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lites, tonnant, éclairant, menaçant, et que je les craigne, ne suis-je pas cet esclave fugitif qui a reconnu son maître? Mais si je ne les crains pas, me voilà en pleine liberté ; je n'ai plus de maître que moi-même. Diogène a fort bien dit que le seul moyen de conserver sa liberté, c'est d'être toujours prêt à mourir sans peine.

Le même Diogène écrivit au roi des Perses : « Il n'est pas plus en ton pouvoir de réduire les Athéniens en servitude, que d'y réduire des poissons. Un poisson vivra plus longtemps hors de l'eau qu'un Athénien dans l'esclavage.

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Qu'est-ce qui rend un tyran formidable? Ce sont ses huissiers, ses satellites armés d'épées et de piques. Mais qu'un enfant les approche, il ne les craint point. D'où vient cela ? C'est qu'il ne connaît pas le danger. Et toi, tu n'as qu'à le connaître et à le mépriser.

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Un tyran me dit : — Je suis le maître, je puis tout. Eh! que peuxtu? Peux-tu te donner un bon esprit ? peux-tu m'ôter ma liberté ? Eh! que peux-tu donc ? Dans un vaisseau, ne dépends-tu pas du pilote? Dans ton char, ne dépends-tu pas de ton cocher?— Tout le monde me fait la cour. - Mais te la fait-on comme à un homme ? Montre-moi quelqu'un qui te prenne pour tel, qui voulût te ressembler, qui voulût être to disciple, comme de Socrate. Mais je puis te faire couper le cou. Tu parles bien j'avais oublié qu'il te faut faire la cour comme aux dieux nuisants, et t'offrir des sacrifices comme à la Fièvre. N'a-t-elle pas un autel à Rome ? tu le mérites plus qu'elle, car tu es plus malfaisant ; mais que tes satellites et toute ta pompe effrayent et troublent la vile populace, tu ne me troubleras point; je ne puis être troublé que par moi-même. Tu as beau me menacer, je te dis que je suis libre. - Toi, libre: comment?-C'est la Divinité même qui m'a affranchi. Penses-tu qu'elle souffre que son fils tombe sous ta puissance? Tu es maître de ce cadavre, prendsle; tu n'as aucun pouvoir sur moi.

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L'esclavage du corps, c'est l'ouvrage de la fortune, et l'esclavage de l'âme, c'est l'ouvrage du vice. Celui qui a la liberté du corps, s'il a l'âme liéé et garrottée, est esclave; et celui qui a l'âme libre a beau être chargé de chaînes, il jouit d'une pleine liberté. L'esclavage du corps, la nature le finit par la mort; mais l'esclavage de l'âme, c'est la vertu seule qui le finit.

VI

LA VRAIE RICHESSE.

Il ne dépend pas de toi d'être riche, mais il dépend de toi d'être heureux. Les richesses mêmes ne sont pas toujours un bien, et certainement elles sont toujours de peu de durée; mais le bonheur qui vient de la sagesse dure toujours.

La vie qui roule avec la fortune ressemble à l'eau d'un torrent; elle est toujours trouble, bourbeuse, dangereuse, violente, tumultueuse et passagère; au lieu que l'âme qui se nourrit de la vertu ressemble à une source qui fournit toujours une eau pure, claire, saine, abondante et qui ne tarit jamais.

Tu as acquis beaucoup de belles choses, tu as beaucoup de vases d'or et d'argent; mais le meilleur te manque la constance, la soumission aux ordres des dieux, la tranquillité, l'exemption de trouble et de crainte. Pour moi, tout pauvre que je suis, je suis plus riche que toi. Je ne me soucie point d'avoir de patron à la cour; je ne me soucie point de ce qu'on pourra dire de moi au prince, et je ne flatte personne. Voilà ce qui me tient lieu de tous les biens. Tu as des vases d'or et d'argent, mais toutes tes pensées, tous tes désirs, toutes tes inclinations, toutes tes actions sont de terre.

Il est aussi difficile aux riches d'acquérir la sagesse qu'aux sages d'acquérir les richesses.

Quand tu vois une vipère ou un serpent dans une boîte d'or, l'en estimes-tu davantage ? et n'as-tu pas toujours pour lui la même horreur, à cause de sa nature malfaisante et venimeuse ? Fais de même du méchant, quand tu le vois au milieu de ses richesses.

N'orne point ta maison de tableaux et de belles peintures, mais faisy éclater partout la sagesse et la tempérance. Les tableaux ne sont qu'une imposture pour repaître et tromper les yeux, au lieu que la sagesse est un ornement solide, réel et durable.

