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réservé que la tunique dont elle était couverte. Les Barbares, persuadés que ce n'était qu'un déguisement, la chargèrent de coups. Insensible à la douleur, elle leur demanda pour unique grâce de ne pas la séparer de cette jeune fille, que sa beauté exposait à des insultes plus cruelles que la mort. Cette fermeté les toucha : ils les conduisirent toutes deux à la basilique de Saint-Paul1. Ailleurs, une femme catholique, d'une beauté remarquable, tomba entre les mains d'un jeune Goth arien; le barbare n'ayant pu la faire consentir à son mauvais désir, tira son épée pour lui faire peur, lui effleura la peau et lui mit la gorge en sang. Elle présenta hardiment la tête à couper, et le barbare, touché de sa vertu, la mena lui-même à l'église de Saint-Pierre, la recommanda aux gardes et leur donna six pièces d'or, avec ordre de ne la remettre qu'entre les mains de son mari 2.

Après avoir ainsi pillé Rome pendant trois jours, Alaric en sortit sans y laisser un soldat. Il emmenait avec lui grand nombre de prisonniers, entre autres Placidie, sœur d'Honorius, à laquelle il faisait rendre tous les honneurs dus à sa naissance. Il prit et saccagea la ville de Nole; il pilla et brûla la ville de Reggio, et puis, à la vue de la Sicile, où il voulait passer, il mourut en peu de jours et laissa la couronne à son beau-frère. Pour l'enterrer, les Goths détournèrent le cours d'une petite rivière, creusèrent dans son lit une fosse profonde et y déposèrent le corps d'Alaric avec quantité de richesses, comblèrent la fosse, firent reprendre aux eaux leur cours naturel, et enfin, pour s'assurer du secret, égorgèrent les prisonniers qui avaient été employés à ce travail 3. Telle fut la fin d'Alaric.

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LIVRE TRENTE-HUITIÈME.

DU SAC DE ROME par alaric, 410, A LA MORT DE SAINT AUGUSTIN, 430.

Dieu brise la ville et l'empire de Rome païenne pour en faire sortir Rome chrétienne, avec des nations et des royaumes chrétiens.

Rome païenne fut la dernière capitale de l'empire idolâtre, dont Babylone avait été la première. Aussi saint Jean a-t-il prédit la chute de Rome païenne dans les mêmes termes qu'Isaïe et Jérémie avaient prédit la chute de Babylone1. « Elle est tombée, elle est tombée, la grande Babylone! Malheur, malheur ! Babylone, grande ville, ville puissante, ta condamnation est venue en un moment ! » Quand Jérémie eut achevé d'écrire ses prédictions, il les fit porter à Babylone par un ambassadeur, avec ordre de les lire en public, ensuite de les attacher à une pierre et de les jeter au milieu de l'Euphrate, en disant : Ainsi sera submergée Babylone! Elle ne se relevera plus du malheur que je lui amène ! Saint Jean a une image semblable sur Rome païenne. « Alors un ange puissant leva en haut une pierre comme une grande meule et la jeta dans la mer, en disant Ainsi sera précipitée Babylone, la grande ville, et elle ne se trouvera plus !» Qu'il s'agisse de Rome païenne, saint Jean le dit assez clairement, quand il l'appelle la grande ville qui règne sur les rois de la terre; la grande prostituée assise sur les grandes eaux, qui sont les peuples, les nations et les langues; la femme assise sur sept montagnes, enivrée du sang des saints et des martyrs de Jésus, et qui a enivré les habitants de la terre du vin de sa prostitution. Dans le langage de l'Ecriture, prostitution, fornication, marque l'idolâtrie d'une nation infidèle qui n'a jamais eu Dieu pour époux; si elle l'avait jamais eu, comme Jérusalem, son infidélité s'appellerait non plus fornication, mais adultère.

