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ainsi que moi, qui suis cet homme intérieur et un esprit élevé au-dessus du corps, je les ai connues par les sens de ce corps qui m'environne.

J'ai interrogé ensuite tout l'univers au sujet de mon Dieu, et il m'a répondu : Je ne suis pas Dieu, et c'est lui qui m'a créé. Mais cette même machine du monde n'apparaît-elle pas à tous ceux qui ont des yeux? D'où vient donc qu'elle ne tient pas à tous le même langage? Car il est hors de doute que les animaux grands et petits la peuvent voir; mais ils ne sauraient l'interroger, d'autant qu'ils n'ont point de raison en eux qui soit établie pardessus leurs sens et à quoi ils puissent rapporter ce qu'ils aperçoivent; au lieu que les hommes sont capables d'adresser ces questions, afin de comprendre les invisibles beautés de Dieu par les choses visibles qu'il a créées. Mais comme ils s'attachent à ces créatures, l'amour qu'ils ont pour elles les soumet à elles, et fait que leur étant ainsi soumis ils ne peuvent plus en juger.

Or les créatures ne répondent, sur les demandes qui leur sont adressées, qu'à ceux qui sont en état de juger de leurs réponses. Car quoiqu'elles ne changent point de langage, parce que leur langage n'est autre chose que leur nature, et qu'elles ne paraissent point d'une manière différente à celui qui ne fait que les voir et à celui qui en les voyant les interroge, néanmoins, en leur paraissant à tous deux d'une même sorte, elles sont muettes pour l'un et elles parlent à l'autre ; ou, pour mieux dire, elles leur parlent à tous, mais elles ne sont entendues que de ceux qui consultent la vérité au dedans d'eux-mêmes, sur ce qu'ils apprennent d'elles au dehors par l'entremise de leurs sens. En effet, la vérité me dit : Le ciel ni la terre, ni aucun de tous les corps qui sont dans le monde n'est ton Dieu, et leur nature le prouve à tous ceux qui la considèrent, puisqu'il n'y a point de corps qui ne soit moindre en l'une de ses parties qu'en son tout. C'est pourquoi, ô mon âme (car c'est à toi que je parle)! tu ne peux douter

que tu ne sois beaucoup plus excellente que le corps, puisque c'est toi qui le soutiens et qui l'animes: ce que nul corps ne peut faire à l'égard d'un autre corps. Or ton Dieu est la vie même de ta vie.

(Saint Augustin. Confessions, Liv. VII, ch. xvII, Liv. X, ch. vi.)

V. LA MER.

la mer

Dieu vit que la mer était bonne. En effet que offre d'admirables beautés, soit lorsque ses ondes blanchissantes s'élèvent en montagnes liquides et arrosent les rochers d'une pluie brillante comme la neige, soit lorsque ses flots frémissent sous une molle brise, ou sur leur fond transparent et tranquille projettent une couleur empourprée, dont les lueurs se réfléchissent au loin dans les regards de ceux qui la contemplent! Quand ses vagues émues ne vont pas frapper avec violence les rivages voisins, mais les lèchent de leurs caresses et les saluent de leurs embrassements, que le son de la mer est doux, que son bruit est agréable, que le choc de ses eaux est délicieux et plein d'harmonie! Et cependant je ne crois pas que ce soit cette éblouissante splendeur de sa création, qui ait fait dire à Dieu que la mer est bonne; l'ouvrier a jugé que son ouvrage se rapportait au dessein qu'il avait

conçu.

Donc la mer est bonne; car, d'abord, elle entretient dans la terre une humidité nécessaire, en y faisant couler par des conduits secrets comme un suc nourricier. La mer est bonne; car elle reçoit les fleuves, elle est la source des pluies, un dérivatif pour les alluvions, un moyen de transport pour les vivres, un lien qui réunit les peuples éloignés, un obstacle qui écarte les périls des combats, une barrière contre la fureur des barbares, une ressource dans les nécessités, un refuge dans les périls, un agrément dans les voluptés; elle affermit la santé, rapproche ceux qui sont séparés, abrége le chemin, permet à ceux qui souffrent de chercher des contrées meilleures, fournit à nos besoins, alimente les terres stériles.

