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de l'an 393 a l'an 410 de L'Ère CHRÉTIENNE.

Rome païenne s'en va avec le vieux monde; Rome chrétienne la remplace avec un monde nouveau, qu'éclairent à la fois saint Ambroise et saint Martin, saint Augustin et saint Jérôme, saint Paulin et Synésius, saint Chrysostôme et saint Epiphane.

L'empire humain de Rome finissait son temps et sa tâche. C'était comme un moule de terre, pour aider à former un empire bien autrement merveilleux, un empire vraiment éternel, un empire spirituel et divin. Or, on brise le moule quand on veut dégager la statue. L'unité de l'empire romain avait facilité la propagation du christianisme dans l'empire même; mais elle devenait quelquefois un obstacle à sa propagation au-delà. Nous avons vu Sapor, roi de Perse, persécuter les chrétiens de ses états, par la raison politique que le christianisme était la religion des césars. Comme le christianisme total ou le catholicisme devait embrasser tous les peuples et tous les siècles, il convenait que sa capitale, Rome chrétienne, n'ayant d'autre souverain que son pontife, devint la capitale commune de tous les peuples et de tous les siècles chrétiens. De plus, l'unité de la force dans l'empire romain aurait fini, à la longue, par détruire la distinction et la nationalité des peuples, et par les fondre tous en une masse de plus en plus compacte et inerte. La vie et la beauté de l'univers demandaient la variété dans l'unité, l'activité dans l'ordre. Aussi Daniel et saint Jean avaientils prédit que cet empire finirait par une dixaine de royaumes. Rome elle-même, pour remplir ces nouvelles et glorieuses destinées, avait besoin d'être transformée en une autre. Tel qu'un métal précieux, elle sera donc brisée et jetée dans la fournaise, afin de s'y défaire de la rouille du paganisme, en sortir toute chrétienne et devenir, jusqu'à la fin du monde, la digne métropole d'un nouvel univers. Ces merveilles ne seront pas l'œuvre d'un jour. Car ce n'est pas l'homme qui les opère, mais Dieu, à qui est l'éternité. Théodose était mort à Milan; son corps fut transporté à Constantinople et inhumé dans le tombeau ordinaire des empereurs.

Avec l'empereur Théodose, il semble qu'on eût enseveli la gloire de l'empire. Il laissait ses deux enfants sur le trône; mais ils n'y furent jamais que deux enfants. Arcade, à Constantinople, âgé de dix-huit ans, avait pour principal ministre et pour tuteur Rufin; Honorius, âgé de onze, avait pour principal ministre et pour tuteur Stilichon. Rufin était un Gascon parvenu; Stilichon était Vandale d'origine. La plupart des grands officiers de l'empire étaient d'origine barbare. Bauton, qui fut consul en 385, était un général Franc, et laissait une fille que nous verrons monter sur le trône impérial de Constantinople. Le Goth Alaric était comte de l'empire. Gaïnas, un autre Goth, commandait un corps considérable de troupes. Des Barbares de tout nom, Francs, Goths, Huns, Vandales, Alains, Hérules, Suèves, Lombards, faisaient la principale force des armées romaines. Les Romains, dégénérés par le luxe et la mollesse, n'étaient plus capables ni même dignes de se défendre eux-mêmes. Les descendants d'un grand nombre d'anciennes familles sénatoriales, entourés d'esclaves et de parasites, ne connaissaient que la bonne chère, les bains, les spectacles. Leur grande occupation était de jouer aux dés; un habile joueur se regardait au-dessus des consuls. Qu'un de leurs esclaves tardât à leur apporter de l'eau chaude, il recevait trois cents coups de fouet; le même avait-il tué un homme? le maître répondait à toutes les plaintes : Si le coquin recommence, je le corrigerai! Avaient-ils voyagé un peu loin dans les campagnes, assisté à une partie de chasse, navigué sur le lac d'Averne jusqu'à Pouzzoles ou Gaëte? ils croyaient avoir égalé les expéditions d'Alexandre et de César. Un grand nombre assuraient ne croire à aucune divinité; mais avant de sortir de la maison, ou de se mettre à table ou au bain, ils consultaient soigneusement dans quelle partie du ciel était le signe de Mercure ou de l'écrevisse. Un autre, pour échapper aux poursuites d'un créancier, le faisait accuser d'empoisonnement par un cocher du cirque, jusqu'à ce qu'il eût rendu la créance. Tel est le tableau que Ammien Marcellin nous trace du sénat de Rome. Le peuple, fainéant, ne connaissait de vie que le vin, les dés, les spectacles, la débauche; son temple, sa demeure, son tout, était le grand cirque. Ce qui l'occupe, c'est de savoir quel cocher l'emportera dans la course des chars. Si ce n'est pas un tel, s'écrient les plus âgés, l'empire romain est perdu! Les Pères de l'Eglise parlent à cet égard comme l'auteur païen1. On conçoit qu'avec une