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Ces paroles: << Sortez de Babylone, mon peuple, de peur que vous n'ayez part à ses péchés et que vous ne soyez enveloppés dans ses plaies, » ont eu leur accomplissement à la prise de Rome. Nous

'Isaïe, 21, 9. Jerem., 51, 8. Apoc., 18.

avons vu les chrétiens en sortir littéralement; les uns, par un secret pressentiment de ce qui allait arriver, les autres, dans le sac même de la ville, lorsqu'ils se réfugièrent dans les immenses basiliques de Saint-Pierre et de Saint-Paul, qu'Alaric leur avait assignées pour asile. Il en est de même de ces paroles : « Rendez-lui comme elle vous a rendu; rendez-lui au double selon ses œuvres; faites-la boire deux fois autant dans la coupe où elle vous a donné à boire. » Les Mèdes, les Perses et les autres peuples tyrannisés par Babylone lui firent à leur tour comme elle leur avait fait. Les nations barbares, surtout les Goths, que Rome victorieuse vendait comme des bêtes, au point qu'on en avait des troupeaux entiers pour un écu1; les Goths lui rendirent les premiers comme elle leur avait rendu. La prise de Babylone jeta toute la terre dans l'épouvante : sa décadence successive, sa disparition si complète qu'on n'en retrouve plus même la place, continuent de faire l'étonnement des siècles et des peuples; le principal objet des histoires anciennes est de suivre les développements de cette grande révolution. L'univers ne fut pas moins épouvanté de la prise et de l'incendie de Rome : suivant l'expression de saint Jérôme, il se croyait anéanti dans cette seule ville; il regardait avec effroi cette maîtresse des nations, devenue à la fois et la mère et le sépulcre de ses peuples, réduite par la famine à manger la chair de ceux qu'elle avait portés dans ses entrailles, et ravagée par la faim avant que de l'être par le glaive, de sorte qu'il ne lui restait qu'un petit nombre de ses citoyens, et que les plus riches, réduits à la mendicité, ne trouvèrent de soulagement que bien loin de leur patrie dans la charité de leurs frères 2. Enfin, si le sac de Rome attéra les contemporains, la décadence et la chute de son empire étonnent encore la postérité : on se demande encore comment celle qui avait dompté tous les peuples est devenue successivement la proie de presque tous les peuples, et le grand problème de l'histoire moderne est d'explorer les causes et les suites de cette grande catastrophe.

Saint Jean ajoute, comme Jérémie sur Babylone: «Ciel, réjouissezvous sur elle, et vous saints apôtres et prophètes, parce que Dieu vous a vengés d'elle! Après quoi j'entendis dans le ciel un bruit comme d'une grande troupe, qui disait : Alleluia! Salut, gloire et puissance à notre Dieu! Parce que ses jugements sont véritables et justes, parce qu'il a condamné la grande prostituée qui a corrompu toute la terre par sa prostitution, et qu'il a vengé le sang de ses

1 Oros., l. 7, n. 37. '. — 2 Hier., epist. 16, ad Princip. Proæmi. Comm. in Ezech., Jerem., 51, 48.

1. 3,8.

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serviteurs que ses mains ont répandu. Et ils dirent une seconde fois Alleluia. Et la fumée de son embrasement s'élève dans les siècles des siècles 1. » En Jérémie, le ciel et la terre louent Dieu d'avoir puni Babylone du mal qu'elle avait fait à Jérusalem et à Sion, et parce que sa chute annonçait le prochain retour du peuple choisi dans la terre sainte et la reconstruction du temple. Dans saint Jean, le ciel loue Dieu, parce qu'il a vengé sur Rome païenne le sang de ses serviteurs, le sang des prophètes et des saints, et de tous ceux qui ont été tués sur la terre; car c'est de Rome que partaient les édits de proscription et de mort pour toutes les provinces de l'empire. Les saints qui règnent avec Jésus-Christ éclatent en actions de grâces, parce que la prise de Rome par Alaric, en abolit à jamais la fornication, l'idolâtrie, dont elle avait infecté l'univers. Jusque-là, Rome chrétienne était comme captive dans Rome païenne; mais, dès ce moment, elle en sort, elle s'en dégage et s'élève sur les débris des idoles et de leurs temples, comme la cité du Christ triomphant, comme la nouvelle Jérusalem.

