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1365

Si vous craignez de n'être pas aimé.

Je vous aime, et depuis que j'ai vu la lumière,
Je me suis montrée assez fière,

Pour dédaigner les vœux de plus d'un roi;
Et s'il vous faut ouvrir mon âme toute entière,
Je n'ai trouvé que vous qui fût digne de moi.
Cependant j'ai quelque tristesse,

Qu'en vain je voudrois vous cacher;

1370 Un noir chagrin se mêle à toute ma tendresse,
Dont je ne la puis détacher.

Ne m'en demandez point la cause :
Peut-être la sachant voudrez-vous m'en punir,
Et si j'ose aspirer encore à quelque chose,
375 Je suis sûre du moins de ne point l'obtenir.

L'AMOUR.

Et ne craignez-vous point qu'à mon tour je m'irrite,
Que vous connoissiez mal quel est votre mérite,
Ou feigniez de ne pas savoir

Quel est sur moi votre absolu pouvoir?

1380 Ah! si vous en doutez, soyez désabusée, Parlez.

PSYCHÉ.

J'aurai l'affront de me voir refusée.

L'AMOUR.

Prenez en ma faveur de meilleurs sentiments;

L'expérience en est aisée,

Parlez, tout se tient prêt à vos commandements. 1385 Si pour m'en croire il vous faut des serments, J'en jure vos beaux yeux, ces maîtres de mon âme, Ces divins auteurs de ma flamme;

Et si ce n'est assez d'en jurer vos beaux yeux,
J'en jure par le Styx, comme jurent les Dieux.

PSYCHÉ.

1390 J'ose craindre un peu moins après cette assurance. Seigneur, je vois ici la pompe et l'abondance,

1395

1400

Je vous adore, et vous m'aimez :

Mon cœur en est ravi, mes sens en sont charmés;

Mais parmi ce bon-heur suprême
J'ai le mal-heur de ne savoir qui j'aime.

Dissipez cet aveuglement,

Et faites-moi connoître un si parfait amant.

L'AMOUR.

Psyché, que venez-vous de dire?

PSYCHÉ.

Que c'est le bon-heur où j'aspire,

Et si vous ne me l'accordez....

1405

1410

L'AMOUR.

Je l'ai juré, je n'en suis plus le maître,
Mais vous ne savez pas ce que vous demandez.
Laissez-moi mon secret. Si je me fais connaître,
Je vous perds, et vous me perdez.

Le seul remède est de vous en dédire.

PSYCHÉ.

C'est là sur vous mon souverain empire?

L'AMOUR.

Vous pouvez tout, et je suis tout à vous;
Mais si nos feux vous semblent doux,

Ne mettez point d'obstacle à leur charmante suite,
Ne me forcez point à la fuite :

C'est le moindre mal-heur qui nous puisse arriver
D'un souhait qui vous a séduite.

PSYCHÉ.

Seigneur, vous voulez m'éprouver,

Mais je sai ce que j'en dois croire.

1415 De grâce, apprenez-moi tout l'excès de ma gloire,

Et ne me cachez plus pour quel illustre choix

J'ai rejeté les vœux de tant de rois.

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Faites-vous des serments pour n'y point satisfaire?

L'AMOUR.

Hé bien, je suis le dieu le plus puissant des Dieux,

1425 Absolu sur la terre, absolu dans les cieux;

Dans les eaux, dans les airs mon pouvoir est suprême,
En un mot je suis l'Amour même,

Qui de mes propres traits m'étois blessé pour vous,
Et sans la violence, hélas! que vous me faites,
1430 Et qui vient de changer mon amour en courroux,
Vous m'alliez avoir pour époux.

1435

Vos volontés sont satisfaites,

Vous avez su qui vous aimiez,

Vous connoissez l'amant que vous charmiez,

Psyché, voyez où vous en êtes.

Vous me forcez vous-même à vous quitter,

Vous me forcez vous-même à vous ôter

Tout l'effet de votre victoire :

Peut-être vos beaux yeux ne me reverront plus;

1440 Ce palais, ces jardins, avec moi disparus,

Vont faire évanouir votre naissante gloire;
Vous n'avez pas voulu m'en croire,

Et pour tout fruit de ce doute éclairci,

Le Destin, sous qui le Ciel tremble,

1445 Plus fort que mon amour, que tous les Dieux ensemble,

Vous va montrer sa haine, et me chasse d'ici.

L'Amour disparoît; et dans l'instant qu'il s'envole, le superbe jardin s'évanouit. Psyché demeure seule au milieu d'une vaste campagne, et sur le bord sauvage d'un grand fleuve, où elle se veut précipiter. Le Dieu du fleuve paroît assis sur un amas de joncs et de roseaux, et appuyé sur une grande urne, d'où sort une grosse source d'eau.

1450

1455

1460

SCÈNE IV.

PSYCHÉ.

Cruel destin! funeste inquiétude!

Fatale curiosité!

Qu'avez-vous fait, affreuse solitude,

De toute ma félicité?

J'aimois un dieu, j'en étois adorée,

Mon bon-heur redoubloit de moment en moment,

Et je me voi seule, éplorée,

Au milieu d'un désert, où, pour accablement,

Et confuse, et désespérée,

Je sens croître l'amour, quand j'ai perdu l'amant.
Le souvenir m'en charme et m'empoisonne;

Sa douceur tyrannise un cœur infortuné

Qu'aux plus cuisants chagrins m'a flamme a condamné.
Ô Ciel! quand l'Amour m'abandonne,

Pourquoi me laisse-t-il l'amour qu'il m'a donné?
Source de tous les biens inépuisable et pure,

Maître des hommes et des Dieux,

Cher auteur des maux que j'endure,

1465 Êtes-vous pour jamais disparu de mes yeux

Je vous en ai banni moi-même;

2)?

(1) Dans nos anciennes éditions, le DIEU DU FLEUVE n'est nommé ni en tête de cette scène, bien qu'il y parle, ni en tête de la suivante.

2) L'édition de 1674, au lieu d'yeux, a la faute d'impression veux, qui est devenu vœux 'ans le texte de 1682.

Dans un excès d'amour, dans un bon-heur extrême, D'un indigne soupçon mon cœur s'est alarmé : Cœur ingrat, tu n'avois qu'un feu mal allumé; 1470 Et l'on ne peut vouloir, du moment que l'on aime, Que ce que veut l'objet aimé.

1475

1480

Mourons, c'est le parti qui seul me reste à suivre,
Après la perte que je fais.

Pour qui, grands Dieux ! voudrois-je vivre,

Et pour qui former des souhaits?

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Fleuve, de qui les eaux baignent ces tristes sables,
Ensevelis mon crime dans tes flots,

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LE DIEU DU FLEUVE.

Ton trépas souilleroit mes ondes,
Psyché, le Ciel te le défend,

Et peut-être qu'après des douleurs si profondes,
Un autre sort t'attend.

Fuis plustôt de Vénus l'implacable colère :
1485 Je la voi qui te cherche et qui te veut punir,
L'amour du fils a fait la haine de la mère;
Fuis, je saurai la retenir.

PSYCHÉ.

J'attends ses fureurs vengeresses.

Qu'auront-elles pour moi qui ne me soit trop doux? 1490 Qui cherche le trépas, ne craint Dieux, ni Déesses, Et peut braver tout leur courroux.

SCÈNE V.

VÉNUS, PSYCHÉ.

VÉNUS.

Orgueilleuse Psyché, vous m'osez donc attendre,

Après m'avoir sur terre enlevé mes honneurs,
Après que vos traits suborneurs

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