1 Amm., 1. 28, n. 4. Jsid. Pel., l. 1, epist. 485, 487. Salv., 1. 4, 5, 7. Synes., epist. 127.

pass.

génération ou plutôt une dégénération pareille, l'empire était perdu depuis long-temps, et que, soutenu par les Barbares, il tombera dès que les Barbares le voudront. Stilichon et Rufin leur donneront occasion de le vouloir.

Dominés précédemment par le génie supérieur de Théodose, ils dominaient sous ses faibles enfants. Pareils l'un à l'autre en capacité, ils vendaient les charges aux magistrats, qui s'en dédommageaient sur leurs subalternes et ceux-ci sur le peuple. Les officiers municipaux étaient autant de tyrans. Les riches faisaient retomber le poids des contributions publiques sur les pauvres : y avait-il une remise? les riches seuls en profitaient. Des pauvres se mettaient-ils sous le patronage de certains riches? ceux-ci, non contents de les dépouiller de leur petit champ, les forçaient de continuer à en payer l'impôt. D'autres malheureux abandonnaient-ils à des riches leur petit avoir pour se rendre leurs fermiers? ils se voyaient bientôt réduits à la condition d'esclaves. Rien de semblable n'avait lieu sous les Barbares. Aussi quand les Barbares arriveront, verra-t-on le pauvre peuple se réfugier sous leur domination et s'en réjouir. Rufin, non content d'être le premier ministre d'Arcade, aspirait à être son collègue; Stilichon cachait une ambition semblable sur l'empire d'Occident. Pour parvenir à leurs fins, en se rendant de plus en plus nécessaires, ils négocieront secrètement avec les Barbares, et les appelleront sur les terres de l'empire, dont ils ne sortiront plus.

Autant l'empire menaçait ruine, autant l'Eglise s'affermissait de toutes parts. Dans tous les pays, elle voyait des saints et des docteurs. En Afrique, saint Augustin continuait à combattre les hérétiques, particulièrement les manichéens. Arrivé de Rome à Carthage vers le mois de septembre 588, il logea quelque temps chez un avocat de grande vertu, qui se nommait Innocent. Celui-ci était attaqué d'une fistule, dont plusieurs opérations n'avaient pu le délivrer; on devait lui en faire une nouvelle qui était fort dangereuse. Innocent, qui regardait sa mort comme certaine, demandait instamment à Dieu d'être délivré de ce danger. Saturnin, évêque d'Uzales, Aurélius, qui fut depuis élevé sur le siége de Carthage, et plusieurs autres ecclésiastiques qui lui rendaient de fréquentes visites et qui étaient alors présents, se mirent à genoux pour prier avec lui. Saint Augustin, qui était dans la compagnie, rapporte que les chirurgiens étant venus le lendemain, trouvèrent, à leur grand étonnement, la plaie parfaitement guérie 1.

De Carthage il se rendit à Tagaste, et se retira avec ses amis

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dans les terres qu'il avait auprès de cette ville. Il y demeura euviron trois ans, dégagé de tous les soins du siècle, ne vivant que pour Dieu, s'y exerçant au jeûne, à la prière, aux bonnes œuvres, méditant nuit et jour la loi du Seigneur, et instruisant les autres par ses discours et par ses écrits. Il vendit même ses terres et en distribua l'argent aux pauvres, afin de servir Dieu dans une entière liberté. Il écrivit alors, d'un style plus simple qu'il n'avait encore fait, les deux livres De la Genèse, pour réfuter les calomnies des manichéens contre l'ancien Testament. Il acheva son ouvrage De la Musique, pour montrer comment, de l'harmonie variable des sons et des nombres, l'esprit peut s'élever à l'harmonie immuable et éternelle de Dieu et de ses œuvres. Il composa dans ce même temps le livre Du Maître, qui est un dialogue avec son fils Adéodat, où il examine curieusement l'usage de la parole, et prouve qu'il n'y a point d'autre maître qui nous enseigne que la vérité éternelle, qui est Jésus-Christ. Saint Augustin prend Dieu à témoin dans ses Confessions, que toutes les pensées qu'il attribue à son fils dans cet ouvrage étaient effectivement de lui, quoiqu'il n'eût que seize ans, et dit qu'il a vu des effets plus merveilleux de son esprit, en sorte qu'il en était épouvanté. Mais il perdit ce fils peu de temps après.