<< Et la fumée de son embrasement s'élève dans les siècles des siècles. » Et la punition de Rome idolâtre s'étendra de proche en proche à toutes les nations idolâtres, et elle achevera de consumer toutes les idoles jusqu'à la fin du monde. Et cette punition de l'idolâtrie dans le temps, n'est qu'une faible image de la punition qui pèse dans les siècles des siècles sur les auteurs mêmes de l'idolâtrie, les anges apostats.

Les païens qui, pour sauver leur vie dans le sac de Rome, s'étaient réfugiés dans les églises chrétiennes, disaient depuis que ce malheur n'était arrivé à Rome et à l'empire, que parce qu'on avait abandonné les idoles pour adorer le Christ. Ces plaintes firent naître en réponse deux ouvrages très-importants. Paul Orose, prêtre espagnol de Tarragone, écrivit, à la prière de saint Augustin, un Abrégé d'Histoire universelle, en sept livres, depuis la création du monde jusqu'à son temps. Son but est de faire voir, par tout l'ensemble de l'histoire humaine, que les calamités publi– ̈ ques, principalement les guerres, étaient et plus continues et plus sanglantes avant le christianisme que depuis. Il fait incidemment des observations assez piquantes. Par exemple, les païens avaient tort de se plaindre du dernier désastre de Rome, puisque le peuple romain s'était écrié : Pourvu qu'on nous rende les jeux du cirque, on ne nous a rien fait 2! L'empire romain croulait plus de vétusté des secousses de l'ennemi 3. Si les païens se plaignaient tant,

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c'est que l'homme s'impatiente plus de la piqûre actuelle d'une puce, que de toutes les fièvres qu'il a eues par le passé 1. Au fond, les païens se plaignaient de leur époque, non parce qu'elle était calamiteuse, mais parce qu'elle était chrétienne 2. En effet, avant qu'il y eut des chrétiens dans l'empire, ses calamités étaient bien plus fréquentes et plus terribles. De Numa à César-Auguste, période de sept cents ans, le temple de Janus ne fut fermé qu'une seule fois; il n'y eut qu'une seule année de paix, après quatre cent quarante années de guerre, et avant de recommencer une autre guerre de deux cent soixante ans 3. Et quelles guerres ! La guerre des Gaulois, qui prennent Rome, la réduisent en cendre et en revendent les débris aux Romains abattus, qui délibèrent de l'abandonner pour s'établir dans une autre ville. Les guerres d'Annibal, la bataille de Cannes, après laquelle le sénat délibère s'il n'abandonnerait pas l'Italie, comme il avait délibéré d'abandonner Rome sous les Gaulois. La guerre sociale, la guerre des esclaves, les guerres civiles de Marius et de Sylla, la guerre de Mithridate, les guerres et les proscriptions des triumvirs. D'ailleurs, quand Rome triomphait, Rome n'était pas le monde; elle ne triomphait que du malheur des autres nations".

Depuis le christianisme, les guerres civiles étaient moins cruelles et moins longues 5; témoin celles qui eurent lieu sous Théodose. Le christianisme avait déjà rendu les Goths plus humains envers les ennemis, que les Grecs d'autrefois ne l'étaient entre eux 6. Dèslors, au milieu des guerres et des révolutions, le chrétien trouvait partout sa religion, ses lois, ses frères, sa patrie; partout les hommes aimaient et craignaient le même Dieu, qui avait établi parmi eux cette merveilleuse unité 7.

Cependant saint Augustin, qui avait engagé Orose à composer cet ouvrage, travaillait lui-même depuis plusieurs années à un autre beaucoup plus considérable: c'est son grand ouvrage De la cité de Dieu, en vingt-deux livres. Lui-même en fait cette analyse. Les cinq premiers réfutent ceux qui pensent que le culte de plusieurs dieux est nécessaire pour la prospérité des choses humaines, et qu'elles n'étaient si calamiteuses que parce que ce culte était interdit. Les cinq autres sont contre ceux qui, avouant qu'il y a toujours eu et qu'il y aura toujours plus ou moins de calamités temporelles, suivant les lieux, les temps et les personnes, prétendent toutefois que le culte de plusieurs était utile pour la vie

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