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observer que ce droit avait été réglé par les lois précédentes, et que la censure ne pourrait jamais s'exercer sur l'analyse des discours des députés, qui seront admis sur la foi des journalistes. Sur quoi, M. Benjamin cita plusieurs exemples de discours qui avaient été mutilés; mais l'amendement mis aux voix, n'en fut pas moins écarté par une majorité de 127 voix contre 119.

Malgre la défaveur qui s'attachait à leurs amendemens, les orateurs du côté gauche ne cessaient d'en proposer ou d'en reproduire en les changeant de forme. Le centre et le côté droit leur reprochaient de n'avoir en cela d'autre but que de retarder la discussion, et M. Benjamin Constant arrivé au terme de cette longue délibération, ne s'en défendit pas; il essaya encore, en faisant un dernier effort, de montrer que les amendemens rejetés avaient complétement dévoilé l'esprit de ce gouvernement « qui a demandé l'arbitraire, dit-il, et qui ne peut plus s'arrêter. »

(30 mars.) Enfin, tous les articles ayant définitivement passé tels qu'ils étaient sortis de la discussion de la chambre des pairs, on vota sur l'ensemble de la loi qui fut adoptée à une majorité de 29 voix.

(Nombre des votans, 245.-Pour le projet, 136.-Contre 109.) En exécution de cette loi, sanctionnée dès le lendemain de son adoption, une ordonnance rendue le 1er avril, créa, à Paris, près du ministère de l'intérieur, une commission chargée de l'examen préalable de tous les journaux ou écrits périodiques, composée de douze censeurs, qui ne pourrait prononcer s'il n'y avait au moins cinq membres présens, et dans chaque chef-lieu de département, une commission de trois censeurs. La même ordonnance institua, pour surveiller les censeurs et leurs opérations, un conseil, composé de neuf magistrats des cours supérieures, auquel la commission de censure devrait rendre compte. de ses décisions au moins une fois par semaine, et qui prononcerait, quand il y aurait lieu, la suspension provisoire des journaux ou écrits périodiques, sous l'approbation du ministre secrétaire d'Etat, au département de la justice.

Dès que la censure fut mise en activité, presque tous les écr. Annuaire hist. pour 1820.

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politiques, semi- périodiques, cessèrent leurs publications, le Conservateur, par égard à la dignité de plusieurs de ses rédacteurs, la Minerve, par l'impossibilité présumée de conserver son indépendance. Plusieurs journaux libéraux quotidiens se fondirent ensemble; quelques-uns essayèrent de suppléer à la liberté de leurs publications, par des brochures particulières, où ils rapportaient les articles supprimés par la censure, remède impuissant, dont les tribunaux firent quelquefois une justice sévère sur leurs auteurs. Au fait, malgré les efforts tentés pour éluder la loi, l'influence des journaux libéraux en fut fort diminuée, surtout à l'approche des élections, où il ne leur fut pas permis de recommander leurs candidats. Les écrivains royalistes se plaignirent eux-mêmes de la censure; mais leurs adversaires en subirent presque seuls la rigueur : elle fut exercée dans l'esprit qui l'avait créée, c'est-à-dire dans l'intérêt du système monarchique.

La loi de la liberté individuelle qui paraissait plus menaçante, reçut une application moins sévère. A peine était-elle promulguée qu'on annonça dans le public ( 31 mars), une souscription, dite nationale e, pour porter des secours aux individus qui seraient arrêtés et reconnus innocens. Cinquante-quatre députés des plus influens du côté gauche, quelques pairs de France, un grand nombre de citoyens, de militaires, de banquiers, de jurisconsultes, de gens de lettres, et de riches propriétaires, se mirent à la tête des souscripteurs; ils formèrent un conseil d'administration, composé de quinze membres (1), qui devait faire valoir auprès de l'autorité les réclamations des personnes atteintes par la loi, et distribuer à elles, ou à leurs familles, les secours que leur position exigerait.

Le ministère public regardant cette association comme une ligue offensive contre le gouvernement, et la publication de son existence comme un acte de provocation de désobéissance à la loi,

fit

(1) MM. Lafitte, De Lafayette, d'Argenson, Keratry, Manuel, Casimir Perrier, Benjamin Constant, le général Pajol, Gévaudan, Etienne, Odillon Barros, Merilhou, Joly (de St.-Quentin), Dupont (de l'Eure), de Chauvelin,

traduire devant les tribunaux, à Paris et dans les départemens, un certain nombre de membres du comité, les plus importans, sans pourtant y comprendre les députés qui s'y étaient associés, quoiqu'ils eussent formellement demandé à être compris dans la procédure. Enfin, cette affaire, qui occupa long-temps la capitale, aboutit à la condamnation de quelques rédacteurs, ou éditeurs responsables de journaux qui avaient les premiers inséré l'acte d'association (arrêt du 1er juillet ).