Le dernier fruit de sa retraite fut le livre De la vraie religion. Hy montre qu'on ne doit pas la chercher près des philosophes païens, qui approuvent, par leurs actions, le culte populaire qu'ils condamnent par leurs discours. On ne doit pas non plus la chercher dans la confusion du paganisme, ni dans l'impureté de l'hérésie, ni dans la langueur du schisme, ni dans l'aveuglement du judaïsme; elle ne se trouve que dans l'Eglise catholique, qui est répandue généralement par toute la terre, et qui est appelée catholique non-seulement par les siens, mais encore par tous ses ennemis, qui, parlant d'elle, soit entre eux, soit avec les étrangers, ne l'appellent pas autrement que catholique. Cette Eglise fait servir l'égarement des autres à son propre bien. Elle se sert des païens comme de la matière dont elle fait ses ouvrages; des hérétiques, comme d'une preuve de la pureté de sa doctrine; des schismatiques, comme d'une marque de sa fermeté, et des Juifs, pour relever son éclat et sa beauté. Elle invite les païens, elle chasse les hérétiques, elle abandonne les schismatiques, elle passe et s'élève au-dessus des Juifs, leur ouvrant néanmoins à tous l'entrée des mystères et la porte de la grace, soit en formant la foi des premiers, ou en réformant l'erreur des seconds, ou en remettant les autres dans son sein, ou en admettant les derniers à la société de ses enfants. Le premier fonde

ment de cette religion est l'histoire et la prophétie, qui nous découvrent la conduite de la divine Providence dans le cours des temps pour la réparation et la réformation du genre humain, et pour lui procurer la vie éternelle. Le second, sont les préceptes divins qui doivent régler notre vie et purifier notre esprit, afin de le rendre capable des choses spirituelles, c'est-à-dire de connaître qu'il n'y a qu'un Dieu en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qui ont, sans aucun partage, créé le monde et tout ce qu'il contient, l'Incarnation et tous les mystères qui en sont la suite. Dans ses Rétractations, il observe que la vraie religion, nommée chrétienne depuis l'avènement du Christ, existait dès l'origine du genre humain 1.

Pendant que saint Augustin s'occupait ainsi dans sa retraite près de Tagaste, il y avait un agent de l'empereur à Hippone, ville maritime du voisinage, qui, étant déjà de ses amis, souhaita fort de le voir et d'entendre la parole de Dieu de sa bouche. Il était déjà chrétien, et assurait même qu'il pourrait bien renoncer à toutes les vanités du siècle. Saint Augustin, espérant de le gagner entièrement à Dieu et de l'engager même à venir demeurer avec lui dans sa retraite, vint à Hippone, eut plusieurs entretiens avec lui et le pressa extrêmement d'accomplir ses promesses. Mais il ne put lui persuader de l'exécuter alors. Valère gouvernait en ce temps-là l'église d'Hippone. C'était un homme de piété et plein de la crainte de Dieu, mais Grec de naissance, de sorte qu'il avait peine de s'énoncer en latin. Se voyant donc par là moins utile à son église, il demandait souvent à Dieu de lui donner un homme capable d'édifier son peuple par sa parole et par sa doctrine. Un jour il parlait à son peuple même du besoin qu'il avait d'ordonner un prêtre pour son église. Saint Augustin était présent, ne se doutant de rien; car il évitait avec soin les églises qui manquaient d'évêque, de peur qu'on ne le choisît; mais il ne savait pas qu'il manquait un prêtre dans celle d'Hippone. Le peuple, qui connaissait sa vertu et sa doctrine, et qui l'aimait, ayant appris comment il avait abandonné son bien pour se consacrer à Dieu, se saisit de lui au milieu de l'église, et le présenta à l'évêque, le priant tous unanimement et à grands cris de l'ordonner prêtre. Augustin fondait en larmes. Quelques-uns les interprétaient comme s'il eût été affligé de n'être que prêtre, et lui disaient pour le consoler : Il est vrai que vous méritiez une plus grande place, mais la prêtrise approche de l'épiscopat. Lui cependant pleurait par la considération des grands périls qui le menaçaient

• Lib. 1, Retract., c. 13.

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