ON frere, s'il vous plaist, ne discourons point tant, Et que chacun de nous vive comme il l'entend; Bien que sur moy des ans vous ayez l'avantage Et soyez assez vieux pour devoir estre sage, Je vous diray pourtant que mes intentions Sont de ne prendre point de vos corrections: Que j'ay pour tout conseil ma fantaisie à suivre, Et me trouve fort bien de ma façon de vivre. ARISTE.
Grand mercy, le compliment est doux. SGANARELLE.
Je voudrois bien sçavoir, puis qu'il faut tout entendre, Ce que ces beaux censeurs en moy peuvent reprendre. ARISTE.
Cette farouche humeur, dont la severité Fuit toutes les douceurs de la societé, A tous vos procedez inspire un air bizarre, Et, jusques à l'habit, vous rend chez vous barbare. SGANARELLE.
Il est vray qu'à la mode il faut m'assujettir, Et ce n'est pas pour moy que je me dois vestir! Ne voudriez-vous point, par vos belles sornettes, Monsieur mon frere aisné (car, Dieu mercy, vous l'estes D'une vingtaine d'ans, à ne vous rien celer, Et cela ne vaut pas la peine d'en parler), Ne voudriez-vous point, dy-je, sur ces matieres De vos jeunes muguets m'inspirer les manieres, M'obliger à porter de ces petits chapeaux Qui laissent éventer leurs débiles cerveaux, Et de ces blonds cheveux de qui la vaste enfleure Des visages humains offusque la figure;
De ces petits pourpoints sous les bras se perdans, Et de ces grands colets jusqu'au nombril pendans; De ces manches qu'à table on voit taster les sausses Et de ces cotillons appellez hauts-de-chausses; De ces souliers mignons de rubans revestus, Qui vous font ressembler à des pigeons patus,
Et de ces grands canons, où, comme en des entraves, On met tous les matins ses deux jambes esclaves, Et par qui nous voyons ces Messieurs les galans Marcher écarquillez ainsi que des volans? Je vous plairois sans doute equipé de la sorte, Et je vous vois porter les sottises qu'on porte. ARISTE.
Toûjours au plus grand nombre on doit s'accommoder, Et jamais il ne faut se faire regarder.
L'un et l'autre excés choque, et tout homme bien sage Doit faire des habits ainsi que du langage,
N'y rien trop affecter, et, sans empressement, Suivre ce que l'usage y fait de changement. Mon sentiment n'est pas qu'on prenne la methode De ceux qu'on voit tousjours rencherir sur la mode, Et qui dans ses excés, dont ils sont amoureux, Seroient faschés qu'un autre eust esté plus loin qu'eux; Mais je tiens qu'il est mal, sur quoy que l'on se fonde, De fuir obstinément ce que suit tout le monde, Et qu'il vaut mieux souffrir d'estre au nombre des fous Que du sage party se voir seul contre tous.
Cela sent son vieillard qui, pour en faire accroire, Cache ses cheveux blancs d'une
C'est un estrange fait du soin que vous prenez A me venir toûjours jetter mon âge au nez,` Et qu'il faille qu'en moy sans cesse je vous voye Blasmer l'ajustement aussi bien que la joye, Comme si, condamnée à ne plus rien cherir, La vieillesse devoit ne songer qu'à mourir,
Et d'assez de laideur n'est pas accompagnée Sans se tenir encor mal propre et rechignée. SGANARELLE.
Quoy qu'il en soit, je suis attaché fortement A ne demordre point de mon habillement: Je veux une coëffeure, en dépit de la mode, Sous qui toute ma teste ait un abry commode; Un bon pourpoint bien long et fermé comme il faut, Qui, pour bien digerer, tienne l'estomach chaud; Un haut-de-chausses fait justement pour ma cuisse, Des souliers où mes pieds ne soient point au suplice, Ainsi qu'en ont usé sagement nos ayeux. Et qui me trouve mal n'a qu'à fermer les
LEONOR, ISABELLE, LISETTE, ARISTE,
Je me charge de tout, en cas que l'on vous gronde. LISETTE, à Isabelle.
Toûjours dans une chambre à ne point voir le monde?
Je vous en plains, ma sœur. LISETTE.
Bien vous prend que son frere ait toute une autre humeur,
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