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après la mort, ou fous peine d'être damné?
Il eft vrai que Virgile a dit :

Proxima deinde tenent masti loca, qui fibi lethum
Infontes peperere manu, lucemque perofi
Projecere animas; quam vellent æthere in alto
Nunc & pauperiem & duros perferre labores!
Fata obftant, tristique Palus innabilis unda
Adligat, & novies Styx interfufa coërcet.
Virg. Æneid. Lib. VI. v. 434. & feqq.

Là font ces infenfés, qui d'un bras téméraire,
Ont cherché dans la mort un fecours volontaire,
Qui n'ont pu fupporter, faibles & furieux,
Le fardeau de la vie impofé par les Dieux.
Hélas! ils voudraient tous fe rendre à la lumiere,
Recommencer cent fois leur pénible carriere:
Ils regrettent la vie, ils pleurent & le fort,
Le fort, pour les punir, les retient dans la mort;
L'abîme du Cocyte & l'Acheron terrible,

Met entr'eux & la vie un obstacle invincible.

Telle était la religion de quelques payens; & malgré l'ennui qu'on allait chercher dans l'autre monde, c'était un honneur de quitter celui-ci & de fe tuer; tant les mœurs des hommes font contradictoires. Parmi nous le duel n'eft-il pas encor malheureusement honorable, quoique défendu par la raison, par la religion & par toutes les loix? Si Caton & Céfar, Antoine & Augufte ne fe font pas battus en duel, ce n'eft pas qu'ils ne fuffent auffi braves que nos Fran. çais. Si le duc de Montmorency, le maréchal de Marillac, de Thou, Cinq-Mars & tant d'autres, ont mieux aimé être traînés au dernier fupplice dans une charrette, comme des voleurs de grand chemin,

que de fe tuer comme Caton & Brutus; ce n'est pas qu'ils n'euffent autant de courage que ces Romains, & qu'ils n'euffent autant de ce qu'on appelle bonneur. La véritable raifon c'eft, que la mode n'était pas alors à Paris de fe tuer en pareil cas, & cette mode était établie à Rome.

Les femmes de la côte de Malabar fe jettent toutes vives fur le bucher de leurs maris: ont-elles plus de courage que Cornélie? Non; mais la coutume eft dans ce pays-là, que les femmes fe brûlent.

Coutume, opinion, reines de notre sort,
Vous réglez des mortels & la vie & la mort.

Au Japon, la coutume eft que quand un homme d'honneur a été outragé par un homme d'honneur, il s'ouvre le ventre en présence de fon, ennemi, & lui dit, Fais-en autant fi tu as du cœur. L'agreffeur eft déshonoré à jamais s'il ne fe plonge pas incontinent un grand couteau dans le ventre.

La feule religion dans laquelle le fuicide foit défendu par une loi claire & pofitive, eft le mahométifme. Il eft dit dans le fura IV, Ne vous tuez pas vous-même, car DIEU eft miféricordieux envers vous; &quiconque fe tue par malice & mécbamment, fera certainement róti au feu d'enfer.

Nous traduifons mot-à-mot. Le texte femble n'avoir pas le fens commun, ce qui n'est pas rare dans les textes. Que veut dire, ne vous tuez point vousmême, car DIEU eft miféricordieux? Peut-être faut-il entendre, ne fuccombez pas à vos malheurs que DIEU peut adoucir; ne foyez pas affez fou pour vous donner la mort aujourd'hui, pouvant être heureux demain. N 3

Et quiconque fe tue par malice & mécbamment ? Ce. fa eft plus difficile à expliquer. Il n'eft peut-être ja, mais arrivé dans l'antiquité qu'à la Phedre d'Euripide, de fe pendre exprès pour faire accroire à Théfée qu'Hippolite l'avait violée. De nos jours, un homme s'eft tiré un coup de piftolet dans la tête, ayant tout arrangé pour faire jetter le foupçon fur

un autre.

Dans la comédie de George Dandin, la coquine de femme qu'il a époufée, le menace de fe tuer pour le faire pendre... Ces cas font rares. Si Mabomet les a prévus, on peut dire qu'il voyait de loin.

