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Nous n'aurions pas osé dire d'aussi terribles vérités, mais il nous est permis de les copier; les incrédules ne peuvent être mieux définis que par les maîtres qui les ont formés.

L'auteur du Système de la nature ne s'est pas exprimé avec moins d'énergie, recherchant les causes qui peuvent porter à l'athéisme et à l'irréligion. La première est, selon lui, l'indignation qu'inspire à tout homme qui pense, la vue des maux qu'ont produits dans le monde l'idée de Dieu et la Religion. La seconde, est la crainte importune que doit faire naître dans l'esprit de tout raisonneur conséquent, l'idée d'un Dieu tel que ses affreux ministres le peignent, c'est-à-dire, d'un Dieu vengeur du crime, et rémunérateur de la vertu. La troisième, sont les passions et les intérêts des hommes qui les poussent à faire des recherches.

La question est de savoir si un esprit préoccupé par la crainte, par les passions, est fort en état de faire des recherches avec succès, et de découvrir la vérité.

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« Nous conviendrons, dit-il, que souvent la corruption des mœurs, › la débauche, la licence, et même la légèreté d'esprit, peuvent con» duire à l'irréligion ou à l'incrédulité; mais on peut être libertin, irréligieux, et faire parade d'incrédulité, sans être athée pour >> cela........ Bien des gens renoncent aux préjugés reçus, par vanité a et sur parole; ces prétendus esprits forts n'ont rien examiné par >> eux-mêmes, ils s'en rapportent à d'autres qu'ils supposent avoir pesé > les choses plus mûrement........ Un voluptueux, un débauché ense» veli dans la crapule, un ambitieux, un intrigant, un homme frivole » et dissipé, une femme déréglée, un bel-esprit à la mode, sont-ils » donc des personnages bien capables de juger d'une Religion qu'ils » n'ont point approfondie, de sentir la force d'un argument, d'em› brasser l'ensemble d'un système ?.... Les hommes corrompus n'at» taquent les dieux, que lorsqu'ils les croient ennemis de leurs pas

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Cependant, selon le même auteur, «il faut être désintéressé, pour » juger sainement des choses; il faut des lumières et de la suite dans l'esprit, pour saisir un grand système. Il n'appartient qu'à l'homme » de bien d'examiner les preuves de l'existence de Dieu et les principes » de toute religion..... L'homme honnête et vertueux est seul juge » compétent dans une si grande affaire. »

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Si, avant de lire un livre écrit contre la Religion, l'on commençoit par demander: l'auteur est-il un homme de bien, vertueux, honnête, sage, désintéressé? il est fort douteux qu'aucun de ces ouvrages fût dans le cas de faire fortune.

Un troisième dit avec franchise : « J'aime mieux être anéanti une » bonne fois, que de brûler toujours; le sort des bêtes me paroît plus » désirable que le sort des damnés. L'opinion, qui me débarrasse de » craintes accablantes dans ce monde, me paroit plus riante que l'in» certitude où me laisse l'opinion d'un Dieu sur mon sort éternel..... » On ne vit point heureux, quand on tremble toujours. Un Dieu, qui » damne éternellement, est évidemment le plus odieux des êtres que l'esprit humain puisse inventer 1. »

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Voilà donc la source dans laquelle nos philosophes ont puisé tant de lumières, la crainte de brûler toujours; mais cette crainte n'entre point dans une âme pure, honnête, vertueuse : l'enfer n'est destiné qu'aux méchans. Avouer que l'on est tourmenté par cette idée, c'est reconnoître que l'on n'a pas la conscience nette. Nos adversaires préfèrent, non l'opinion la plus vraie et la mieux prouvée, mais la plus riante et la plus commode; c'est le goût et non le raisonnement qui les détermine.

L'un des derniers qui aient écrit, convient de même qu'entre la Religion et l'athéisme, c'est le cœur, le tempérament, et non la raison qui décide du choix 2.

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L'auteur du livre de l'Esprit n'avoit pas trop bonne opinion de ses confrères. Peut-être, dit-il, nos auteurs sont-ils quelquefois plus soigneux de la correction de leurs ouvrages, que de celle de leurs >> mœurs, et prennent - ils exemple sur Averroës, ce philosophe » qui se permettoit, dit-on, des friponneries, qu'il regardoit, non >> seulement comme peu nuisibles, mais même comme utiles à sa ré» putation3.

