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rant par une vie mondaine les applaudissements des hommes. Si c'étaient des païens ou des juifs qui condamnassent la vie qu'elles mènent, elles auraient du moins la consolation de voir que leur conduite ne déplairait qu'à ceux à qui Jésus-Christ ne plaît pas; mais ce qu'il y a en ceci de plus énorme, c'est que ce sont des chrétiens qui, au lieu de prendre soin de leurs propres affaires et d'arracher la poutre qui leur crève les yeux, tâchent de découvrir une paille dans l'œil de leur prochain, déchirent cruellement la réputation de ceux qui prennent le parti de la piété, et s'imaginent remédier à leurs maux en décriant la sainteté, en censurant la conduite de tout le monde et en grossissant le nombre de ceux qui se perdent et qui vivent dans le libertinage.

Vous aimez à prendre le bain tous les jours; mais ces saintes femmes croient qu'il n'est propre qu'à les salir au lieu de les laver. Vous êtes repu de gelinottes et vous faites gloire d'avoir mangé de l'esturgeon; et moi, je ne me nourris que de fèves. Vous prenez plaisir à entendre les bouffonneries et les bons mots d'une bande de railleurs qui vous environnent; et moi, je me plais à voir couler les larmes que répandent Paule et Mélanie. Vous souhaitez de posséder ce qui appartient aux autres, et elles méprisent ce qu'elles possèdent. Vous aimez les liqueurs, et elles trouvent plus de plaisir à boire de l'eau froide. Vous croyez perdre tout ce qui échappe pendant cette vie à votre avarice, à votre délicatesse, à votre gourmandise; mais ces femmes, sûres qu'elles sont des promesses que Dieu leur fait dans l'Écriture, tournent du côté du ciel tous les désirs et toutes les affections de leur cœur. Je veux que leur espérance soit frivole et chimérique ; que vous importe? elle est fondée, cette espérance, sur l'assurance qu'elles ont de ressusciter un jour. Quant à nous, nous avons horreur de la vie que vous menez. Soyez gros et gras, à la bonne heure; pour moi, j'aime à avoir le visage pâle et décharné. Vous vous imaginez que notre

genre de vie n'est propre qu'à faire des malheureux, mais nous vous croyons encore plus malheureux que nous. Ainsi, nous opposons les reproches aux reproches, et nous nous regardons les uns les autres comme des insensés.

Je vous écris ceci, chère Asella, du bord du vaisseau. sur lequel je viens de m'embarquer; et je vous l'écris les larmes aux yeux et le cœur pénétré de douleur. Je rends grâces à mon Dieu de ce qu'il m'a jugé digne de la haine du monde. Obtenez-moi de lui de pouvoir retourner de Babylone à Jérusalem, afin qu'affranchi de la domination de Nabuchodonosor, je puisse passer mes jours sous celle de Jésus, fils de Josedech. Fasse le ciel qu'un nouvel Esdras vienne me reconduire en mon pays! J'étais bien insensé de vouloir chanter les cantiques du Seigneur sur une terre étrangère, et d'abandonner la montagne de Sinaï pour mendier le secours de l'Égypte. J'avais oublié ce que dit l'Évangile, qu'on ne peut sortir de Jérusalem sans tomber aussitôt entre les mains des voleurs, qui dépouillent, qui blessent et qui tuent tous ceux qu'ils rencontrent. Quoique le prêtre et le lévite me méprisent, je ne serai pas abandonné du charitable Samaritain, je veux dire de celui que les Juifs appelèrent autrefois Samaritain et possédé du démon, et qui, après avoir rejeté le nom de possédé, ne refusa pas celui de Samaritain, qui, dans la langue hébraïque, signifie Gardien. Quelques-uns m'accusent d'être sorcier; comme je suis serviteur de Jésus-Christ, je reconnais en cela la marque et le caractère de ma foi; les Juifs ont appelé mon divin maître magicien, et l'apôtre saint Paul a été traité comme un séducteur. Dieu veuille que je ne sois exposé qu'à « des tentations humaines et ordinaires. » Quelle part ai-je encore eue aux souffrances de Jésus-Christ, moi qui combats sous l'étendard de la croix? L'on.m'a imputé des crimes. infâmes et honteux, mais je sais qu'on arrive au royaume du ciel à travers la bonne et la mauvaise réputation. >>

Saluez de ma part Paule et Eustochie, qui, malgré les discours du monde, me seront toujours chères en JésusChrist. Saluez aussi notre bonne mère Albine, notre sœur Marcelle, Marcelline et sainte Félicité; et dites-leur que nous comparaîtrons tous un jour devant le tribunal de Jésus-Christ, et que là seront développés les replis les plus secrets de nos cœurs. Souvenez-vous de moi, ma chère Asella, vous qui êtes l'exemple et l'ornement des vierges, et calmez par vos prières les orages et les tempêtes de la

mer.

