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N° 137

M. Monge à M. Barthélemy-Saint-Hilaire.

Le Caire, le 30 mai 1881.

Les officiers, dont l'état d'insurbordination et d'anarchie est loin d'avoir été modifié par le décret du 20 avril dernier, qui cependant leur accordait tout ce qu'ils semblaient désirer, préparent, parait-il, une nouvelle pétition, qu'ils adressent au Colonel Ahmed Arabi, qu'ils considèrent comme leur véritable et unique chef, et qui doit être remise par celui-ci au Conseil des Ministres. Cette pétition demande l'augmentation de l'armée, dont l'effectif devra être porté à 18,000 hommes, la construction de nouveaux forts aux environs du Caire et sur les côtes de la Méditerranée, la création d'une Chambre des notables devant laquelle le Ministère serait responsable et qui serait appelée à voter le budget.

Ces idées, grâce à l'inertie du Gouvernement, gagnent de jour en jour, même dans l'élément civil, et deviennent un véritable danger dont il est facile de prévoir les conséquences. Aujourd'hui, l'armée est divisée en deux partis bien distincts. Celui qui s'est rallié au Gouvernement est encore le plus faible.

Signé : MONGE.

N° 138

M. Monge à M. Barthélemy-Saint-Hilaire.

Le Caire, le 6 juin 1881.

Dans ma dernière dépêche, en date du 30 mai, j'avais l'honneur d'annoncer à Votre Excellence que les officiers devaient présenter une nouvelle pétition au Conseil des Ministres dans le but de demander l'augmentation de l'effectif de l'armée, la construction de nouvelles fortifications aux environs du Caire et sur le littoral de la Méditerranée et enfin la création d'une Chambre de notables devant laquelle les Ministres seraient responsables et qui voterait le budget de l'État.

Au dernier moment, pour donner plus de force et de valeur à cette pétition, les officiers décidèrent de la faire signer et présenter

par les principaux notables qui partagent leur opinion au sujet des affaires d'Égypte. Ils promirent à ceux-ci de les soutenir et de les défendre au besoin. Mais l'Arabe est craintif, et aucun notable n'a voulu signer la pétition, qui a été abandonnée pour le

moment.

Le Ministère Riaz vient de céder encore une fois devant les prétentions des colonels.

Dans le courant du mois de mai, dix-neuf officiers appartenant au régiment nègre en garnison à Tourah adressèrent au Ministre de la Guerre une plainte contre leur colonel.

Une Commission militaire chargée d'examiner les griefs mentionnés dans cette plainte déclara qu'ils n'étaient pas fondés, et les dix-neuf officiers furent mis en disponibilité.

Le colonel du régiment présenta alors au Ministre une liste d'officiers dont il demandait la nomination pour remplacer ceux congédiés.

Le Ministre de la Guerre ne voulut ni accepter ni repousser cette prétention du colonel de choisir lui-même ses officiers. Dans la situation actuelle de l'armée égyptienne, alors que par l'ascendant qu'ils ont su prendre sur leurs officiers et sur leurs hommes certains chefs de corps sont parvenus à exercer une autorité contre laquelle le Gouvernement hésite à entrer en lutte, le droit reconnu à ces chefs de corps de choisir à leur gré les officiers placés sous leurs ordres présentait un danger qui n'échappe à personne. Mais, d'un autre côté, tous les officiers des régiments étaient, paraît-il, en effet, depuis l'émeute du 1a février dernier, nommés sur la proposition des colonels. Le Gouvernement hésitait à prendre la responsabilité d'enlever à ces derniers, dans les circonstances présentes, une prérogative qu'ils devaient dans une certaine mesure considérer comme un avantage acquis. Aussi fut-il décidé que la question serait soumise à la Commission militaire instituée par le décret du 20 avril 1881. Cette Commission, constituée pour préparer divers règlements relatifs à l'organisation de l'armée, était notamment chargée de déterminer dans quelles conditions doivent se faire les nominations et les promotions d'officiers.

La Commission, sur laquelle Riaz-Pacha croyait exercer une puissante pression, décida, dans sa séance du 30 mai, que les officiers devaient, comme par le passé, être nommés sur la désignation des chefs de corps. Les officiers européens presque seuls votèrent contre cette proposition, qui, outre les voix des officiers égyptiens, rallia les voix d'un certain nombre d'officiers généraux turcs et circassiens.

Cependant, dans une des séances suivantes, la même Commission arrêta, à une assez forte majorité, que la décision prise le 30 mai ne s'appliquerait qu'au cas présent, c'est-à-dire à la nomination aux dix-neuf emplois vacants, mais que toutes les autres nominations auxquelles il y aurait lieu de procéder, jusqu'à ce qu'une loi ait fixé à cet égard une règle définitive, scraient faites par le Gouvernement, sans que les chefs de corps aient le droit de proposer aucun candidat au Ministre.