Quant à la manière dont la loi fut exécutée, il parut, quelques jours après sa publication, une lettre du président du conseil des ninistres, dont l'esprit de sagesse et de modération fit cesser les alarmes répandues; et le petit nombre des arrestations qui eurent lieu, en vertu de cette loi, justifia le ministère des engagemens qu'il avait pris à la tribune des deux chambres.

CHAPITRE V.

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LOI D'ÉLECTIONS. - Substance du premier projet présenté. Bruit sur les discussions de la commission à cet égard.—Présentation d'un second projet. Sensation qu'il occasionne.-Agitations dans l'opinion publique.-Pétitions de l'Isère et du général Donnadieu, — de M. Madier de Montjau. Attentat de Gravier. — Rapport de la commission sur le second projet de loi d'élections. - Discussion générale. Troubles à Paris.

TOUTE vive qu'ait paru la discussion des lois d'exception, ce n'était pourtant que comme le prélude des combats que les partis se préparaient à livrer ou à soutenir, sur le terrain des élections.

Ona vu que, le 15 février, le lendemain de la mort de Mgr le duc de Berry, M. le comte Decazes, encore ministre de l'intérieur, avait porté à la chambre des députés un projet de loi sur les élections; d'après ce projet, présenté avec une sorte de défiance, «< comme devant être jugé par la chambre, sans complaisance pour le pouvoir, comme sans crainte des factieux,» le nombre des députés devait être porté à quatre cent trente, dont deux cent cinquante-huit nommés par des colléges d'arrondissemens, circonscrits à cet effet, et cent soixante-douze par les colléges de départemens, formés de cent à six cents électeurs, payant au moins mille francs de contributions, et choisis eux-mêmes par les électeurs d'arrondissemens, à la majorité des suffrages, (article 1, 2. 2.)

La moitié au moins des cotes fixées, pour être éligible ou électeur, devait être payée en contributions foncières, (62.) - Les quatre scrutateurs du bureau étaient les premiers fonctionnaires, (18.) Chaque électeur devait signer son bulletin, ou le faire certifier par un membre du bureau, ( 3o. ) - Enfin, en cas de dissolution de la chambre, tous les députés nouvellement élus devaient siéger pendant cinq ans, en sorte que le renouvellement par cinquième, de la chambre, ne commencerait qu'à l'expiration de la cinquième année, ( 36.)

Avec ce projet, le ministre avait déposé sur le bureau un ex

posé de ses motifs, remarquable dans les circonstances, et surtout dans sa situation personnelle. Il rappelait « ce que la sagesse royale avait fait, pour assurer la liberté publique, et les efforts des factieux, pour détruire son ouvrage, ces pétitions couvertes de signatures, souvent obtenues de la faiblesse, ou surprises à la crédulité, souvent fabriquées, presque jamais garanties, et qui semblent repousser l'initiative royale; l'injustice des défiances, et des alarmes répandues, et enfin, les inconvéniens éprouvés de la loi d'élections; loi de confiance, qui n'aurait laissé aucun regret, disait S. Exc., qui, peut-être, ne réclamerait aucune révision, si les amis du trône et de la liberté légale ne s'étaient pas divisés, et n'avaient pas laissé le champ libre à leurs communs ennemis, loi que ses auteurs, ne calculant pas assez l'effort des partis, ont abandonnée sans défense, sans appui, sans précaution contre les manœuvres de l'intrigue, les torts de la négligence, et l'activité de l'esprit de faction....... » Ensuite, le ministre faisait observer comment, dans les élections, toute l'influence avait été soumise à celle du chef-lieu, et à l'action des intrigues étrangères; comment les électeurs des arrondissemens avaient été amenés à voter pour des candidats inconnus, tandis que le nouveau mode conservait, à la représentation, un caractère plus vrai, plus national, et plus analogue aux intérêts représentés.

Quant à l'augmentation du nombre des députés, le ministre exposait, que la charte ne s'était point expliquée d'une manière précise, laissant toute latitude à cet égard. - Quant à la séparation des colléges, que dans le système actuel, la petite propriété ayant la majorité des voix, avait en effet, dans le vote, une puissance exclusive, tandis que, dans le nouveau, la grande propriété aurait du moins une compensation à espérer, sans cependant acquérir de prérogative, puisqu'elle aurait besoin d'une élection, pour être un droit, par le renouvellement intégral, (36). Le ministre obtenant, au moyen de dissolutions périodiques, une sorte de parlement septennal, se flattait d'acquérir une majorité fixe, de calmer les passions, de dissiper les défiances, d'établir un système durable dans l'administration, et d'exercer, sur l'opinion publique,

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