Un enfant met sa main dans un pot à ouverture étroite, où il y a des noisettes et des figues; il en emplit sa main tant qu'elle en peut tenir, et, ne pouvant la retirer si garnie, il se met à pleurer. Mon enfant, laisses-en la moitié, et tu retireras ta main assez garnie. Tu es cet enfant; tu désires beaucoup, et tu ne peux l'obtenir : désire moins, et tu l'auras.

Ce n'est pas bien raisonner que de dire: je suis plus riche que vous,

donc je suis meilleur que vous ; je suis plus éloquent que vous, donc je vaux mieux que vous. Pour raisonner conséquemment, il faut dire ! je suis plus riche que vous, donc mon bien est plus grand que le vôtre; je suis plus éloquent que vous, donc ma diction vaut mieux que la vôtre.

On jette dans le public des figues et des noisettes. Les enfants se battent pour les ramasser; mais les hommes n'en font aucun cas. On distribue des gouvernements de provinces; voilà pour les enfants. Des prétures, des consulats; voilà pour les enfants. Ce sont pour moi des figues et des noisettes. Il m'en tombe par hasard une sur ma robe, je la reçois et je la mange. C'est tout ce qu'elle vaut ; mais je ne me baisserai point pour la ramasser, et je ne pousserai personne.

Les dieux me laissent dans la pauvreté, dans la bassesse, dans la captivité. Ce n'est point par haine pour moi, car où est le maître qui haïsse un serviteur fidèle ? Ce n'est point non plus par négligence, car ils ne négligent pas les plus petites choses. Mais ils veulent m'exercer, ils veulent voir s'ils ont en moi un bon soldat, un bon citoyen; enfin ils veulent que je leur serve de témoin auprès des autres hommes.

VII

DE LA MANIÈRE DONT IL FAUT SUPPORTER L'INJUSTICE.

J'ai un méchant voisin, un méchant père. Ils ne sont méchants que pour eux, ils sont très-bons pour moi; car ils exercent et fortifient ma douceur, mon équité, ma patience. Voilà la verge de Mercure: elle ne changera pas en or tout ce que je toucherai, ce serait peu de chose; mais elle changera en biens tout ce qui passe pour des maux, la maladie, la pauvreté, l'ignominie et la mort même.

Chaque chose présente deux prises: l'une qui la rend très-aisée à supporter, et l'autre très-malaisée. Si ton frère te fait une injustice, ne prends point cette action par l'endroit de l'injustice qu'il te fait; car c'est par où on ne saurait ni la prendre ni la supporter; mais prendsla par l'autre prise, c'est-à-dire par l'endroit qui te présente un frère, un homme qui a été élevé avec toi, et tu la prendras par le bon côté, qui te la rendra supportable.

Va dire des injures à une pierre, à quoi cela te servira-t-il ? elle ne t'entendra point. Imite la pierre, et n'entends point les injures qu'on te dit.

Souviens-toi que ce n'est ni celui qui te dit des injures, ni celui qui te frappe, qui te maltraitent, mais c'est l'opinion que tu as d'eux, et qui te les fait regarder comme des gens dont tu es maltraité. Quand quelqu'un donc te chagrine et t'irrite, sache que ce n'est pas cet hommelà qui t'irrite, mais ton opinion sur toutes choses. Tâche donc d'empècher que ton imagination ne t'emporte, car si une première fois tu gagnes du temps et quelque délai, tu seras plus facilement maître de toi-même.

Un maître de palestre m'exerce en pétrissant mon cou, mes épaules, mes bras, et en m'ordonnant des exercices pénibles: Lève ce fardeau avec tes deux mains, me dit-il, et bien haut; et plus le fardeau est pesant, plus mes nerfs se fortifient. Il en est de même d'un homme qui me maltraite et qui me dit des injures; il m'exerce à la patience, à la douceur, à la clémence, exercice bien autrement utile que le premier.

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Ne faut-il pas que je me venge et que je rende le mal qu'on m'a fait ? Eh! mon ami, on ne t'a point fait de mal, puisque le bien et le mal ne sont que dans ta volonté. D'ailleurs, si un tel s'est blessé lui-même en te faisant une injustice, pourquoi veux-tu te blesser aussi toi-même en la lui rendant?

Si quelqu'un te rapporte qu'un tel a mal parlé de toi, ne t'amuse pas à réfuter ce qu'on a dit, mais réponds simplement : Celui qui a dit cela de moi ignorait sans doute mes autres vices, car il ne se serait pas contenté de ne parler que de ceux-là.

