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VII. LES OISEAUX.

Il y a des oiseaux qui se laissent toucher, qui s'habituent à la table d'un maître et qui se plaisent à nos caresses; d'autres sont timides; les uns aiment à avoir la même habitation que l'homme; les autres cherchent dans les déserts une vie retirée, et pour eux la difficulté de se procurer de la nourriture est compensée par l'amour de la liberté. Ceux-ci font seulement entendre des cris, ceux-là s'égayent en des modulations harmonieuses et suaves. Quelques-uns doivent à la nature, d'autres à l'éducation d'articuler des sons, de telle sorte qu'il semble que ce soit un homme qui parle, lorsque c'est un oiseau. Combien le chant des merles est doux, combien la voix du perroquet est expressive! Il y a aussi des oiseaux qui sont simples, comme les colombes; d'autres rusés, comme les perdrix; le coq est plein de jactance et le paon d'orgueil. D'ailleurs, le genre de vie varie chez les oiseaux et aussi leurs ouvrages; car les uns aiment à vivre en commun, à réunir leurs forces pour former une république, ou obéir à un roi; d'autres vivent chacun pour soi, se refusent à tout commandement, et, s'ils sont pris, s'efforcent de sortir d'un esclavage qui les indigne.

Ainsi commençons par ceux qui imitent nos mœurs. Chez eux, en effet, il y a comme une police et une milice naturelle; chez nous elle est obligée et servile. Combien est spontanée et volontaire l'habitude des grues, qui durant la nuit veillent attentives! Vous apercevriez des sentinelles placées, et tandis que le reste de la troupe repose, il y a des grues qui vont et viennent et font la garde, pour que d'aucun côté on ne puisse tendre des embûches; leur vigilance infatigable assure une sécurité parfaite. Dès que le temps de la veille est passé, la grue, qui s'est acquittée

de l'emploi de sentinelle, se dispose au sommeil, après avoir poussé d'abord un cri éclatant, qui avertit la grue qui dort et à qui elle doit céder la place. Celle-ci accepte volontiers le rôle qui lui échoit à son tour, et ce n'est pas, à la manière des hommes, malgré elle et avec paresse qu'elle renonce au sommeil : elle est alerte à quitter sa couche, à remplir son emploi, et à rendre avec un soin égal et avec empressement le service qu'elle a reçu. Aussi n'y a-t-il aucune désertion, parce que le dévouement est naturel; aussi la surveillance est-elle sûre, parce que la volonté est libre.

Lorsqu'elles volent, les grues observent le même ordre, et par cet équitable partage diminuent la fatigue; car elles se chargent, successivement, de conduire la troupe. L'une d'elles, en effet, précède les autres pendant un temps déterminé, et court, pour ainsi dire devant les enseignes; ensuite elle revient et cède à la suivante le soin de la direction. Qu'y a-t-il de plus beau que de voir les travaux et les honneurs communs à tous, et la puissance déférée alternativement à chacun, au lieu d'être l'attribution d'un petit nombre?

C'est là une imitation de l'antique république et comme la copie d'un État libre. C'est ainsi qu'au commencement les hommes, à l'exemple des oiseaux, s'accommodèrent au régime que leur indiquait la nature; les travaux étaient communs, les dignités communes, les charges également réparties, l'obéissance et le commandement divisés; personne n'était destitué d'honneurs, personne non plus exempt de travaux. C'était là un bien bel ordre de choses; on ne pouvait trouver dans la perpétuité du pouvoir l'arrogance, ni dans une continuelle servitude l'accablement; comme on était sans envie, les charges étaient distribuées à tour de rôle, le temps de leur exercice limité, la supériorité passagère; de la sorte, on supportait patiemment une domination qui tombait par une commune loi.

Aucun citoyen n'osait opprimer un autre citoyen, qui, en lui succédant au pouvoir, l'aurait abreuvé des mêmes dégoûts. La fatigue ne pesait à personne, allégée qu'elle était par la dignité qui allait suivre. Mais après que le désir de la domination eut poussé les hommes à s'emparer d'une autorité qui ne leur appartenait pas, et à ne pas vouloir quitter le pouvoir qu'ils avaient obtenu; après que la milice eut cessé d'être le droit commun, pour devenir une servitude; après que la transmission régulière de la puissance eut fait place à des contentions ambitieuses, les charges elles-mêmes commencèrent à sembler plus lourdes; or, là où il n'y a pas bon vouloir, bientôt naît l'incurie.

Voyons maintenant combien la piété et la prudence des êtres raisonnables sont dépassées par la bonté de la cigogne, et imitons, si nous le pouvons, l'exemple de cet oiseau.

