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Puis berger, bergère, auteur, chien,
S'endorment de moutonnerie.

Pour réveiller ta bergerie,

Oh! qu'un petit loup viendrait bien !

Mais nous ne parlons ici que des fables, dont le naturel gracieux et la douce malice ont mérité cet éloge de Sainte-Beuve: << Les fables de Florian sont bien composées, d'une combinaison ingénieuse et facile; le sujet y est presque partout dans un parfait rapport, dans une proportion exacte avec la moralité. » Assurément la haute poésie en est absente, comme aussi la verve gauloise et l'originalité créatrice. Florian ne crée pas en imitant, comme la Fontaine, dont il se souvient visiblement en plus d'un endroit. La Carpe et les Carpillons rappelle l'Hirondelle et les Petits Oiseaux; les Deux Jardiniers nous présente un jardinier raisonneur qui ressemble d'assez près au Garo du Gland. Le Bonhomme et le Trésor a quelques traits du Savetier ; l'Écureuil, le Chien et le Renard n'est pas non plus sans analogie avec le Coq et le Renard. Mais il ne se donne pas à nous comme un inventeur ce qui nous plaît en lui, c'est justement la modestie sincère avec laquelle, dans son discours préliminaire de la Fable, il s'incline, respectueux, presque découragé, devant la gloire de son inimitable précurseur. Il imitera, dit-il, les auteurs imités par la Fontaine, mais à ces auteurs il en joindra quelques autres, des étrangers, l'Anglais Gay, l'Espagnol Yriarte, les Allemands. A cette préoccupation de l'étranger, on sent que le XVIIIe siècle est fort avancé déjà. On le sent aussi à je ne sais quoi de plus direct et de plus agressif dans la satire. Le doux Florian n'est pas proprement un satirique; l'épigramme trop cruelle est peu faite pour plaire à qui a chanté les bergers du Gardon,

Et l'on déshonore sa plume

En la trempant dans du poison.

Pourtant il attaque les folies égoïstes des conquérants avec une sincérité qui n'est pas sans amertume:

De quel droit, s'il vous plaît, dans vos tristes querelles,
Faut-il que l'on meure pour vous?

En vrai neveu de Voltaire, il n'épargne pas le clergé :

Les prêtres de ce temps vivaient de sacrifices...

Un de ces pieux solitaires

Qui, détachant leur cœur des choses d'ici-bas,

Font vœu de renoncer à des biens qu'ils n'ont pas...

Et la conclusion de la fable nous montre le pieux «< dervis » réduit, pour être utile, à se faire valet de laboureurs. Ce sont des fables ouvertement politiques que l'Education du lion, les Singes et le Léopard, le Perroquet confiant. Mais, bien que l'allégorie soit parfois trop transparente, les animaux ne sont pas chez Florian des symboles inanimés. Ils ont lu Jean-Jacques Rousseau et sont sensibles; mais que de fraîcheur dans le Lapin et la Sarcelle! Ils sont contemporains de la Révolution; mais que de fierté dans le Laboureur de Castille! Nous ne sommes plus en face du grand et simple observateur de la nature vraie : il y a trop de sentiment et trop d'esprit ; mais le singe qui montre la lanterne magique, le rat savant qui ronge des thèmes dans sa hutte, ont leur prix; c'est que Florian, lui aussi, aime les bêtes:

Que j'aime les héros dont je conte l'histoire,

Et qu'à m'occuper d'eux je trouve de douceur!
J'ignore s'ils pourront m'acquérir quelque gloire;
Mais je sais qu'ils font mon bonheur...

Avec les animaux je veux passer ma vie :
Ils sont si bonne compagnie!

Vous connaissez ce quai nommé de la Ferraille,
Où l'on vend des oiseaux, des hommes et des fleurs.
A mes fables souvent c'est là que je travaille;
J'y vois des animaux, et j'observe leurs mœurs.

Malheureusement, il n'est ni un observateur tout à fait désintéressé ni un philosophe profond, malgré la réelle beauté morale de certaines fables, comme l'Aveugle et le Paralytique. Sa morale n'est souvent que la morale mondaine du siècle où il vit:

Je veux de l'indulgence et de la politesse:

C'est la parure des vertus.

La vertu qu'il imagine est tout aimable et souriante:

Lorsque notre bonheur nous vient de la vertu,

La gaieté vient bientôt de notre caractère.

