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Mais cette raillerie, en un mot, m'importune:
Brisons là, s'il vous plaist.

CHRISALDE.

Vous estes en courroux :

Nous en sçaurons la cause. Adieu; souvenez-vous, Quoy que sur ce sujet vostre honneur vous inspire, Que c'est estre à demy ce que l'on vient de dire Que de vouloir jurer qu'on ne le sera pas.

ARNOLPHE.

Moy, je le jure encore, et je vais de ce pas
Contre cet accident trouver un bon remede.

SCENE IX.

ALAIN, GEORGETTE, ARNOLPHE.

ARNOLPHE.

Mes amis, c'est icy que j'implore vostre aide.
Je suis édifié de vostre affection.

Mais il faut qu'elle éclate en cette occasion;
Et, si vous m'y servez selon ma confiance,
Vous estes asseurez de vostre recompense.
L'homme que vous sçavez, n'en faites point de bruit,
Veut, comme je l'ai sceu, m'attraper cette nuit,
Dans la chambre d'Agnés entrer par escalade;
Mais il luy faut, nous trois, dresser une embuscade,
Je veux que vous preniez chacun un bon baston,
Et, quand il sera prés du dernier eschelon

(Car dans le temps qu'il faut j'ouvriray la fenestre),

Que tous deux à l'envy vous me chargiez ce traistre,
Mais d'un air dont son dos garde le souvenir,
Et qui luy puisse apprendre à n'y plus revenir,
Sans me nommer pourtant en aucune maniere,
Ny faire aucun semblant que je seray. derriere.
Aurez-vous bien l'esprit de servir mon courroux?
ALAIN.

S'il ne tient qu'à frapper, mon Dieu, tout est à nous,
Vous verrez, quand je bats, si j'y vais de main morte.
GEORGETTE.

La mienne, quoy qu'aux yeux elle semble moins forte, N'en quitte pas sa part à le bien estriller.

ARNOLPHE.

Rentrez donc, et sur tout gardez de babiller.
Voila pour le prochain une leçon utile,
Et, si tous les maris qui sont en cette ville
De leurs femmes ainsi recevoient le galand,
Le nombre des cocus ne seroit pas si grand.

ACTE V

SCENE PREMIERE.

ALAIN, GEORGETTE, ARNOLPHE

ARNOLPHE.

RAISTRES, qu'avez-vous fait par cette violence?

TRAI

ALAIN.

Nous vous avons rendu, Monsieur, obeïssance.

ARNOLPHE.

De cette excuse en vain vous voulez vous armer.
L'ordre estoit de le battre, et non de l'assommer,
Et c'estoit sur le dos, et non pas sur la teste,
Que j'avois commandé qu'on fist choir la tempeste.
Ciel! dans quel accident me jette icy le sort!
Et que puis-je resoudre à voir cet homme mort?
Rentrez dans la maison, et gardez de rien dire
De cet ordre innocent que j'ay pû vous prescrire :
Le jour s'en va paroistre, et je vais consulter
Comment dans ce malheur je me dois comporter.
Helas! que deviendray-je? et que dira le
pere
Lorsqu'inopinément il sçaura cette affaire?

SCENE II.

HORACE, ARNOLPHE.

HORACE.

Il faut que j'aille un peu reconnoistre qui c'est.

ARNOLPHE.

Eust-on jamais preveu.......? Qui va là, s'il vous plaist?

HORACE.

C'est vous, Seigneur Arnolphe?

ARNOLPHE.

Oüy; mais vous...

HORACE.

C'est Horace.

Je m'en allois chez vous vous prier d'une grace.

Vous sortez bien matin?

ARNOLPHE, bas.

Quelle confusion!

Est-ce un enchantement? est-ce une illusion?

HORACE.

J'estois, à dire vray, dans une grande peine,

Et je benis du Ciel la bonté souveraine

Qui fait qu'à point nommé je vous rencontre ainsi. Je viens vous avertir que tout a reüssi,

Et mesme beaucoup plus que je n'eusse osé dire,

Et

par un incident qui devoit tout detruire.

Je ne sçay point par où l'on a pu soupçonner
Cette assignation qu'on m'avoit sceu donner;
Mais, estant sur le poinct d'atteindre à la fenestre,

J'ay, contre mon espoir, veu quelques gens paroistre,
Qui, sur moy brusquement levant chacun le bras,
M'ont fait manquer le pied et tomber jusqu'en bas;
Et ma cheute, aux despens de quelque meurtrisseure,
De vingt coups de baston m'a sauvé l'avanture.
Ces gens-là, dont estoit, je pense, mon jaloux,
Ont imputé ma cheute à l'effort de leurs coups;
Et, comme la douleur un assez long espace
M'a fait sans remuër demeurer sur la place,
Ils ont cru tout de bon qu'ils m'avoient assommé,
Et chacun d'eux s'en est aussi tost allarmé.
J'entendois tout leur bruit dans le profond silence:
L'un l'autre ils s'accusoient de cette violence,
Et sans lumiere aucune, en querellant le sort,
Sont venus doucement taster si j'estois mort.
Je vous laisse à penser si, dans la nuit obscure,
J'ay d'un vray trépassé sceu tenir la figure.
Ils se sont retirez avec beaucoup d'effroy;
Et, comme je songeois à me retirer, moy,
De cette feinte mort la jeune Agnés esmeuë
Avec empressement est devers moy venuë:
Car les discours qu'entr'eux ces gens avoient tenus
Jusques à son oreille estoient d'abord venus,
Et, pendant tout ce trouble estant moins observée,
Du logis aysément elle s'estoit sauvée.

Mais, me trouvant sans mal, elle a fait éclater
Un transport difficile à bien representer.
Que vous diray-je enfin? cette aymable personne
A suivy les conseils que son amour luy donne,
N'a plus voulu songer à retourner chez soy,
Et de tout son destin s'est commise à ma foy.
Considerez un peu, par ce trait d'innocence,

Molière. II.

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