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leur guérison. Car s'ils sont dans la prospérité, l'orgueil les enfle, leur fait rejeter et traiter de déclamations les avis salutaires qu'on leur pourrait donner; et s'ils sont dans l'affliction, ils ne songent qu'à s'en délivrer aussitôt au lieu de s'appliquer les remèdes qui pourraient les guérir et les mettre dans un état où il n'y aurait plus d'affliction à craindre. Il s'en trouve néanmoins qui prêtent quelquefois l'oreille du cœur à la vérité lorsque l'adversité les presse, car cette docilité est rare dans la prospérité; mais ils sont en petit nombre, et cela même a été prédit. Je voudrais que vous fussiez de ceux-là, mon très-cher fils, parce que je vous aime véritablement. C'est par cet avertissement que je veux répondre aux affectueux sentiments dont votre lettre est (remplie; car encore que je regrette ce que vous avez souffert, et que je ne puisse sans beaucoup de douleur vous voir en proie à de semblables peines, je m'afflige encore plus cependant de ce que votre vie n'en soit pas devenue meilleure.

(Saint Augustin. Lettre CCIII.)

XX. DE LA PATIENCE.

Ayant dessein de parler de la patience et d'en montrer les avantages, par où puis-je commencer plus à propos, mes frères, qu'en remarquant que vous avez besoin de patience pour m'écouter, si bien que vous n'en sauriez même entendre parler sans en avoir? Car nous ne pouvons profiter de ce qu'on nous dit, si nous ne l'écoutons patiemment. Aussi, de tous les moyens que notre religion nous fournit pour acquérir les biens qui nous sont promis, je n'en vois point de meilleur ni de plus utile que la patience. Les philosophes font profession de cette vertu aussi bien que nous, mais leur patience est aussi fausse que leur sagesse. Car comment ceux-là pourraient-ils être sages ou patients qui ne connaissent ni la sagesse ni la patience de Dieu? C'est ce qui lui fait dire de ceux qui se croient sages dans le monde : « Je détruirai la sagesse des sages, et anéantirai la prudence des prudents. » Le bienheureux apôtre saint Paul, rempli du Saint-Esprit et envoyé pour appeler et convertir les Gentils, témoigne la même chose, quand il dit : « Prenez garde que personne ne vous séduise par la philosophie et par de vaines subtilités qui ne sont appuyées que sur les traditions des hommes, et sur les principes d'une science mondaine, et non sur la doctrine de Jésus-Christ. Car en lui habite toute la plénitude de la divinité. » Et en un autre endroit : « Que personne ne s'y trompe. Si quelqu'un parmi vous pense être sage, qu'il devienne fou selon le monde afin d'être sage. Car la sagesse du monde est une folie devant Dieu, puisqu'il est écrit: Je surprendrai les sages par leurs propres finesses; et ailleurs: Le Seigneur sait que les pensées des sages sont folles. » S'ils n'ont donc point de véritable sagesse, ils n'ont point non plus de véritable

patience. Car si pour être patient il faut être humble et doux, et qu'au lieu que les philosophes soient doux et humbles, nous voyons au contraire qu'ils se complaisent en eux-mêmes, ce qui fait qu'ils déplaisent à Dieu; il est manifeste que la vraie patience ne se trouve point où règnent une liberté effrénée et une vanité sans mesure et sans retenue. Mais pour nous, qui sommes philosophes non de paroles mais d'actions, qui ne mettons pas la sagesse dans l'habit mais dans les effets, qui aimons mieux être vertueux que de le paraître, qui ne disons pas de grandes choses mais qui tâchons de les faire, pratiquons comme de véritables serviteurs de Dieu la patience que lui-même nous enseigne par son exemple. Car cette vertu nous est commune avec Dieu. C'est du ciel qu'elle vient, et qu'elle tire son éclat et sa gloire. Les hommes doivent aimer une vertu qui est aimée de Dieu. Ce qu'une si haute majesté chérit ne peut être que grand et recommandable. Si Dieu est notre maître et notre Père, imitons sa patience; puisque des serviteurs doivent obéir à leur maître, et qu'il ne faut pas que des enfants dégénèrent de la vertu de leur père. Or quelle patience n'a-t-il point de souffrir que les hommes pour lui insulter bâtissent des temples, dressent des statues, offrent des sacrifices impies, et néanmoins de faire lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et d'arroser également de ses pluies la terre des uns et des autres? C'est par un effet de cette même patience que nous voyons les saisons et les éléments servir indifféremment par son ordre aux coupables et aux innocents, aux religieux et aux impies, aux reconnaissants et aux ingrats. C'est pour les uns et pour les autres que soufflent les vents, que coulent les sources, que croissent les blés, que mûrissent les raisins, que les arbres se couvrent de fruits, les forêts de feuilles, les prés de fleurs. On l'irrite tous les jours par de continuelles offenses, et il arrête sa colère, et attend en patience que le temps qu'il a

