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ôter. Rien n'était plus sacré que leur serment, et l'on était tenté de croire que les Romains étaient les vrais Barbares. Leur douceur rappela la plupart de ceux que la terreur avait dispersés, et les villes virent rentrer dans leur sein une partie de leurs habitants. Tels sont les détails que nous donne un historien du temps, Paul Orose, Espagnol de naissance 1. La province particulière qu'occupèrent les Vandales, l'ancienne Bétique, a été appelée de leur nom Vandalousie ou Andalousie.

à

Cependant l'empereur Honorius, incapable de se conduire par lui-même, se laissait conduire par ses courtisans, et le principal objet de ses courtisans étaient de se supplanter les uns les autres. Ainsi Olympius, qui avait renversé Stilichon, fut renversé à son tour et d'une manière plus ignominieuse. Constance, beau-frère d'Honorius, après lui avoir fait couper les oreilles, le fit assommer coups de bâton. Au milieu de ces intrigues, Honorius manque au traité fait avec Alaric, qui campait encore dans la Toscane. Rome, menacée d'un nouveau siége, envoie des députés à l'empereur. Les courtisans se moquèrent de leurs alarmes ; ils ne parlaient que de la puissance romaine et de la majesté de l'empire. On envoya au secours de Rome six mille hommes d'élite. Avant d'arriver, ils furent taillés en pièces par la folle présomption du général. Il y en eut à peine cent qui échappèrent, entre autres Attale, nommé préfet de Rome.

Bientôt Rome se vit bloquée de nouveau. Le sénat députa une seconde fois à l'empereur, pour lui représenter la nécessité de conclure la paix avec Alaric. Celui-ci, étant maître de tous les chemins, fit escorter les députés jusqu'à Ravenne. Le pape saint Innocent se joignit à eux, et ne revint à Rome qu'après qu'elle eût été saccagée. On renoua les négociations avec Alaric. Jovius, préfet du prétoire, y voulut jouer de finesse, et perdit tout par son étourderie. Pour réparer son imprudence, il en fit une seconde. Il jura sur la vie de l'empereur, qu'il ne consentirait jamais à aucun accommodement avec les Goths, et il engagea tous les officiers et l'empereur même à se lier par le même serment. Alaric, de son côté, aurait voulu ne pas saccager Rome. Il engagea donc les évêques des villes par lesquelles il passait à s'employer pour la paix auprès de l'empereur. Il se rabattit même à des conditions trèsmodérées. Il ne demanda que la Norique ou la Bavière, pays toujours infesté par les courses des Barbares, et dont les Romains ne tiraient presque aucun revenu. Il laissait à l'empereur à décider

Oros., 1. 7, c. 41, etc. Salv., 1. 7.

quelle quantité de blé il serait nécessaire de fournir aux Goths pour subsister dans un terrain pauvre et stérile; à ces conditions, il offrait une alliance inviolable et une ligue défensive contre quiconque attaquerait l'empire. Ces conditions furent trouvées raisonnables; mais les courtisans opposèrent le serment qu'ils avaient fait. S'ils avaient juré par le nom de Dieu, à la bonne heure; mais par la vie de l'empereur, il n'y avait pas moyen d'y revenir sans exposer l'empereur même 1.

Alaric fit alors une chose à quoi l'on ne s'attendait guère. Après avoir réduit Rome à se soumettre, il s'avisa de faire un nouvel empereur. Il jeta les yeux sur Attale, préfet de la ville. C'était un Grec d'Ionie, païen de naissance, athée dans le cœur, qui, dès qu'il vit Alaric maître de Rome, se fit baptiser par un évêque arien qui suivait l'armée des Goths. Ainsi, ce choix ne pouvait manquer de plaire en même temps aux païens, qui ne regardaient son changement que comme un'déguisement politique, et aux ariens, qui se flattaient de l'avoir converti. Les uns et les autres comptaient éga— lement sur sa faveur, et Zosime dit que les seuls Anicius furent affligés de son élévation. Cette famille, distinguée par sa noblesse et son opulence, l'était encore davantage par un zèle héréditaire pour la foi chrétienne. Le sénat, devenu esclave des volontés d'Alaric, ayant fait dresser un trône, on y plaça le nouvel auguste ; on le revêtit de la pourpre ; on lui mit la couronne sur la tête, et le cérémonial fut d'autant mieux observé qu'on avait plus peur 2. Attale se hâta de nommer ses grands officiers. Alaric fut nommé général de l'infanterie; son beau-frère Adolphe fut revêtu du titre de comte des domestiques, c'est-à-dire commandant de la garde impériale. Tertullus fut désigné consul pour l'année suivante. Après cette distribution de rôles, Attale, empereur de théâtre, accompagné de ses gardes, alla prendre possession du palais. Le lendemain il vint au sénat, et, ivre de sa nouvelle grandeur, il y fit un discours rempli d'arrogance, promettant aux Romains la conquête de l'univers, et d'autres événements encore plus merveilleux. Les habitants de Rome, aussi vains que lui, surtout les païens, comptaient beaucoup sur ce glorieux avenir. Ils attendaient les plus grands succès du consulat de Tertullus, connu par son attachement pour l'idolâtrie. Les monnaies qu'Attale fit frapper portent l'empreinte de sa vanité : on n'y voit plus le labarum ni la croix du Christ; c'est la Victoire qui couronne le prince; c'est Rome décorée des épithètes pompeuses d'éternelle, d'invincible.