Rarement les hautes questions sont abordées, et, lors même qu'elles le sont, c'est dans un langage poétique assez voisin de la prose:

Humains, pauvres humains, jouissez des bienfaits
D'un Dieu que vainement la raison veut comprendre,
Mais que l'on voit partout, mais qui parle à nos cœurs.
Sans vouloir deviner ce qu'on ne peut comprendre,
Employons notre esprit à devenir meilleurs.

C'est dans un autre langage que s'exprime le poète de l'Astrologue. Et pourtant on est surpris çà et là et touché par un accent sincère et pénétrant :

Je ne connais de biens que ceux que l'on partage...

Pour vivre heureux, vivons caché.

C'est ainsi qu'il a vécu lui-même. Sans dissimuler les inégalités, les contradictions, les taches de ce caractère et de cette vie, sans excuser outre mesure les faiblesses du penseur, surtout de l'écrivain, on aura quelque indulgence pour l'homme qui se ruina en payant les dettes de son frère, pour l'homme qui, sans avoir l'élévation et l'énergie, eut le naturel, parfois l'émotion communicative, comme dans les quelques vers qu'il a intitulés le Voyage:

Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte,
Sans songer seulement à demander sa route;
Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi,
Faire un tiers du chemin jusqu'à près de midi;
Voir sur sa tête alors s'amasser des nuages;
Dans un sable mouvant précipiter ses pas;
Courir, en essuyant orages sur orages,
Vers un but incertain, où l'on n'arrive pas;
Détrompé, vers le soir, chercher une retraite;
Arriver haletant, se coucher, s'endormir,
On appelle cela naître, vivre et mourir :
La volonté de Dieu soit faite !

BIBLIOGRAPHIE

LA FONTAINE.

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TEXTES

Collection des Grands Écrivains, éd. Henri Régnier; Hachette, in-8°.

Éditions classiques Aubertin (Belin), Colincamp (Delagrave), Gazier (Colin).

AMIEL.

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BLAZE DE BURY.
CHAMFORT.

FAGUET.

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LIVRES

Fragments d'un journal intime, t. II, p. 232 à 234.
Revue des Deux Mondes, 1er juin 1874.
Éloge de la Fontaine; Vve Regnard, 1769, in-8° 1.
La Fontaine (Classiques populaires); Lecène et Oudin,
1885, in-12.

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-Les Grands Maîtres du dix-septième siècle; Lecène et Oudin, 1885. GRANDSARD. Études sur la Fontaine; thèse, Strasbourg, 1859. HERVIEUX. Les Fabulistes latins depuis le siècle d'Auguste jusqu'à la fin du moyen age; Paris, 1884.

LAMENNAIS. De l'Art et du Beau, p. 281; Garnier.

MARTY-LAVEAUX. Essai sur la langue de la Fontaine; 1853, in-8°, 53 p.; Dumoulin.

MERLET. Études littéraires sur les classiques français; Hachette, in-12, p. 167.

NISARD. Histoire de la littérature française, t. III.

Les Poètes latins de la décadence: Phedre.

RÉMUSAT (P. de).

ROBERT.

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La Fontaine naturaliste; Revue des Deux Mondes, 1er décembre 1869.

Fables inédites des douzième, treizième et quatorzième siècles, 2 vol. in-8°; Cabin, 1825.

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1. On peut lire aussi les Eloges de Perrault (Hommes illustres, 1696, t. Ier), d'Olivet, Laharpe, Gaillard (ceux-ci réunis dans le Recueil de l'Académie de Marseille pour 1774, in-8°).

SCHERER. Études sur la littérature contemporaine; Calmann-Lévy,

SOULLIÉ.

in-16.

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La Fontaine et ses devanciers; thèse, Nancy, 1860; Paris,
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TAINE. La Fontaine et ses Fables; Hachette, in-12.
VAUVENARGUES. Réflexions critiques sur quelques poètes.
WALCKENAER.

Histoire de la vie et des ouvrages de la Fontaine ; Paris, 1820, in-8o; 1824, 2 in-18 1.

1. L'histoire de la vie et des ouvrages de La Fontaine a été écrite aussi par Mathieu Marais et Fréron. Cette dernière biographie, imprimée dès 1743 dans les Observations sur les écrits modernes, t. XXXII, p. 74-90, a été imprimée en tête d'une édition des Fables choisies, Barbou, 1806. Voyez surtout l'étude biographique qui précède l'édition de M. Henri Régnier.

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