Énumérerai-je les îles, dont la mer se pare comme une

femme de joyaux? C'est dans ces îles que se retirent ceux qui fuient les amorces et l'intempérance du siècle, qui embrassent les austérités de la continence, et, voulant être cachés au monde, évitent les périlleux écueils de cette vie. La mer est donc un asile pour la tempérance, pour la continence un exercice, pour la gravité un abri; elle est le port qui offre la sécurité, et où se réfugie la sobriété de ce monde, en même temps que les âmes fidèles et pieuses y trouvent une excitation à leurs ardeurs, de telle sorte qu'au doux bruit des vagues murmurantes s'ajoute, comme en un concert, le chant des saints qui psalmodient, et les îles résonnent des hymnes de paix qui s'élèvent du sein des flots.

Comment pourrais-je comprendre toute la beauté de la mer, toute la beauté qu'y vit le Créateur? Quoi plus? Qu'est-ce autre chose que ce frémissement des ondes, que le frémissement même du peuple? Aussi a-t-on souvent comparé avec vérité la mer à l'Église, qui d'abord est inondée des flots du peuple qui entre et qu'elle vomit par ses vestibules; puis, pendant la prière, toute la foule, semblable au reflux, bruit, lorsque les répons des psaumes, le chant des hommes, des femmes, des vierges, des enfants retentissent avec éclat comme des vagues qui s'entrechoquent et se brisent. D'ailleurs l'eau ne lave-t-elle pas péché, et le souffle salutaire du Saint-Esprit ne plane-t-il pas à sa surface?

le

Que le Seigneur nous accorde de traverser sur un bois sauveur la mer des vicissitudes, de nous arrêter dans un port abrité, de ne point connaître les tentations du mal spirituel, qui dépasseraient nos forces, d'ignorer les naufrages de la foi, de goûter une paix profonde; et si un vent vient à souffler, qui soulève contre nous les flots impétueux de ce siècle, nous aurons un vigilant pilote dans le Seigneur Jésus, qui d'un mot commandera, apaisera la tempête, et répandra de nouveau la tranquillité sur les eaux.

Mais quittons maintenant la profondeur des mers; que

notre discours émerge et s'élève un peu au-dessus des flots. Considérons ces objets, qui sont d'un si grand usage et si pleins de grâce: comment l'eau se changet-elle en un sel si solide, qu'il faut souvent le briser avec le fer? Car le fer n'est pas trop résistant pour le sel de Bretagne, qui offre l'apparence du marbre le plus dur, qui resplendit de l'éclat argenté de la neige, qui est pour les corps un aliment salubre à la fois et une boisson délicieuse. Comment se fait-il que cette pierre brillante qu'on appelle le corail soit une herbe de la mer, et qu'il suffise de l'exposer à l'air pour qu'elle acquière la solidité d'un minéral? Comment encore la nature a-t-elle placé dans les huîtres la perle qui est d'un si grand prix? Comment, dans une chair si molle, l'eau de la mer l'a-t-elle solidifiée? Ces choses qu'on trouve difficilement chez les rois, sont répandues çà et là sur le rivage, comme de nul prix, et c'est parmi les rochers escarpés et les pierres qu'on les ramasse. La mer nourrit aussi une toison dorée, et ses rivages produisent une laine qui a tout l'éclat vanté de l'or, couleur admirable, que n'ont pu encore imiter les artisans les plus habiles à teindre les tissus tant il est vrai que l'industrie humaine est impuissante à égaler la grâce qui appartient aux produits de la mer. Nous savons avec quelle sollicitude on soigne les toisons des brebis, même les toisons les plus viles; mais fussentelles excellentes, ce n'est point à elles qu'il faut demander le fucus, dont aucune couleur n'égale la couleur ; et cette toison précieuse est la dépouille d'un poisson. Enfin la pourpre elle-même, qui donne aux rois leur marque distinctive, la pourpre se tire de la mer.

Qui pourrait d'ailleurs comparer l'émail des prairies, ou les agréments des jardins à l'azur de la mer, qui se déroule comme en un tableau? Au milieu des prairies," les fleurs, il est vrai, brillent de l'éclat de l'or; mais le duvet des plantes maritimes n'est-il pas aussi éclatant que l'or? Les fleurs aussi bien se flétrissent vite, et les

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