(Saint Jérôme. Lettre XLIX.)

XXIII. DE L'AUMONE.

Les grâces que nous avons reçues de Dieu et de JésusChrist sont grandes. Car le Père éternel a envoyé son Fils pour nous racheter et nous rendre la vie; et le Fils de Dieu a bien voulu devenir enfant de l'homme pour nous faire enfants de Dieu. Il s'est humilié afin de nous relever lorsque nous étions abattus. Il a été couvert de plaies afin de guérir les nôtres. Il s'est fait esclave pour nous tirer de l'esclavage. Il a souffert la mort pour nous procurer l'immortalité. Ces faveurs sont considérables et signalées. Mais quelle n'est pas la bonté de Dieu qui, ne se contentant pas d'avoir racheté l'homme, lui accorde encore les moyens de se sauver? Car Notre-Seigneur, ayant guéri en venant au monde les blessures d'Adam et les morsures du serpent, notre ancien ennemi, il donna une loi à l'homme ainsi guéri, et lui commanda de ne plus pécher, de peur qu'il ne lui arrivât quelque malheur plus déplorable. Ce commandement, d'un côté, nous liait et nous obligeait à conserver notre innocence recouvrée; mais notre faiblesse, d'une autre part, nous en rendait incapables, si la bonté de Dieu venant encore à notre secours ne nous eût ouvert une voie en nous montrant les œuvres de justice et de miséricorde, pour purifier par là toutes les souillures que nous pouvions contracter ensuite. C'est ce que le Saint-Esprit témoigne dans l'Écriture « Les péchés, dit-il, sont lavés par la foi et par les aumônes. » Ce qui ne se doit pas entendre des péchés contractés avant le baptême, car ceux-là ont été effacés par le sang de Jésus-Christ. L'Écriture dit encore: « Comme l'eau éteint le feu, ainsi l'aumône efface les péchés. » C'est-à-dire que, comme l'eau du baptême éteint le feu de l'enfer, les aumônes et les bonnes œuvres

servent à remettre les péchés, et que, comme nous en avons une fois obtenu le pardon dans le baptême, la pratique continuelle des œuvres de miséricorde renouvelle en quelque sorte la vertu de ce sacrement, et nous fait encore obtenir la même grâce. C'est ce que Notre-Seigneur nous enseigne dans l'Evangile. Car, comme on reprenait ses disciples de ce qu'ils mangeaient avant d'avoir lavé leurs mains, il répondit : « Celui qui a lavé le dedans a lavé aussi le dehors; mais donnez l'aumône et toutes choses seront pures pour vous. » Par où il indique que ce n'est pas les mains, mais le cœur qu'il faut nettoyer, et que l'on doit avoir plus de soin de purifier les taches du dedans que du dehors, parce que l'esprit ne saurait être pur que le corps ne le soit aussi. Mais il ajoute en même temps que le moyen de nous purifier, c'est de faire l'aumône. Un Dieu miséricordieux enseigne à faire miséricorde, et, songeant à conserver ceux qui lui ont coûté si cher à racheter, il leur apprend comment ils peuvent se laver des fautes qu'ils commettent après le baptême. Reconnaissons donc la grandeur de ce bienfait, et puisqu'il est inévitable que nous recevions ici-bas quelques blessures, employons au moins ces remèdes pour les guérir. Et que personne ne se repose tellement sur son innocence qu'il s'imagine n'en avoir point besoin. Il est écrit: « Qui osera se glorifier d'avoir le cœur chaste, ou d'être exempt de péché? » Et saint Jean, dans son Épître : « Si nous disons que nous sommes sans péché, nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous. Mais si nous confessons nos péchés, le Seigneur est fidèle et juste, et il nous les pardonnera. Si donc personne n'est exempt de péché, et que ce soit un orgueil ou une folie de le prétendre, ne devons-nous pas remercier Dieu de nous avoir fourni des moyens pour nous en purifier? Car il n'a jamais cessé dans les Écritures saintes, tant anciennes que nouvelles, d'exciter son peuple aux œuvres de miséricorde, et le

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