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RELATION

DE

LA CONTAGION DE LYON (4).

Si les hommes font et continuent leur guerre par le malheur du siècle, Dieu, irrité de nos péchez et irrévérences, continue aussi la sienne, envoyant le fléau de la peste, verge de laquelle sa divine justice se sert ordinairement pour crever les apostumes de nostre orgueil, et nous faire penser que nous sommes hommes mortels, qui n'avons aucun terme asseuré de la durée de nostre vie. Ceste indignation divine s'est fait puissamment ressentir, avec des effets prodigieux, en ce royaume de France, cette année 1628, et singulièrement en la ville de Lyon, laquelle a expérimenté, aux despens de

(1) Les historiens de Lyon donnent peu de détails sur la peste qui désola cette ville en 1628. La Relation que nous réimprimons est tirée du Mercure Français.

la vie de plus de soixante mille personnes, combien Dieu est terrible en la vengeance qu'il prend de nos péchez.

On a parlé diversement du sujet de cette contagion de Lyon, et pour la plus vraysemblable cause d'icelle on a remarqué ce qui suit :

Au mois de juillet 1628, les trouppes conduittes par le marquis d'Uxelles, venans de Bourgongne, et s'en allans au secours du duc de Mantoue, ayant traversé tout le Lyonnois et estans entrées dans le Dauphiné, furent logées en partie dans un village nommé Vaux, à une lieue de la ville de Lyon, où un soldat mourut de peste le jour précédent qu'ils devoient desloger, et fut enterré la nuit par ses camarades dans un jardin, à deux pieds dans terre seulement, à l'insceu des habitans dudit lieu. Quelques jours après, la pluye ayant descouvert ce corps, le maistre de la maison le fait enlever et porter au cimetière. Cela fait, le mesme jour ceux de cette maison se trouvèrent frappés de la maladie contagieuse, et en peu de temps, avant qu'elle fust recognue, tous les voisins de ladite maison en furent aussi atteints.

La nouvelle de ceste maladie estant parvenue aux oreilles des commissaires de la santé de la ville de Lyon, aussitost ils y envoyent des capucins et un chirurgien, et leur font tenir tous vivres nécessaires pour les empescher de se communiquer.

Mais comme l'avidité du gain fait bresche aux plus estroittes défences, les habitans d'un fauxbourg de ladite ville, appellé la Guillottière, s'en allans la nuict prendre les denrées de ceux dudit lieu de Vaux pour les porter vendre le jour dans la ville, furent bientost infectez; ce qu'estant descouvert par les commissaires, ils firent fermer la porte du pont du Rosne, par la

quelle les habitans du fauxbourg et de Vaux pouvoient entrer dans Lyon, y mettre des gens avec la garde ordinaire de la porte pour leur empescher l'entrée, et donnèrent ordre à ce que les batelliers des ports qui sont és environs de la ville ne passassent personne ve→ nant desdits lieux et du costé de Dauphiné.

Ceste porte ayant demeuré fermée l'espace de cinq jours, et qu'il ne venoit en la ville aucuns bleds de Dauphiné, qui seul fournissoit pour lors la ville, à cause des défenses du parlement de Bourgongne d'y amener aucuns bleds, la chertẻ en estant grande, le peuple excite de grandes crieries pour faire ouvrir la porte et donner passage aux bleds; ce qui fut cause que, pour éviter quelque émotion, l'on fut contrainct de l'ouvrir, et mettre des gardes sur les advenues de Vaux pour en empescher l'abord. Mais ne l'ayant peu faire, à cause des divers passages qu'il y a, et que l'on passoit le Rosne au droit de Bresse pour entrer par la porte Neufve de la ville, elle ne tarda guères à se voir affligée, et cela fut au commencement du mois d'aoust, que l'on descouvrit une maison infectée au quartier de SainctGeorge, laquelle, avant que d'estre descouverte, avoit desjà espandu son venin en d'autres quartiers qui se firent bientost cognoistre, en telle sorte qu'en moins d'un mois tous les quartiers de la ville se trouvèrent infectez.

Cela donna tel effroy à tous les habitans d'icelle que tous les officiers de judicature, des finances, de l'élection et autres jurisdictions, quittèrent leur exercice et se retirèrent à la campagne avec la pluspart des principaux bourgeois et marchands, et ne demeura dans la ville que le prévost des marchands et les eschevins, lesquels peu de temps après furent réduits au dernier

desdits eschevins, les autres s'estans absentés à cause que la maladie avait attaqué leurs familles; ce qui arriva à plusieurs autres bourgeois et marchands qui estoient demeurez. Et ce qui augmenta l'effroy fut que plusieurs volleurs, se prévallans de la misère et calamité du temps, se mirent à engraisser les portes des maisons et chambres des habitans, leur imprimant la crainte de la maladie par l'attouchement de cette graisse, leur dessein estant de leur faire quitter leurs maisons pour plus facillement exercer leurs volleries.

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Cela anima tellement le peuple contre ceux de la religion prétendue réformée, qu'ils estimoient autheurs de ces engraissemens pour se rendre maistres de la ville (ayans appris qu'en l'année 1562 ceux de la religion prétendue réformée avoient prattiqué ceste rusée pour s'emparer de la ville, comme ils firent), que tous ceux de la religion prétendue réformée que le peuple rencontroit par la ville estoient tuez; et pour un seul jour ils en tuèrent plus de dix, en sorte que les magistrats et officiers qui estoient encore restez dans la ville furent contraints, s'estans saisis de quelques-uns de ces engraisseurs, de les faire pendre, comme il appert par ce dictum de la sentence exécutée sur un espinglier qui estoit de la religion prétendue réformée :

« Il est dit que Jacob Marion est suffisamment atteint et convaincu d'avoir engraissé des portes en rue Turpin, au grand scandale et trouble du repos public; pour réparation de quoy l'avons condamné à estre pris par l'exécuteur de la haute justice ès prisons royaux de cette ville, la hart au col, et de là estre conduit en la place des Terreaux avec un escriteau contenant ces mots : «Engraisseur de portes et infecteur public; » et illec en une potence, qui pour cet effect y sera dressée, estre

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