Car lorsque son père, épuisé de vieillesse, a perdu les plumes qui recouvraient ses membres et n'offre plus qu'un corps dépouillé, la cigogne l'entoure et le réchauffe de son propre duvet. Que dire de la nourriture qu'elle prépare et lui apporte, tandis qu'elle-même, cherchant à réparer les pertes infligées par la nature, soulève le vieil oiseau à l'aide de ses ailes, l'exerce à voler et s'efforce pieusement de rendre à son père l'usage oublié de ses membres?

Qui de nous ne répugnerait à soulever un père malade? Qui de nous mettrait sur ses épaules un vieillard accablé par l'âge, ce qui paraît à peine croyable dans l'histoire? Quel est celui, pour pieux qu'il soit, qui ne laisse pas ce soin aux derniers des esclaves? Pour les oiseaux, au contraire, il n'y a rien de pénible de ce qu'ordonne la piété; rien ne coûte de ce qui est une dette de la nature. Les oiseaux ne refusent pas de nourrir un père, ce que beaucoup d'hommes ont refusé, obligés même par la terreur des lois. Or, ce n'est pas

une loi écrite qui astreint les oiseaux, c'est une loi naturelle....

Les oiseaux nous donnent donc l'exemple de la piété filiale apprenons maintenant quelle doit être la sollicitude d'une mère pour ses enfants. L'hirondelle, dont le corps est assez petit, mais dont l'instinct et la piété sont sublimes, alors même qu'elle manque de toutes choses, construit des nids plus précieux que l'or, parce qu'elle les construit avec sagesse. Car le nid de la sagesse est préférable à l'or. En effet, l'hirondelle pourrait-elle agir plus sagement que de se réserver la pleine liberté de son vol, et de mettre ses petits en sûreté dans l'habitation et sous le toit des hommes, où rien ne menace sa progéniture? Car cela aussi est remarquable, que dès leur naissance elle accoutume ses petits au bruit des conversations des hommes, et les préserve ainsi des embûches des oiseaux ennemis. Peut-on ne pas s'émerveiller encore de la façon dont elle se dispose une demeure sans aucun secours étranger, et comme si elle connaissait les lois de l'art? Car elle prend des pailles avec son bec, et les trempe de boue, afin qu'elle les puisse agglutiner. Mais comme il ne lui est pas possible d'emporter de la boue avec ses pieds, elle plonge dans l'eau l'extrémité de ses ailes, pour que la poussière s'y attache, et forme ainsi un limon, à l'aide duquel peu à peu elle réunit des pailles et de petits brins de bois et les fait adhérer de cette manière, elle parvient à construire tout un nid, douce retraite où ses petits peuvent s'agiter en sûreté comme sur un terrain solide, sans que leur pied risque de s'engager dans les fentes de la contexture, ou que le froid puisse se glisser sur leurs membres délicats....

Que les hommes apprennent encore à aimer leurs enfants, en considérant les mœurs et la piété des corneilles, qui accompagnent attentivement leurs petits, alors même qu'ils sont en état de voler, et, de peur que leurs forces naissantes ne viennent à leur man

quer, leur fournissent des aliments, et la plupart du temps n'abandonnent pas le soin de les nourrir. Chez nous, au contraire, les femmes se hâtent de refuser leur lait à des enfants même qu'elles chérissent ou si elles sont riches, elles s'épargnent le déplaisir de les allaiter. Les plus pauvres rejettent leurs enfants, les expulsent et refusent de les reconnaître.... Quel autre que l'homme a appris à dépouiller des fils? Qui a inventé ces droits si terribles des pères? Qui a établi l'inégalité entre des frères, quand la nature leur avait fait un sort égal? Les fils d'un riche sont traités diversement; l'un est comme accablé des legs que lui transmet son père; l'autre gémit de ne recueillir d'un riche héritage qu'une faible et insignifiante portion. Est-ce que la nature a divisé les mérites des fils? Elle leur accorde également à tous ce qui leur est nécessaire pour naître et pour vivre. Qu'elle vous enseigne donc à ne pas distinguer, dans le partage de vos biens, ceux que vous avez rendus égaux par le titre de frères. Car puisqu'ils vous doivent d'avoir une naissance commune, pourquoi leur envier de posséder en commun des biens, auxquels la nature les substitue?

Venons maintenant à la tourterelle que la loi de Dieu a choisie comme l'offrande la plus pure. Car lors de la circoncision du Seigneur, la tourterelle fut offerte, « parce qu'il est écrit dans la loi du Seigneur, qu'on donnerait une paire de tourterelles ou deux jeunes colombes. >>

C'est là en effet le vrai sacrifice qui convient au Christ, la chasteté du corps et la grâce spirituelle. La chasteté se rapporte à la tourterelle, et la grâce à la colombe. Car on dit que la tourterelle, une fois qu'elle a perdu son époux, n'a plus qu'en dégoût les liens et le nom de l'hyménée; en perdant son bien-aimé, elle a vu tromper son premier amour; c'est pour elle une déception sans fin, une amertume qui naît de la douceur même de sa ten

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