Les décisions de la Commission ont été acceptées par le Ministère.

Signé : MONGE.

N° 139

M. Monge à M. Barthélemy-Saint-Hilaire.

Alexandrie, 3 juillet 1880.

La Commission militaire instituée par le décret du 20 avril dernier pour étudier et examiner les divers règlements et lois militaires en vigueur et rechercher les améliorations et modifications qu'il y aurait lieu d'y apporter, vient enfin de déposer son rapport entre les mains du Président du Conseil.

J'ignore encore la teneur de ce rapport; un seul fait, mais très grave, est à ma connaissance. La Commission a décidé l'augmentation de l'effectif de l'armée qui doit être portée à 18,000 hommes. Cette mesure a été votée aussi bien par les officiers curopéens, dont je connais depuis longtemps l'opinion à cet égard, que par tous les officiers arabes et turcs. Ce væeu, qui, dans l'état actuel de l'armée, est un ordre, a beaucoup ému les Ministres. Je ne vois pas comment le Gouvernement égyptien pourra sortir de cette nouvelle difficulté, car on me dit que les officiers arabes et turcs sont décidés à faire respecter et exécuter les décisions de la Commission. L'indiscipline, du reste, ne fait qu'augmenter dans l'armée.

L'anarchie fait aussi de très rapides progrès dans tout le pays, même chez le Fellah. Il y a quelques années, l'autorité du Mudir dans les villages était respectée et personne ne se serait avisé de lui résister. Aujourd'hui il n'en est plus de même le Mudir n'a plus d'action sur le Fellah.

Signé: MONGE.

N° 140

M. Barthélemy-Saint-Hilaire au Comte d'Aunay, Chargé d'affaires de France à Londres.

Paris, le 19 juillet 1881.

J'ai reçu de M. Monge, Consul au Caire, chargé par intérim de l'Agence et du Consulat général de France en Égypte, une dépêche, en date du 3 juillet, dont je vous envoie ci-joint la copie (1), et qui donne des détails instructifs, mais dans une.certaine mesure alarmants, sur les progrès que fait l'indiscipline dans l'armée égyptienne et sur la désorganisation qui s'est introduite dans plusieurs branches de l'administration.

L'état de l'armée est particulièrement propre à inspirer des inquiétudes. Vous savez qu'une Commission militaire a été instituée par décret du 20 avril dernier; mais le remède qu'elle propose pour guérir le mal, c'est-à-dire l'augmentation de l'effectif de l'armée, paraît plutôt de nature à l'aggraver.

J'attacherais du prix à connaître à ce sujet les vues du Gouvernement britannique, et je vous serais obligé de me faire savoir quelles mesures lui paraissent les plus opportunes et les plus efficaces pour ramener dans l'armée égyptienne la discipline et la subordination.

Signé : BARTHÉLEMY-SAINT-HILAIRE.

N° 141

M. Sienkiewicz, Agent et Consul général de France en Égypte, à M. Barthélemy-Saint-Hilaire.

Alexandrie, le 13 août 1881.

Se sentant ébranlé, Riaz-Pacha prétend vouloir donner sa démission; le Khédive, dans ce cas, prendrait peut-être la présidence.

(1) Voir la dépêche précédente.

Signé SIENKIEWICZ.

N° 142

M. Sienkiewicz à M. Barthélemy-Saint-Hilaire.

Alexandrie, le 13 août 1881.

Le Ministère de la guerre vient d'être confié à Daoud-Pacha, nommé Ministre de la guerre. Il représentera moralement le Khédive, dont il est le beau-frère.

N° 143

Signé : SIENKIEWICZ.

M. Barthélemy-Saint-Hilaire à M. Sienkiewicz.

Paris, le 14 août 1881.

Je ne puis qu'approuver votre attitude prudente et la réserve que vous gardez dans les questions de personnes qui s'agitent autour du Khédive. L'accord établi entre vous et le contrôleur français est le meilleur gage de sécurité pour nos intérêts nationaux. Vous devez, d'ailleurs, éviter de les compromettre dans les agitations et les tiraillements dont l'Égypte parait être en ce moment le théâtre. Demeurez spectateur vigilant et continuez à me renseigner exactement.

Signé: BARTHÉLEMY-SAINT-HILAIRE.

N° 144

M. Sienkiewicz à M. Barthélemy-Saint-Hilaire.

Alexandrie, le 15 août 1881.

Riaz-Pacha reste et la crise ministérielle est finie. Le Khédive m'a convoqué hier soir avec le Consul d'Angleterre pour nous dire que, désormais, il nous tiendrait au courant des faits de rébellion qui se produiraient au Caire. Riaz-Pacha, pour conserver le pouvoir, peut, en cas de troubles, demander l'envoi de navires de guerre. Sans être imminente, cette éventualité est à prévoir. Signé SIENKIEWICZ.

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