Le sage attend toujours des méchants plus de mal qu'il n'en reçoit. Un tel m'a dit des injures ; je lui rends grâces de ce qu'il ne m'a pas battu. Il m'a battu; je lui rends grâces de ce qu'il ne m'a pas blessé. Il m'a blessé; je lui rends grâces de ce qu'il ne m'a pas tué 1.

1. On trouve cette maxime mise en pratique avec un dévouement sublime par le héros d'une légende indienne, Pourna. Disciple du Boudha, il veut aller prêcher ses doctrines libératrices chez des peuples éloignés et féroces.

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« Mais, lui dit son maître, les hommes chez qui tu veux fixer ton séjour sont em<< portés et cruels. Lorsqu'ils t'adresseront en face des paroles insolentes et t'inju« rieront avec colère, que penseras-tu? Si ces hommes, répond Pourna, m'adres<< sent en face des paroles insolentes et m'injurient avec colère, voici ce que je pen<< serai ce sont certainement des hommes doux, ce sont des hommes bons, puisqu'ils « ne me frappent ni de la main ni à coups de pierre. Mais s'ils te frappent de la main et à coups de pierre, qu'en penseras-tu? Je penserai qu'ils sont bons et « doux, puisqu'ils ne me frappent ni du bâton ni de l'épée. Mais s'ils te frappeut « du bâton et de l'épée, qu'en penseras-tu? Je penserai qu'ils sont bons et doux, puisqu'ils ne me privent pas de la vie. Mais s'ils te privent de la vie, qu'en penseras-tu? Je penserai qu'ils sont bons et doux de me délivrer avec si peu de « douleur de ce corps misérable. Va donc, ô Pourna; délivré, délivre; consolé, console; arrivé à la complète sagesse, fais que les autres y arrivent comme toi!»

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VIII

DE LA DIVINITÉ.

DE SA PROVIDENCE.

La première chose qu'il faut apprendre, c'est qu'il y a un Dieu, qu'ik gouverne tout par sa providence, et que non-seulement nos actions, mais nos pensées et nos mouvements ne sauraient lui être cachés. Ensuite il faut examiner quelle est sa nature. Sa nature étant bien connue, il faut nécessairement que ceux qui veulent lui plaire et lui obéir fassent tous leurs efforts pour lui ressembler: qu'ils soient libres, fidèles, bienfaisants, miséricordieux, magnanimes. Que toutes tes pensées donc, que toutes tes paroles, que toutes tes actions, soient les actions, les paroles et les pensées d'un homme qui imite Dieu, qui veut ressembler à lui 1.

Quelle est la nature de la Divinité? C'est intelligence, ordre, raison. Par là tu peux connaître quelle est la nature de ton véritable bien, qui ne se trouve qu'en elle.

Tu veux plaire aux dieux ? Souviens-toi donc qu'ils ne haïssent rien tant que l'impureté et l'injustice.

Quand tu approches les princes et les grands, souviens-toi qu'il y a là-haut un plus grand prince encore, qui te voit, qui t'entend et à qui tu dois plutôt plaire.

Si le prince t'avait adopté, tu serais d'une fierté insupportable à tout le monde; et tu oublies la Divinité, à laquelle tu as tant d'obligation.

La protection d'un prince, ou celle même d'un grand seigneur, suffisent pour nous faire vivre tranquillement et à couvert de toute alarme. Nous avons les dieux pour protecteurs, pour pères, et cela ne suffit pas à chasser nos chagrins, nos inquiétudes, nos terreurs !

Tout ce qui arrive dans le monde fait l'éloge de la Providence. Donnemoi un homme intelligent ou reconnaissant, il la sentira.

Vous entreprenez un long voyage pour aller à Olympie voir les jeux, et encore plus pour voir la belle statue de Phidias, et vous regardez comme un grand malheur de mourir sans avoir eu le plaisir de les voir; mais des ouvrages bien supérieurs à ceux de Phidias, des ouvrages qu'il ne faut point aller chercher si loin, qui ne coûtent ni tant de peines ni tant de fatigues, qu'on voit partout, n'aurez-vous jamais envie de les considérer ? Ne vous viendra-t-il jamais dans l'esprit de penser enfin qui vous êtes, pourquoi vous êtes nés ? Et mourrez-vous sans atdit aussi Platon, est de devenir semblable à Dieu (ópotoñoðar vÿ Otā).

1. Le but du sage,

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