Un autre avoue qu'au terme de la caducité, les principes de la Religion reprennent l'ascendant: parce qu'alors nous n'avons plus besoin des raisons qui nous tranquillisoient au sein des plaisirs ". Il est donc bien décidé que l'on n'est incrédule qu'autant que l'on a besoin de raisons pour se tranquilliser au sein des plaisirs.

'Le bon sens, §. 108, 182, 188. Aux mánes de Louis XV, p. 291.

-

'De l'Esprit, 2. Disc., c. 6, p. 142. 'Dialog. sur l'âme, p. 135 et suiv.

Tenez votre âme en état de désirer toujours qu'il y ait un Dieu, et vous n'en douterez jamais. J. J. Rousseau, Esprit et Maximes, etc., pag. 4.

S. XV.

Peut-être en est-il plusieurs qui ne méritent point ce reproche, et qui ont au moins des mœurs décentes. Mais ce n'est point à nous de faire des recherches sur leur conduite; nous ne pouvons en juger mieux que sur leur propre témoignage. Or, il est difficile d'avoir bonne opicion de maîtres, qui, de leur aveu, ont formé tant de disciples corrompus, et de nous fier à des principes toujours adoptés par les cœurs vicieux et par les esprits pervers.

Selon eux, nous attribuons mal-à-propos à l'incrédulité les vices qui viennent plutôt du luxe et des passions; soit donc ils ont encore plus de tort de les attribuer à la Religion. Mais dans quel cas les passions causeront-elles plus de ravage? Sous le joug de la Religion qui les condamne, ou sous le règne de l'incrédulité qui leur lâche la bride? Jamais le luxe ne fut porté à l'excès chez une nation, sans traîner à sa suite le libertinage d'esprit et de cœur. Que la philosophie incrédule soit fille du luxe, comme tous les autres vices, c'est ce que nous n'ignorons pas; un tel père ne fera jamais honneur à ses enfans.

« L'athéisme, disent-ils, n'est point fait pour le vulgaire, ni même » pour le plus grand nombre des hommes...... Des êtres ignorans, > malheureux et tremblans, se feront toujours des dieux..... Les prin» cipes de l'athéisme ne sont point faits pour le peuple, ni pour les ni > esprits frivoles, ni pour les hommes ambitieux et remuans, ni pour » un grand nombre de personnes instruites d'ailleurs, mais qui n'ont » point assez de courage 2. » Cependant l'on répète sans cesse la maxime, que la vérité est faite pour tout le monde; d'où il s'ensuit clairement que l'athéisme n'est pas la vérité.

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« Leucippe, Démocrite, Epicure, Straton, et quelques autres Grecs, » osèrent déchirer le voile épais du préjugé, et prêcher l'athéisme; » ils ne furent pas écoutés. Chez les modernes, Hobbes, Spinosa, » Bayle, etc., ont marché sur les traces d'Epicure; mais leur doctrine > ne trouva que peu de sectateurs, dans un monde trop enivré de fables pour écouter la raison... Ceux qui ont eu le courage d'annoncer la vérité, ont été communément punis de leur témérité. Il est » fort dangereux que nos docteurs de la vérité n'aient encore aujour» d'hui le même sort. »

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1 Histoire des Etabliss. des Europ. dans les Indes, t. 5, l. 13, pag. 176. de la nat., t. II, c. 10, 12, 13, p. 317, 352, 381. Le bon sens, §. 195. -sens, §. 204.

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Ils demandent << quel mal on peut faire aux hommes en leur propo»sant ses idées? Le pis-aller est de les laisser dans le doute et dans la dispute; n'y sont-ils pas déjà.» Mais ils observent que, pour bien des gens, leur ôter les idées de Dieu, ce seroit leur arracher une portion d'eux-mêmes2; que le doute sur ce sujet n'est rien moins qu'un oreiller commode'; que le doute, en fait de Religion, est un état plus cruel que d'expirer sur la roue. Rendons grâce à ces maîtres charitables qui veulent nous arracher une portion de nous-mêmes, et nous mettre dans un état pire que d'expirer sur la roue. Si, après des déclarations aussi précises, ils viennent à bout de séduire quelqu'un, il a grande envie d'être séduit. Montaigne, parlant d'eux, les appeloit hommes bien misérables et écervelés, qui tâchent d'être pires qu'ils ne peuvent .

