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XVI. DE L'IMMENSITÉ ET DE LA BEAUTÉ DE

DIEU.

Le ciel et la terre vous renferment-ils en eux, Seigneur, parce que vous les remplissez? Ou les remplissez-vous de telle sorte qu'il reste encore quelque chose de vous après que vous les avez remplis parce qu'ils ne peuvent vous renfermer tout en eux? Que si cela est, mon Dieu, où répandez-vous ce qui reste ainsi de vous, après que vous avez rempli le ciel et la terre? Mais n'est-ce point une pensée plus digne de votre grandeur, de croire que vous n'avez pas besoin d'être contenu par quelque chose, vous qui contenez toutes choses, parce que vous ne les remplissez de vous qu'en les contenant en vous? Car les vases qui sont pleins de vous ne vous tiennent pas renfermé en eux et arrêté par leur circonférence, comme ils contiennent et arrêtent l'eau dont ils sont remplis; puisque encore qu'ils se brisent, vous ne vous répandez point. Et lorsque vous vous répandez sur nous, vous ne tombez pas comme une liqueur qui est répandue, mais vous nous élevez vers vous et vous ne vous écoulez pas, mais vous nous rassemblez et réunissez en vous.

Or, remplisssant ainsi toutes choses dans cette vaste étendue de votre être infini et universel, les remplissezvous toutes de toute cette universalité de votre être? Ou parce qu'elles ne peuvent toutes vous comprendre tout entier, ne comprennent-elles que quelque partie de vous; et est-ce la même partie de vous qu'elles comprennent toutes ensemble? Ou chacune d'elles en comprend-elle une en particulier, les plus grandes une plus grande, et les plus petites une plus petite, comme s'il pouvait y avoir en vous de plus grandes et de plus petites parties? Ou ne devons-nous pas dire plutôt que vous êtes tout entier en

toutes choses, et qu'aucune chose néamoins ne vous comprend tout entier?

Qu'êtes-vous donc, ô mon Dieu, qu'êtes-vous, sinon le Dieu et le maître de toutes les créatures? Car y a-t-il un autre Dieu que le Seigneur, y a-t-il un autre Dieu que celui que nous adorons? C'est vous, Seigneur, dont la majesté suprême est accompagnée d'une suprême bonté, et qui n'avez pas seulement une très-grande puissance, mais une toute-puissance qui est infinie. C'est vous qui êtes également très-miséricordieux et très-juste: qui, étant très-présent partout, êtes néanmoins très-invisible et très-caché en tous lieux, et n'êtes pas moins aimable par votre parfaite et souveraine beauté, que redoutable par votre force invisible. C'est vous, ô mon Dieu, qui, subsistant dans un être toujours immobile et toujours le même, êtes néanmoins toujours incompréhensible; qui, bien que vous soyez immuable, causez tous les changements et toutes les révolutions du monde; et qui, n'étant ni nouveau ni ancien, ni jeune ni vieux, renouvelez toutes choses et faites vieillir et sécher en même temps toute la force et la vigueur des superbes, sans qu'ils sentent votre main qui les précipite. C'est vous, Seigneur, qui agissez sans cesse, et ne laissez pas de demeurer dans un éternel repos; et qui, bien que vous soyez incapable d'aucune indigence, avez soin toutefois de recueillir le fruit de vos dons. C'est vous qui nous soutenez de votre main, qui nous remplissez de votre esprit et qui nous couvrez de votre protection. C'est vous qui nous créez de nouveau en nous tirant du néant de notre péché : qui nous nourrissez par votre parole, et qui nous perfectionnez peu à peu par l'accroissement de votre grâce. C'est vous enfin qui nous cherchez après que nous nous sommes perdus, comme si vous aviez quelque besoin de nous

retrouver.

