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RELATION

DU

SIÉGE DE LA ROCHELLE,

1628.

AVERTISSEMENT.

Ce fragment historique, extrait d'un ouvrage intitulé les Deux Siéges de La Rochelle, se compose des événements compris entre les années 1624 et 1628. Il embrasse ainsi les deux derniers actes de ce drame si imposant de la lutte rochelloise, drame dont le dénoûment, amené par Richelieu, décida de l'avenir religieux et politique de la France. Cette partie de l'ouvrage nous paraît réunir toutes les conditions d'uu document historique digue de revoir le jour.

Relation circonstanciée des principaux événements, reconstruction de plusieurs faits secondaires, épisodes curieux et ignorés, introduction sur la scène historique de plusieurs personnages que l'histoire avait jusqu'ici laissés dans l'ombre ou même dans l'oubli, détails précieux et inattendus sur les espérances, les ressources, l'organisation du protestantisme en France au moment où il se rencontra face à face avec la politique de Richelieu, voilà ce que le lecteur cherchera sans doute et trouvera certainement dans cette pièce; car tels sont les titres dont nous avons surtout tenu compte en nous décidant à la mettre sous ses yeux.

RELATION

DU

SIEGE DE LA ROCHELLE,

SOUS LE TRES CHRESTIEN ET INVINCIBLE ROY

LOUIS XIII,

A PRESENT HEUREUSEMENT RÉGNANT.

Depuis la levée du précédent siége de La Rochelle, de l'an mil cinq cens septante-trois, non seulement les habitans d'icelle avoient repris leur liberté et résolution première de se maintenir en je ne sçay quelle imagination de souveraineté à l'advenir, mais aussi continuoient leur principauté sur les autres villes de la religion prétendue réformée. Et pour se maintenir en ce degré de supériorité, firent provision de tout ce qui estoit nécessaire pour rendre leur ville imprenable, redoublèrent leurs fortifications, remplirent leurs magasins, prépa

rèrent une quantité incroyable de canons et munitions de guerre, grand nombre de vaisseaux pour accroistre leur pouvoir sur la mer, jusques-là que s'estans trouvez asseurez contre tous leurs voisins, et se voyans venus au poinct des moyens qu'ils désiroient, ils commencèrent à mettre bas toute crainte, mespriser les Roys et les princes, donner la loy aux autres villes de leur intelligence, et à projetter une domination de l'estendue jusques à la rivière de Loyre. Ce qu'ils exécutèrent assez dextrement, tant par la liberté du commerce et de la hantise des estrangers, et principalement des Anglois leurs grands amis, que pour les troubles du royaume, la Ligue ayant d'autre part donné des traverses aux deux Roys prédécédez Henry III et IV, surnommé le Grand, le décez duquel estant survenu au regret de la France, ils redoublèrent les effets de leurs prétentions, usant à leur souhait de l'occasion de la minorité du Roy.

C'est pourquoy ils jettèrent aussitost les fondemens de leur grandeur et ne cessèrent, de faire assemblées ordinaires, non pour le faict de leur religion prétendue réformée, mais pour pourvoir aux affaires de leur Estat, jusques à establir des officiers, créer des secrétaires d'Estat, des admiraux, décerner des patentes, battre monnoye, bailler commissions pour lever des gens de guerre, et faire tous autres actes de souveraineté. Et ils s'avancèrent enfin de faire leur admiral le sieur de Soubize, lequel, l'an 1624, abusant de l'authorité de cette nouvelle admirauté, projetta un grand butin qu'il pouvoit faire de ses pirateries, voleries et brigandages; comme de faict, assisté des vaisseaux que les églises prétendues réformées luy avoient mis en main, tout aussi tost se mit à courir sus aux marchands trafiquans sur les costes de Bretagne, de Poictou, Xaintonge et Guyenne,

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se saisit d'Oleron, où il exerça tous les actes d'hostilité qu'il se peut faire, ravagea le pais de Médoc et le Bordelois, jusques à provoquer les justes ressentimens et la patience du Roy, qui les avoit par tant de fois chastiez en l'isle de Ré et autres rencontres, outre les défences qu'il leur avoit faittes tant de fois de plus faire assemblées de toutes leurs églises pour délibérer des affaires d'Estat et entreprendre aucune chose contre son Estat et ses subjets. Et d'autant que tous les effects des entreprises du sieur de Soubize ne provenoient d'ailleurs que desdites assemblées, lesquelles furent mesmes blasmées par quelques-uns de leur party pour lors, il y en eut quelques escrits publiez par ceux qui prévoyoient le malheur auquel le sieur de Soubize, se fiant aux résolutions desdites assemblées, plongeroit en peu de temps les églises prétendues réformées. Comme vėritablement il n'y a aucun doubte que ce sont les moyens ordinaires que pratiquent ceux qui brassent des changemens d'Estat, les loix des républiques mieux policées les ont tousjours défendues, et tenu pour criminels de lèze-majesté ceux qui s'assembloient sans la permission de leur Prince souverain. Les loix des douze tables les avoient expressément abolies: cœtus nocturni ne fiant. Ce sont ces assemblées cachées, secrettes et non advouées par le magistrat légitime, que l'orateur latin appeloit tacita suffragia. Les constitutions des Empereurs les qualifient séditieuses et cassent tout ce qui y a esté résolu. Le titre y est exprès au Code: De seditiosis, et de his qui plebem contra rempublicam audent colligere.

De la tenue de ces assemblées sont venues les courses desraisonnées du sieur de Soubize, lequel fut si outrecuidé que de se saisir des vaisseaux de Sa Majesté pour se rendre maistre des isles de Ré et d'Oleron ; ce qu'il eust

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