été exaltées au dernier degré, les haines se sont envenimées, les vengeances ont été aiguisées, et l'horrible catastrophe dont nous sommes destinés à gémir long-temps, en est une conséquence immédiate..... Pour cela, Messieurs, arrêtons-nous un moment sur les caractères évidens de ce crime atroce : un seul les domine tous, le fanatisme; mais quelle espècę de fanatisme? Chaque siècle, chaque àge a eu le sien. Il y a deux cents ans, le fanatisme religieux, il faut bien le dire aussi, a aiguisé les poignards. Ce fut aux pieds de cette chaire qui n'aurait jamais dû être que celle de la vérité, que le meurtre d'un grand Roi fut enseigné, conçu et médité. De nos jours, un autre fanatisme domine dans les esprits, c'est celui des opinions politiques. Où trouve-t-on les organes de ce fanatisme? Par qui est-il encou rage, cultivé, soutenu, exalté? Qui pourrait nier que ce ne sont pas les journaux et les écrits périodiques de tous genres?.... Ici, le ministre orateur distinguant ou faisant exception des hommes honorables par leur caractére, remarquables par leur talent, qui n'ont pas redouté ou dédaigné de descendre aussi dans cette arène et auxquels il n'appartient point de remuer les peuples, signale et stygmatise une autre race d'écrivains, et qui tour à tour empruntant tous les masques, sait et peut seule employer cet art épouvantable de solliciter et de mettre à profit les sentimens les plus honteux, les plus abjects, les plus infâmes, que puisse renfermer le cœur de l'homme. Tel est le gouvernement des journaux, dit-il, inhabiles à conserver, ils ne savent que détruire; ils ont renversé la constitution de 1791, qui leur avait donné la liberté ; ils ont fait trembler cette horrible convention qui, cependant, a fait trembler le monde..... On à dit que la liberté de la presse Annuaire hist. pour 1820.

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