1 Zos., 1. 5. Oros., 1. 7. 2 Zos., 1. 6, c. 1, 6 et 7. Oros., 1. 7, c. 42.

Attale, accompagné d'Alaric et de son armée, marcha vers Ravenne. Honorius eut si peur, qu'il envoya ses principaux officiers, entre autres Jovius, son préfet du prétoire, offrir à Attale de le reconnaître pour son collègue et de partager avec lui l'empire d'Occident. Attale, d'après la suggestion de Jovius même, consentait seulement à lui laisser la vie et un traitement honorable, mais à condition qu'il serait fait eunuque. Le traître Jovius finit par embrasser ouvertement le parti d'Attale. Il fut remplacé auprès d'Honorius par le grand chambellan Eusèbe, qui, peu de jours après, fut assommé à coups de bâton par Allobich, capitaine des gardes, sous les yeux mêmes de l'empereur, qui n'eut point assez d'autorité pour empêcher cette horrible violence. Bientôt Jovius, dégoûté d'Attale, revint sur sa première trahison, et fut le premier à conseiller au roi des Goths de se défaire de ce fantôme d'empereur, qui n'était propre qu'à l'entraver dans ses opérations. Et de fait, Alaric leva le siége de Ravenne, se retira à Rimini, et renoua les négociations avec Honorius.

Cependant le païen Tertullus, consul éphémère pour Rome en 410, y commença avec faste l'exercice de son consulat. Le sénat s'étant assemblé le premier de janvier selon la coutume, Tertullus, environné de toute la pompe consulaire, lui adressa la parole en ces termes Pères conscrits, je vous parle aujourd'hui en qualité de consul et de pontife : je possède déjà la première de ces dignités; j'y vais bientôt réunir l'autre. Le reste de son discours répondait à ce début emphatique : il s'annonçait comme le vengeur des dieux et le réparateur de leurs autels et de leurs temples. Rome cependant éprouvait une disette encore plus extrême que pendant lesiége, à cause que l'Afrique, conservée à Honorius par le gouverneur Héraclien, n'envoyait plus de blé. Enfin, la famine devint si insupportable, que, dans les jeux du cirque, le peuple, désespéré, s'écria d'une voix unamine: Qu'on mette en vente la chair humaine, et qu'on en taxe le prix ! Attale, apprenant ces horreurs, partit du camp d'Alaric et revint à Rome. Mais peu de jours après, Alaric le fit revenir à Rimini ; et, l'ayant conduit hors de la ville, à la vue de tout le peuple, il lui ôta le diadême, le dépouilla de la pourpre et renvoya tous ces ornements à l'empereur. Il voulut bien toutefois ne pas abandonner ce misérable, ni son fils Ampélius. Entre les conditions de son accommodement avec Honorius, il demandait qu'on leur conservât la vie, et il les retint dans son camp en attendant la conclusion du traité. La chute d'Attale n'affligea que les païens et les ariens de Rome.

1 Hist. du Bas-Empire, 1. 29. Oros., Zos.

Tout semblait disposé à la paix, lorsque Sarus, capitaine goth d'une troupe d'aventuriers, n'ayant pu persuader à Honorius de rompre les conférences, les rompit de son chef en attaquant à l'improviste le camp d'Alaric. Irrité de cette perfidie, Alaric prit sur-le-champ le chemin de Rome. Il rendit le titre d'empereur à Attale, qui servait de jouet à sa politique, et le lui ôta devant Rome, quand il vit que les Romains ne se laissaient plus amuser par cette comédie et qu'ils refusaient d'ouvrir leurs portes. Au bruit de sa marche, beaucoup de chrétiens se retirèrent de la ville après avoir distribué tous leurs biens aux pauvres. On ignore les circonstances du siége, qui fut assez long. Alaric prit la ville par trahison, le vingt-quatre août 410. Il permit à ses soldats de la piller; mais il leur recommanda d'épargner le sang des hommes et l'honneur des femmes ; il leur défendit de brûler les édifices consacrés au culte divin. Et comme Romulus, pour peupler Rome, y avait établi un asile, Alaric, en la saccageant, en ouvrit deux pour soustraire à la fureur des soldats les déplorables restes des habitants : il déclara que l'église de Saint-Pierre et celle de Saint-Paul seraient respectées comme un refuge inviolable. Il avait choisi ces deux églises, non-seulement par vénération pour ces deux fondateurs de Rome chrétienne, mais aussi parce qu'étant les plus spacieuses, elles pouvaient sauver un plus grand nombre de malheureux.

