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sentée et jamais définie, qui ne serait point le pouvoir conservateur de la société......

On dit que la charte n'a pas été acceptée par la nation comme toutes les autres constitutions qui nous ont gouvernés tour à tour. Etranges acceptations auxquelles il ne manqua jamais que la conviction et la liberté ! Buonaparte a trouvé toutes les routes faciles à ses desseins de grandeur suprême; c'est parce qu'il a su se placer sur les ruines de l'anarchie, et que nous ne devions l'anarchie qu'au délire de la liberté : aussi il ne fut convenu; pour ainsi dire, de n'offrir à la France que le simulaère d'une liberté dont elle n'avait jamais senti que les excès. C'est ainsi que parurent les constitutions consulaire et impériate ; elles n'avaient pas été octroyées en effet, mais délibérées et acceptées de la manière dont on délibérait et dont on acceptait alors. «La légitimité a une autre marche ; la légitimité, c'est l'ordre naturel': aussi elle n'admet de formes que celles qui sont réelles, et elle les respecte quand elle les a admises.

On répète encore avec beaucoup d'affectation que la charte ne fut d'abord qu'un mot, qu'elle n'exista que de nom en 1814, Mais peut-être n'était-it pas possible d'agir autrement dans les commencemens. Mais je le demande à ceux qui font des critiques si sévères, et j'ose dire, si dangereuses, quel gouvernement a été plus libéral dans le fait ?

« Les malheurs de l'occupation étrangère ont été terribles sans doute:; mais qu'ils sont téméraires ceux qui ne craignent pas d'élever, mème indirectement, contre une famille auguste, le reproche de tant de maux qui, sans elle, auraient bien autrement encore dépassé toute mesure imaginable! Une France partagée peut-être, ou n'échappant à ce malheur que par dix années probables de combats qui auraient promené la dévastation sur toute la surface de ce beau pays, une banqueroute nécessaire, une population détruite, une agriculture anéantie; voilà les maux auxquels nous a, pour la seconde fois, arrachés cet étendard des lys, auquel un orateur naguère n'a presque pas craint de reprocher la protection que nous lui avons due. »

Répondant ensuite à ce qu'on a dit de l'alliance du ministère avec le côté droit :

La liberté, ajoute le ministre, c'est avec la royauté et la maison de Bourbon, le cri de ralliement de tous les bons citoyens, c'est celui du ministère et de tous ses amis, c'est à celui-là qu'ils se reconnaissent. Au milieu des reproches adressés aux ministres, on n'a pas craint de placer celui de compter, parmi les personnes qui votent avec eux, tels ou tels députés plutôt que tels ou tels autres. Cette appréciation du mérite réciproque des suffrages est une chose assez nouvelle dans nos assemblées. Un lien de cette nature est sans doute bien fort, et une association ainsi formée a ce mérite, qu'elle n'exclut personne, parce qu'elle ne prend point les hommes en raison de ce qu'ils s'asseyent sur tel ou tel banc, mais en raison des vœux qu'ils forment et des sentimens qu'ils professent. Je vous ai dit tout à l'heure quels étaient les nôtres; ils sont heureusement de nature à se pouvoir avouer hautement, en tout temps, en tout lieu, » D

Peu rassurés par ce dicours, les adversaires du projet n'en

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poursuivirent pas moins vivement leurs attaques. On peut en juger par la péroraison du discours de M. Bignon, qui après avoir peint en traits effrayans le tableau de l'avenir que les lois d'exception préparent à la France, s'écrie:

« Ce n'est pas une question de principe qu'on agite ici, c'est une question de paix........ Nous en sommes à ce point, que si la liberté individuelle, la liberté de la presse et la liberté des électious nous sont enlevées, non-seulement il n'y aura plus ni charte, ni monarchie constitutionnelle, mais encore il n'y aura plus ni monarchie, ni despotisme; il n'y aura plus que révolution, anarchie. Le pouvoir sera au plus fort; qui ne frémirait pas des périls auxquels serait exposée la nation, et surtout cette faible minorité?»

Bientôt, aux objections déjà faites contre les lois d'exception, M. Benjamin Constant ajoute des développemens et des exemples

nouveaux.

« La chance aujourd'hui vous semble favorable, dit-il aux ministres. Mais il y a trois mois, quand vous censuriez ce qui n'était pas d'accord avec vos doctrines, ne nous citiez-vous pas l'exemple de l'Espagne? Là point de limites au pouvoir, point de révolutionnaires tolérés, point de journaux portant les idées libérales dans tous les villages, point de législation séparée de la religion de l'Etat, point de loi d'élection démocratique. Au contraire, tout ce que vous voulez nous donner, l'Espagne le possédait. Votre loi contre la liberté individuelle n'est qu'une faible copie des mesures qui peuplaient les châteaux forts, les couvens, les galères. Vos restrictions à la presse auraient fait sourire les inquisiteurs. Votre loi d'élection oligarchique ne vaudra jamais le conseil de Castille. Eh bien! qu'est-il résulté pour l'Espagne de tout ce que vous tachez d'introduire en France?

