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Examen de la question sous le rapport des avantages et des inconvéniens du bail à rente foncière, considéré en lui

même.

I. D'un côté, on a représenté ce contrat comme une ressource pour l'indigence, comme un avantage pour les propriétaires, comme un bien pour l'agriculture.

« L'indigence y trouve une ressource, a-t-on dit; ce ne sont que les pauvres habitans des campagnes qui, sans argent pour acheter, sans autres capitaux que leurs bras, recherchent les baux à rente, parce qu'ils leur assurent une propriété, un établissement stable, et ils les préfèrent, sans contredit, à un bail à ferme dont ils prévoient toujours la fin, et dont l'expiration laisse leur famille sans asile assuré » (1).

Le bail à rente foncière, ajoutoit-on, est un avantage pour les propriétaires. «Il convient à beaucoup de personnes qui sont dans l'impossibilité d'exploiter elles-mêmes leur fonds » (2). Les départemens méridionaux, surtout, en ont besoin : « ils ont toujours réclamé le rétablisse

(1) M. Malleville, Procès-verbal du 15 ventose an 12, tome V pages 240 et 241.— (2) Le Consul Cambacérès, ibidem, page 239.

ment des rentes foncières. Leur situation n'est pas la même que celle des pays du nord. Le terroir de ces contrées est stérile. Il ne doit sa prospérité qu'aux baux à rente. Les propriétaires qui n'avoient pas assez de force pour exploiter, donnoient leurs biens à rente à ceux qui avoient des bras, mais qui manquoient de fonds pour acheter des terres : il en résultoit un avantage précieux pour le bailleur comme pour le preneur. Là, un bail de quatrevingt-dix ans, ne donneroit pas une sûreté suffisante pour entreprendre des plantations de vignes et d'oliviers, construire des canaux d'irrigation et élever des terrasses »> (1).

Enfin, continuoit-on, les rentes foncières sont un bien pour l'agriculture. « C'est ce contrat qui a repeuplé les Gaules dévastées par les Barbares et par les guerres intestines, et non moins funestes, de la première et de la seconde race; c'est par le moyen de ce bail que la grande majorité du peuple est redevenue propriétaire, a pu racheter sa liberté, a défriché les forêts et desséché les marais qui couvroient la surface de l'Empire » (2). « Le bail à rente foncière étoit

(1) M. Pelet, Procès-verbal du 15 ventose an 12, tome V, page 243.(2) M. Malleville, ibidem, page 241.

connu chez les Romains, qui l'appeloient emphyteusis, c'est-à-dire, bail pour améliorer: ce n'est en effet que des fonds en friche, et dont on ne retire presque aucun profit, que l'on donne communément à rente; s'ils étoient en rapport, on les donneroit à ferme, ou on les vendroit » (1).

« D'après ces données et cette expérience, il est difficile de concevoir quelque raison solide qui puisse empêcher de rétablir la faculté de donner des fonds à rente foncière. N'y a-t-il donc plus en France de terrains en friche ? Le nombre des propriétaires est-il trop grand relativement à sa surface? Et n'est-il pas, au contraire, du plus grand intérêt pour l'État de multiplier ce nombre? Sa tranquillité, son immutabilité, sa puissance, ne dépendent - elles pas essentiellement du meilleur emploi de son terrain et de l'attachement des citoyens pour le sol qui les a vu naître? Un homme qui n'a que ses bras est citoyen du monde, et par cela même ne l'est d'aucun pays particulier » (2).

II. D'un autre côté, l'on a contesté tous ces avantages et relevé les inconvéniens du contrat dont il s'agit.

(1) M. Malleville, Procès-verbal du 15 ventose an 12, tome V, page 240.- (2) Ibidem, page 241,

A la vérité, a-t-on dit, « le bail à rente foncière donne à ceux qui n'ont pas de facultés pécuniaires, la facilité d'acquérir des propriétés » (1), mais s'ensuit-il qu'il soit une ressource pour l'indigence?

Nullement : « ses résultats détruisent l'illusion qu'on pourroit se faire sur l'excellence de ce contrat. Il est très-difficile au colon de tirer de sa terre un produit suffisant pour acquitter tout à la fois, la rente et les contributions foncières »> (2).

« Les rentes foncières auront toujours, au contraire, l'effet fâcheux d'appauvrir les habitans des campagnes au profit des citadins. Les travaux, les frais de défrichement et la dépense du titre nouvel sont pour les premiers, tandis que les habitans des villes recueillent paisiblement les produits d'une terre qui étoit stérile dans leurs mains » (3).

Cependant on insiste et l'on dit : « ces reproches s'appliquent également aux baux à ferme, et même avec plus de force, car le taux du fermage est toujours plus élevé que celui des rentes foncières. Faut-il pour cela interdire aussi

(1) M. Bigot- Préameneu, Procès-verbal du 15 ventose an 12, tome V, page 247. — (2) M. Bérenger, ibidem, page 243. (3) M. Jollivet, ibidem, pages 248 et 249.

les baux à ferme, et obliger chaque propriétaire à cultiver lui-même son bien » (1) ?

Le parallèle qu'on entreprend d'établir n'est point exact. D'abord, « il y a cette différence entre ces deux contrats que le créancier de la rente foncière, dégagé de toute sollicitude, va consommer tranquillement son revenu dans la ville; au lieu que le propriétaire d'une ferme s'établit près de son héritage pour veiller aux réparations, pour suivre le fermier, voir s'il amende ses terres comme elles doivent l'être, et s'il satisfait aux engagemens accessoires du fermage» (2).

Mais voici des différences plus essentielles :

1o. Les frais et les travaux du défrichement sont bien autrement dispendieux et pénibles que ceux de l'exploitation d'une ferme, dont cependant ils ne dispensent point;

2o. La rente foncière est toujours due, quelque soit le succès de la récolte, au lieu que le propriétaire d'une ferme entre dans les pertes que les vimaires occasionnent au fermier.

Le bail à rente foncière augmente donc l'indigence, loin de la soulager.

(1) M. Malleville, Procès-verbal du 15 ventose an 12, tome V page 249. (2) Le Premier Consul, ibidem, page 219.

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