Ces ordres mettaient un frein à la cruauté. Mais quels ordres pourraient contenir des vainqueurs féroces dans l'ivresse du pillage? Les Goths, répandus dans Rome, saccagèrent les maisons; ils mirent le feu à celles qu'on tenait fermées, et s'y jetant au milieu des flammes, non contents des richesses qu'ils trouvaient sous leurs mains, ils supposaient qu'on leur en cachait plus qu'il n'en paraissait, et n'épargnaient ni les menaces ni les tourments pour forcer à livrer ce qu'on avait et ce qu'on n'avait pas. La famine avait par avance ravagé la ville; il y avait peu de maisons qui ne fussent en deuil et qui n'offrissent aux yeux du soldat barbare des cadavres ensevelis. Ce spectacle n'attendrissait pas ces cœurs impitoyables : des femmes, des enfants furent égorgés sur le corps de leurs maris et de leurs pères. La brutalité ne respecta que les femmes et les filles qui s'étaient réfugiées dans les églises. Le fracas des maisons qui croulaient dans l'incendie, les insultes, les cris, l'épouvante, la fuite répandaient une affreuse confusion; les flammes qui dévoraient une partie de la ville éclairaient toutes ces horreurs, et, comme si le ciel se fût armé de concert pour châtier cette métropole de l'idolâtrie, un furieux orage se joignit aux ravages des Goths; la foudre écrasa plusieurs temples, fondit les lambris

441 d'airain, réduisit en poudre ces statues autrefois adorées, que les = empereurs chrétiens avaient conservées pour la décoration de la ville.

Cependant, le respect des Goths pour la sainteté du christianisme épargna beaucoup de sang aux Romains. La fureur des ennemis s'arrêtait aux portes des saints lieux; les Goths eux-mêmes y conduisaient ceux qu'ils voulaient sauver du massacre. Si quelques églises furent embrasées, ce ne fut que par la communication des flammes qui consumaient les maisons voisines, et la religion se soutint glorieuse au milieu de tant de ruines et de larmes.

Un officier goth, des plus considérables, trouva dans la maison d'une église une vierge consacrée à Dieu et avancée en âge; il lui demanda honnêtement son argent. Elle lui dit avec assurance qu'elle en avait beaucoup et qu'elle allait le lui montrer. En effet, elle exposa à ses yeux de si grandes richesses, que le Barbare fut étonné du nombre, du poids et de la beauté de tant de vases dont il ne savait pas même les noms. Ce sont, dit-elle, les vases de l'apôtre saint Pierre; prenez-les si vous l'osez, vous en répondrez: comme je ne puis les défendre, je n'ose les retenir. Le Barbare, touché de respect, l'envoya dire à Alaric, qui commanda qu'aussitôt on reportât tous les vases, comme ils étaient, à la basilque de SaintPierre, et que l'on y menât aussi, avec escorte, la vierge sacrée et tous les chrétiens qui s'y joindraient. Cette maison était loin de l'église de Saint-Pierre, en sorte qu'il fallait traverser toute la ville; le transport de ces vases sacrés fut ainsi un spectacle et une pompe magnifiques. On les portait un à un sur la tête, à découvert, et des deux côtés marchaient des soldats l'épée à la main; Romains et Barbares chantaient ensemble des hymnes à la louange de Dieu. Les chrétiens accouraient de tous côtés; plusieurs païens firent semblant d'être chrétiens en cette occasion, et plus il s'amassait de Romains pour se sauver, plus les Barbares s'empressaient autour pour les défendre 1.

Les femmes chrétiennes semblèrent alors avoir recueilli le courage que les hommes avaient perdu. Sainte Marcelle, illustre par sa vertu et sa noblesse, veuve depuis soixante-dix ans, occupait une maison sur le mont Aventin; elle y vivait dans la prière et dans la méditation des saintes Ecritures, avec une jeune fille fort belle, nommée Principia, qu'elle formait à la piété. Plusieurs soldats étant entrés chez elle, lui demandèrent son or. Elle leur répondit qu'elle l'avait distribué aux pauvres, et qu'elle ne s'était

' Oros., 1. 2, c. 59. August. De Civit. Dei.

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