Le fameux Duverger de Hauranne abbé de St. Cyran, regardé comme le fondateur de Port-royal, écrivit vers l'an 1608 un traité fur le fuicide (to), qui eft devenu un des livres les plus rares de l'Europe,

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Le Décalogue, dit-il, ordonne de ne point tuer. L'homieide de foi-même ne femble pas ; moins compris dans ce précepte que le meurtre du prochain. Or s'il eft des cas où il eft permis de tuer fon prochain, il eft auffi des cas où il est , permis de fe tuer foi-même,

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,, On ne doit attenter fur fa vie qu'après avoir ,, confulté la raifon. L'autorité publique qui tient ,, la place de DIET peut difpofer de notre vie. La ,, raifon de l'homme peut auffi tenir lieu de la raifon de DIEU, c'est un rayon de la lumière éter nelle,

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St. Cyran étend beaucoup cet argument, qu'on

(10) Il fut imprimé in- 12 à Paris chez Touaints du Brai en 1609, avec privilege du roi: il doit être dans la bibliotheque de S. M

peut prendre pour un pur fophifme. Mais quand il vient à l'explication & aux détails, il eft plus difficile de lui répondre.,, On peut, dit-il, fe tuer ,, pour de bien de fon prince, pour celui de fa patrie, pour celui de fes parens.

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Nous ne voyons pas en effet qu'on puiffe condamner les Codrus & les Curtius. Il n'y a point de fouverain qui ofât punir la famille d'un homme qui fe ferait dévoué pour lui; que dis-je? il n'en eft point qui ofat ne la pas récompenfer. St. Thomas avant St. Cyran avait dit la même chofe. Mais on n'a befoin ni de Thomas, ni de Bonaventure, ni de Verger de Hauranne, pour favoir qu'un homme qui meurt pour la patrie eft digne de nos éloges.

L'abbé de St. Cyran conclut qu'il eft permis de faire pour foi-même ce qu'il eft beau de faire pour un autre. On fait affez tout ce qui eft allégué dans Plutarque, dans Séneque, dans Montagne & dans cent autres philofophes en faveur du fuicide. C'eft un lieu commun épuifé. Je ne prétends point ici faire l'apologie d'une action que les loix condamnent; mais ni l'ancien Teftament, ni le nouveau n'ont jamais défendu à l'homme de fortir de la vie quand il ne peut plus la fupporter. Aucune loi romaine n'a condamné le meurtre de foi-même. Au contraire, voici la loi de l'empereur Marc-Antonin qui ne fut jamais révoquée.

,, (11) Si votre pere ou votre frere, n'étant ,, prévenu, d'aucun crime, fe tue ou pour fe fou

ftraire aux douleurs ou par ennui de la vie ou par ,, défefpoir ou par démence, que fon teftament foit (13) ker. Cod. De bonis corum qui fibi mortem. leg 3. F. cod.

,, valable, ou que fes héritiers fuccedent par in, teftat.

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Malgré cette loi humaine de nos maîtres, nous trafnons encor fur la claie, nous traverfons d'un pieu le cadavre d'un homme qui eft mort volontairement, nous rendons fa mémoire infâme autant qu'on le peut. Nous déshonorons fa famille autant qu'il eft en nous. Nous puniffons le fils d'avoir perdu fon pere, & la veuve d'être privée de fon mari. On confifque même le bien du mort; ce qui eft en effet ravir le patrimoine des vivans auxquels il appartient. Cette coutume, comme plufieurs autres, eft dérivée de notre droit canon, qui prive de la fépulture ceux qui meurent d'une mort volontaire. On conclut delà qu'on ne peut hériter d'un homme qui eft cenfé n'avoir point d'héritage au ciel. Le droit canon, au titre de pænitentiâ, affure que Judas commit un plus grand péché en s'étranglant qu'en vendant notre Seigneur JESUS-CHRIST.

CAUSES FINALE S.

Virgile dit:

Mens agitat molem & magno fe corpore mifcet.

L'efprit régit le monde; il s'y mêle, il l'anime.

Virgile a bien dit; & Benoit Spinofa qui n'a pas la clarté de Virgile & qui ne le vaut pas, eft forcé de reconnaître une intelligence qui préfide à tout. S'il me l'avait niée, je lui aurais dit, Be

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