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prescrit pour se venger arrive. Il a la vengeance en main, mais il est si bon qu'il la diffère pour donner lieu aux hommes de se reconnaître et de se retirer de leurs crimes. Car il dit lui-même : « J'aime mieux que le pécheur se convertisse et vive, que non pas qu'il meure; » et par la bouche d'un autre prophète Retournez au Seigneur votre Dieu, car il est bon et miséricordieux, plein de patience et de douceur, et il révoque quelquefois les arrêts de sa justice et suspend ses fléaux. Et le bienheureux apôtre saint Paul de même, rappelant le pécheur à la pénitence: « Est-ce, » dit-il, « que vous méprisez sa bonté, sa douceur, et sa patience infinie? Ne savez-vous pas qu'il n'use de cette patience et de cette bonté que pour vous convier à faire pénitence? Et vous, par votre endurcissement et votre impénitence, vous vous amassez des châtiments pour le jour de la vengeance et du juste jugement de Dieu qui rendra à chacun selon ses œuvres. » Il appelle juste le jugement de Dieu, parce qu'il vient tard, parce qu'il le diffère longtemps afin de donner moyen à l'homme de rentrer dans le chemin de la vie. Car il ne punit les pécheurs que lorsque leur pénitence ne leur peut plus être utile. Mais pour nous faire encore mieux comprendre que la patience est une vertu divine, et que quiconque la pratique imite Dieu, Notre-Seigneur nous donnant dans l'Évangile des préceptes pour notre salut et des conseils de perfection: « Vous savez,» dit-il, qu'il est écrit: Vous aimerez votre prochain et haïrez votre ennemi. Mais moi je vous dis Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez enfants de votre Père qui est aux cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Car si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense mériterez-vous? Les publicains ne le font-ils pas aussi? Et si vous ne saluez que vos frères, que serez-vous au delà des autres? Les païens ne le font-ils pas aussi? Soyez

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donc parfaits comme l'est votre Père céleste. » Par où il nous apprend que les enfants de Dieu qui ont reçu une naissance céleste au baptême, sont parfaits lorsqu'ils ont la patience de leur Père, lorsqu'ils font reluire dans leurs actions cette ressemblance divine qu'Adam avait perdue par son péché. Quelle gloire est-ce de devenir semblable à Dieu! Quel bonheur de posséder une vertu qu'il possède! Et notre Seigneur Jésus-Christ n'a pas seulement enseigné la patience par ses paroles, mais par ses actions. Car comme il était descendu du ciel pour faire la volonté de son Père ainsi qu'il le témoigne luimême, parmi les autres vertus éclatantes par lesquelles il a donné des marques de sa divinité, il n'y en a point où il l'ait fait paraître plus qu'en celle-là. Aussi toutes ses actions, à commencer dès son avénement au monde, sont empreintes du caractère auguste de la patience. Premièrement il se dépouille de la gloire qu'il possédait dans le ciel et descend sur la terre, et lui qui est le Fils de Dieu n'hésite point à se revêtir de la chair de l'homme, et à porter les péchés d'autrui quoiqu'il fût exempt de tout péché. Il quitte l'immortalité pour devenir mortel et mourir innocent, afin de sauver les coupables. Ensuite, il veut bien être baptisé par un serviteur, et lui qui devait remettre les péchés par l'eau ne dédaigne pas d'y entrer comme s'il eût eu des péchés à se faire remettre. Il jeûne quarante jours, et celui qui subvient à la faim des autres la souffre, afin que ceux qui étaient affamés de la parole et de la grâce de Dieu fussent rassasiés de ce pain céleste. Il entre en lice avec le démon, et se contente de le vaincre par ses paroles sans lui faire autre mal. Il n'a pas commandé à ses disciples comme à ses serviteurs, mais il les a aimés comme ses frères. Il a même daigné laver les pieds à ses apôtres, afin qu'en en usant ainsi envers ses inférieurs, nous apprissions comment nous en devons user envers nos égaux. Et nous ne nous étonnerons pas qu'il ait été si bon à l'égard de ses disciples fidèles,

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