S. XVI.

On croit peut être que les incrédules modernes ont fait des découvertes dont les anciens n'avoient aucune connoissance, qu'ils ont créé de nouveaux systèmes; erreur. Ils ont puisé leurs matériaux dans des sources abondantes, et qui ne sont point inconnues. Pour attaquer les vérités de la religion naturelle, ils ont ramené sur la scène les objections des épicuriens, des pyrrhoniens, des cyniques, des académiciens rigides et des cyrénaïques; c'est une doctrine renouvelée des Grecs. Mais ils ont passé sous silence les raisons par lesquelles Platon, Socrate, Cicéron, Plutarque, et d'autres, ont réfuté toutes ces visions. Contre l'ancien Testament et la religion juive, ils ont rajeuni les difficultés et les calomnies des manichéens, des marcionites, de Celse, de Julien, de Porphyre, et des autres philosophes; le plus célèbre de nos adversaires en est convenu. On en trouve la plupart dans Origène, dans Tertullien, dans saint Cyrille, dans saint Augustin, et dans les autres Pères de ces temps-là; mais les incrédules ont supprimé les réponses de ces auteurs.

Lorsqu'il a fallu combattre le christianisme, nos adversaires ont été encore mieux servis; ils ont copié les livres des juifs, et ceux des mahométans'. Les écrits d'Isaac Orobio, le Munimen fidei, tous les autres ouvrages compilés par Wagenseil, sont hachés et cousus par

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6.

Quest. sur l'Encyclop., Contradiction, p. 121.-- 1 V. Maracci, Prodom. ad refutat. Alcoranni. 'Tela ignea Satanæ.

lambeaux dans les livres des déistes: on doit en rendre la gloire aux rabbins. Contre le catholicisme, ils ont extrait les reproches de tous les hérétiques, surtout des controversistes protestans, et des sociniens. Enfin, pour suspecter les titres de notre croyance, ils ont fait sérieusement usage d'une méthode que le Père Hardouin n'avoit hasardée que comme un jeu d'esprit sur un sujet très-indifférent. On verra dans cet ouvrage la chaîne de traditions, par laquelle ces sublimes découvertes sont venues jusqu'à nous, et nous aurons soin de restituer à chacun ce qui lui appartient.

Les premiers incrédules français auroient peut-être rougi de puiser leurs réflexions dans des sources aussi impures; ils copioient les Anglais, sans savoir d'où ceux-ci avoient emprunté tant de richesses littéraires. Le poison étoit du moins présenté alors sous un masque de décence. Ceux d'aujourd'hui ont eu moins de délicatesse; ils ont fait couler de leur plume tout le fiel que les rabbins ont vomi contre Jésus-Christ et contre l'Evangile, sans en adoucir l'amertume, et toute la bile des controversistes protestans contre l'Eglise romaine; ils se sont même efforcés d'enchérir sur les uns et les autres. Grâce à leur intrépidité, il n'est plus de blasphèmes, de sarcasmes, d'invectives, de grossièretés, auxquelles nous n'ayons été forcés de nous endurcir.

S. XVII.

Cependant ils nous accusent d'ignorance, de crédulité, d'aveuglement, de prévention. Selon eux, nous ne tenons à la Religion que par préjugé de naissance, par respect pour l'autorité de nos maîtres et de nos aïeux, par négligence de réfléchir et de consulter la raison; nous commençons par croire avant d'examiner. Soit pour un moment. Nous soutenons qu'il n'y a point d'écrivains plus crédules, ni d'espèce plus moutonnière que les prétendus philosophes. Déjà ils conviennent que la plupart renonçant à la Religion par vanité, et sur parole s'en rapportant à d'autres, sont très peu en état d'approfondir une question, et de sentir la force ou la foiblesse d'un argument. Ce n'est donc pas la raison, mais l'autorité, qui les détermine. Qu'un incrédule quelconque ait avancé il y a cinquante ans un fait bien faux, bien absurde, cent fois réfuté, il n'en est pas moins répété par vingt auteurs qui se suivent à la file, sans qu'un seul ait daigné vérifier la chose. Copier aveuglément Gelse et Julien, les juifs, les sociniens, les déistes anglais, les controversistes de toutes les sectes, sans choix, sans critique, sans précaution; compiler, répéter, extraire, affirmer

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