Vous aimez, Seigneur; mais vous aimez sans trouble

et sans passion. Vous êtes jaloux; mais vous êtes exempt des craintes et des inquiétudes de la jalousie. Vous vous repentez; mais votre repentance est sans douleur et sans tristesse. Vous vous mettez en colère; mais il n'y a rien de plus calme ni de plus tranquille que votre colère. Vous changez vos ouvrages, mais vous ne changez point vos desseins et vos conseils. Vous recouvrez ce que vous n'avez pu perdre. Vous êtes comblé de richesses, et vous aimez les grands gains comme si vous étiez pauvre. Vous n'êtes point avare; et vous exigez toutefois l'intérêt et l'usure des dons que vous dispensez aux hommes. Quoique personne ne puisse rien posséder qui ne soit à vous, on ne laisse pas de vous donner plus que vous ne demandez, afin que vous soyez redevable. Vous rendez ce que vous devez, sans être obligé par aucune dette et vous remettez ce qu'on vous doit, sans rien perdre de ce que vous remettez. Mais quelle proportion y a-t-il, mon Dieu, entre ce que vous êtes, et ce que je viens de dire de vous, ô mon Seigneur! ô ma vie! ô mes chères et saintes délices! Et que dit-on de grand de votre divine majesté lorsqu'on en dit les plus grandes choses? Combien donc sont malheureux ceux qui ne parlent point du tout de vous, ô mon Dieu! puisque ceux même qui parlent le plus sont des muets s'ils ne parlent de vous.

Et cependant, que j'ai commencé tard à vous aimer, ô beauté si ancienne et si nouvelle! Que j'ai commencé tard à vous aimer! Vous étiez au dedans de moi : mais, hélas! j'étais moi-même au dehors de moi-même. C'était en ce dehors que je vous cherchais. Je courais avec ardeur après ces beautés périssables qui ne sont que les ouvrages et les ombres de la vôtre, tandis que je faisais périr misérablement toute la beauté de mon âme, et que je la rendais par mes désordres monstrueuse et difforme. Vous étiez avec moi, mais je n'étais pas avec vous. Car ces beautés, qui ne seraient point si elles n'étaient en vous,

m'éloignaient de vous. Vous m'avez appelé : vous avez crié, et vous avez ouvert les oreilles de mon cœur en rompant et en brisant tout ce qui me rendait sourd à votre voix. Vous avez frappé mon âme de vos éclairs : vous avez lancé vos rayons sur elle, et vous avez chassé toutes les ténèbres qui la rendaient aveugle au milieu de votre lumière même. Vous m'avez fait sentir l'odeur incomparable de vos parfums, et j'ai commencé à ne respirer que et à soupirer après vous; j'ai goûté la douceur de votre grâce, et me suis trouvé dans une faim insatiable et dans une soif inextinguible de ces délices célestes. Vous m'avez touché, et je suis devenu tout brûlant d'ardeur pour la jouissance de votre éternelle félicité.

vous,

(Saint Augustin. Confessions, liv. Ier, ch. 111-1; liv. X, ch. xxvII).

XVII. DE LA JUSTICE DE DIEU.

Je ne connaissais point cette justice intérieure et véritable, qui ne juge pas selon la coutume, mais selon la loi très-juste du Dieu tout-puissant, et qui ordonne des pratiques différentes selon les diverses rencontres des temps et les différentes qualités des nations, quoiqu'elle demeure la même dans tous les temps et dans toutes les nations. Je ne considérais pas que c'est par cette justice qu'ont été justes Abraham, Isaac, Jacob, Moïse et David, et tous ces autres grands patriarches qui ont été loués par la bouche de Dieu même; et que, s'ils passent dans l'estime de quelques ignorants pour injustes et déréglés, c'est parce qu'on juge humainement de ces divins hommes, et qu'on mesure par leurs actions et leurs coutumes particulières la conduite générale du genre humain. De même que si quelqu'un qui n'aurait jamais ouï dire comment il se faut armer, entrant dans arsenal se couvrait la tête avec des cuissarts, et s'armait les jambes et les cuisses avec un casque; puis se plaignait ensuite que ces armes seraient mal faites. Ou comme si en un jour où l'on aurait défendu de tenir marché après-midi, quelqu'un s'offensait de ce qu'il ne -lui serait pas permis de vendre alors ce qu'il aurait pu vendre le matin. Ou enfin comme si quelqu'un trouvait étrange que dans une maison quelques serviteurs maniassent des choses malpropres, auxquelles celui qui donne à boire ne doit pas toucher; et qu'il trouvât mauvais que dans une même maison et parmi les serviteurs d'un même maître toutes choses ne fussent pas également permises, ni à tous, ni en tous lieux.

un

Or c'est précisément ce que font ceux qui ne peuvent souffrir qu'on leur dise que ce qui a été permis aux anciens

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