« Rentrez en vous-mêmes, ajoute-t-il, ne repoussez pas là le cours des faits.... Rien n'est fort que ce qui est national. Nationalisez-vous, et surtout ne détionalisez pas le trône. Ne vous trompez pas sur votre parti ou sur votre nombre. La moitié de ceux qui vous suivent vous redoute et vous observe; ils se concertent déjà contre vous; votre alliance les importune ; ils craignent que d'alliés vous ne deveniez maitres; et ils savent que si la chose arrivait, vous et eux seriez perdus.

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Jusqu'ici le ministère n'avait eu à combattre que des ennemis déclarés d'avance; mais il trouva bientôt un plus redoutable adversaire dans M. Camille Jordan, dont le caractère et la position politiques (il était encore membre du conseil d'État) rendent plusieurs parties de son discours plus importantes à recueillir pour T'histoire de la session.

(24 février,) « Messieurs, dit-il, membre de la commission qui a examiné le projet de loi, n'ayant point partagé l'avis de la majorité, j'ai cru convenable d'expliquer les motifs de ma dissidence, de ne point émettre un vote entièrement silencicux dans cette grave occasion.

• J'ai fait effort pour remonter quelques momens à cette tribune que de pénibles circonstances m'avaient depuis long-temps interdite.

« Mais j'y remonte, je l'avoue, avec un sentiment profondément douloureux, Inquiet des destinées de la patrie et du trône, je ne puis que m'affliger aussi de la situation pénible ou le devoir me place, lorsque, fonctionnaire du gouvernement, je me vois obligé de repousser les mesures qu'il propose; lorsqu'uni avec plusieurs des ministres de S. M. par d'anciens liens d'affection et d'estime, je suis appelé à combattre ceux que je serais si heureux de défendre. Mais j'obéis à la voix de ma conscience; ce n'est qu'après un examen scrupuleux et fondé sur la conviction la plus entière que j'ai pu me décider à un tel dissentiment et à son expression publique. Il m'a semblé que c'était à nous spécialement, vieux partisans de la royauté, anciennes victimes des persécutions révolutionnaires, qu'il appartenait d'élever ici la voix, et de donner à l'opposition que le ministère éprouve le caractère véritable qu'elle doit avoir, celui d'une opposition que n'anime aucun sentiment d'amertume, qui se fonde sur les principes seuls, qui s'inquiète moins encore pour la liberté que pour le trône lui-même, plus directement et plus prochainement

menacé,

Telle est, en effet, Messieurs, la gravité, l'étendue des questions qui nous séparent en ce moment des ministres de S. M. Il ne s'agit point ici d'une dissidence partielle, mais d'une dissidence fondamentale; il ne s'agit point · d'une loi isolée, mais d'une loi qui se rattache à d'autres lois, qui se place au centre d'un vaste système. On ne peut voter sur cette loi sans embrasser le système entier, sans le caractériser, sans chercher à le conjurer, Ah! sans doute, nous aimons à croire à la droiture des intentions de ses auteurs: sans doute ils furent loin de prévoir les conséquences qui devaient en sortir, mais jamais erreur plus fatale put-elle entrainer un ministère bien intentionné ? Jamais mésentendu plus déplorable put-il s'établir entre un gouvernement et un peuple que tout appelait à s'unir! Jamais situation plus belle fut-elle plus gratuitement compromise par la plus injuste défiance?....

« A la vérité, au milieu de circonstances si prospères, nous étions loin encore de la perfection absolue. Il arrivait ce qui était inévitable à l'origine d'un gouvernement représentatif; des fautes étaient réciproquement commises. Trop d'hésitation se remarquait dans les actes du pouvoir, trop d'impatience dans les vœux de la multitude. Des restes de parti s'agitaient encore ; la malveillance des uns, l'inexpérience des autres, abusaient de nos institutions naissantes ; un esprit d'opposition trop inquiet, trop peu juste s'introduisait dans quelques corps électoraux, y inspirait un besoin exagéré de garanties contre le pouvoir, menaçait d'y faire éclore des choix indiscrets et inconvenans. C'était pour l'avenir, je ne dirai pas un danger alarmant, mais un embarras véritable, un sujet d'attention sérieuse.

« Nous le sentions tous, Messieurs; nous en étions tous préoccupés avec le gouvernement, disposés à lui prêter toutes les assistances légitimes; mais plus de bons esprits avaient médité sur ces anomalies dans les élections, plus ils les voyaient se rattacher uniquement à des circonstances locales, à de passagères defiances, à des fautes dans la direction; plus ils se persuadaient que le véritable remède se trouverait dans le développement paisible et régulier du gouvernement représentatif lui-même. Ce remède était, suivant eux, non de rc

former les lois, mais de les faire mieux exécuter; non de rétracter les institutions, mais de les compléter; d'òter les derniers prétextes à la défiance, par la franchise, à l'inquiétude, par l'esprit de suite et de stabilité; surtout de savoir attendre, se confier à la nation, à la vérité, au temps.

« Et si cette noble confiance avait pu être, contre toute attente, définitivement trompée; si par la contradiction la plus étrange, du sein d'une nation qui n'aspire qu'au repos, avait pu sortir une chambre factieuse qui aspirât au renversement, alors en effet tous les moyens légaux de défense dont le trône est pourvu pourraient se déployer avec majesté; alors les mesures extraordinaires de réformation pourraient être appelées, justifiées par une évidente nécessité alors l'opinion elle-même, devançant les besoins du pouvoir, lui eût demandé de ne pas se manquer à lui-même, eût applaudi à tous les actes d'une salutaire énergie, par lesquels il eût sauvé les libertés et le trône. »»

En comparant ce qu'on devait faire avec ce qu'on a fait, l'orateur peint les embarras d'un gouvernement où des hommes d'Etat, «< constitutionnels incertains, depuis 1814 au timon des affaires, s'effrayant de tout, des calomnies d'un parti au dedans, des inquiétudes des diplomates au dehors..... et les effets d'une alliance bizarre d'après laquelle on est arrivé à produire ce fatal système du gouvernement, de vouloir renverser ce qu'on avait élevé et défendu, et de chercher une majorité incertaine dans le parti qu'on avait appris à redouter. >>

: Au milieu des dangers qui menacent la France enfin, loin d'approuver la censure que l'on demande, et qui peut nous ramener les jours de 1815, M. Camille Jordan croit que si les journaux n'existaient il faudrait les inventer, et que l'acceptation des lois demandées par le ministère serait peut-être le signal de sa chute.

pas,

« Pour moi, dit l'orateur en finissant, j'aurai au moins accompli mon devoir par l'expression publique de mon vote; je n'aurai pas manqué aux principes de ma vie entière, j'aurai donné ce dernier témoignage de fidélité à mia patrie et à mon prince; et quels que soient les sacrifices de tous genres qu'il puisse me coûter, il servira à répandre la consolation d'une conscience paisible sur les derniers restes d'une existence affaiblie. Je vote le rejet du projet de loi. »

Bientôt M. le ministre des affaires étrangères ramené à la tribune, commence par reconnaître que le discours de M. Camille Jordan était fait sans doute pour produire une grande impres sion, parce qu'il était prononcé avec tout le prestige du talent,

avec l'accent de la conviction et de la confiance..... Mais, en rendant hommage aux principes qui animent son honorable collegue et qu'il partage, le ministre dit qu'il diffère avec lui dans la manière d'en tirer les conséquences; qu'il a commis l'erreur grave de placer la question dans la question même, la cause dans les effets, et les effets dans la cause..... Ce que le ministre se réserve de prouver à l'égard de la loi des élections lors de sa discussion..... Quant aux autres attaques faites la veille (23) par MM. Lafayette, Bignon, Benjamin Constant, S. Exc. y voyant les mêmes principes, les mêmes résultats, les mêmes conséquences, observe qu'elles se réduisent, dans le cas où les lois proposées seraient adoptées dans les deux chambres, à invoquer, à prévenir, à menacer d'une insurrection, où les plus forts feront la loi.

« Mais, dit le ministre, la France n'a pas encore perdu tout le fruit de son expérience. Elle sait où mènent les insurrections, sa propre histoire lui dit que celles des soldats surtout sont les plus mortelles à la liberté. Que dis-je, leur insurrection! ne suffit-il pas de leur intervention pour la détruire le plus souvent? Les journées des 13 vendémiaire, 18 fructidor et 18 brumaire vivent encore dans nos fastes, et elles y sont écrites en caractères de sang; et ce sont des citoyens, et des citoyens qui disent aimer la liberté, qui proclament ainsi que la force doit imposer silence aux lois ! Ne semble-t-il pas voir l'épée de Brenuus jetée dans la balance, en emportant tout avec elle? Mais, heureusement pour la patrie, un tort s'ajoute ici à un autre› tort. Ces prétendus amis de la liberté calomnient nos guerriers, qui sont plus citoyens, meilleurs citoyens que ceux qui osent leur préter leurs sentimens. J'ignore si quelques nuances d'opinions politiques ont pu pénétrer parmi eux; mais, ce dont je suis sûr, c'est qu'il n'en est point, soldats, officiers, généraux, qui ne sachent qu'armés pour défendre la patrie, leur devoir le plus sacré est de respecter son indépendance, d'obéir aux lois, et que la première de ces lois est celle qui les place sous l'autorité suprême du Roi auquel ils ont prété serment, auquel seul appartient de les commander par lui ou par ses lieutenans.

Mais ce n'est pas tout, Messieurs, que de proclamer ainsi la résistance aux lois, du jour où ces lois ne seront pas telles que les veut un parti, et qu'elles auront le tort de n'être que l'ouvrage d'une majorité constitutionnelle.

Ce n'est pas tout que d'exciter ainsi les citoyens à s'armer contre les citoyens, les soldats contre les soldats, on cherche encore par toute l'Europe s'il n'y aurait pas quelque étincelle à recueillir, et dont on pourrait se servir utilement pour allumer l'incerølie dont on nous promet le brillant spectacle,

« Un grand mouvement a eu lieu en Espagne; les troupes y ont pris part, elles en ont été le premier mobile; on en pousse des eris de joie. Et l'un de

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