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De voir qu'un inconnu céans s'impatronise;

Qu'un gueux, qui, quand il vint, n'avait pas de souliers,
Et dont l'habit entier valait bien six deniers,
En vienne jusque-là que de se méconnaître,
De contrarier tout, et de faire le maître.

MADAME PERNELLE.
Hé! merci de ma vie ! il en irait bien mieux
Si tout se gouvernait par ses ordres pieux.

DORINE.

Il passe pour un saint dans votre fantaisie .
Tout son fait, croyez-moi, n'est rien qu'hypocrisie.

Voyez la langue !

MADAME PERNELLE.

DORINE.

A lui, non plus qu'à son Laurent, Je ne me fierais, moi, que sur un bon garant.

MADAME PERNELLE.

J'ignore ce qu'au fond le serviteur peut être;
Mais pour homme de bien je garantis le maître.
Vous ne lui voulez mal et ne le rebutez

Qu'à cause qu'il vous dit à tous vos vérités.
C'est contre le péché que son cœur se courrouce,
Et l'intérêt du ciel est tout ce qui le pousse.

DORINE.

Oui; mais pourquoi, surtout depuis un certain temps, Ne saurait-il souffrir qu'aucun hante céans

En quoi blesse le ciel une visite honnête,

Pour en faire un vacarme à nous rompre la tête? Veut-on que là-dessus je m'explique entre nous ?... (Montrant Elmire.)

Je crois que de madame il est, ma foi, jaloux.

MADAME PERNELLE.

Taisez-vous, et songez aux choses que vous dites.
Ce n'est pas lui tout seul qui blâme ces visites :
Tout ce tracas qui suit les gens que vous hantez,
Ces carrosses sans cesse à la porte plantés,
Et de tant de laquais le bruyant assemblage,
Font un éclat fàcheux dans tout le voisinage.
Je veux croire qu'au fond il ne se passe rien :
Mais enfin on en parle, et cela n'est pas bien.
CLÉANTE.

Hé! voulez-vous, madame, empêcher qu'on ne cause?
Ce serait dans la vie une fâcheuse chose,

Si, pour les sots discours où l'on peut être mis,

Il fallait renoncer à ses meilleurs amis.

Et quand même on pourrait se résoudre à le faire,
Croiriez-vous obliger tout le monde à se taire?
Contre la médisance il n'est point de rempart.
A tous les sots caquets n'ayons donc nul égard;
Efforçons-nous de vivre avec toute innocence,
Et laissons aux causeurs une pleine licence.

DORINE.

Daphné, notre voisine, et son petit époux,
Ne seraient-ils point ceux qui parlent mal de nous ?
Ceux de qui la conduite offre le plus à rire
Sont toujours sur autrui les premiers à médire ;
Ils ne manquent jamais de saisir promptement
L'apparente lueur du moindre attachement,
D'en semer la nouvelle avec beaucoup de joie,
Et d'y donner le tour qu'ils veulent qu'on y croie.
Des actions d'autrui, teinte de leurs couleurs,
Ils pensent dans le monde autoriser les leurs,
Et, sous le faux espoir de quelque ressemblance,
Aux intrigues qu'ils ont donner de l'innocence,
Ou faire ailleurs tomber quelques traits partagés
De ce blâme public dont ils sont trop chargés.

MADAME PERNELLE.

Tous ces raisonnements ne font rien à l'affaire.
On sait qu'Orante mène une vie exemplaire;
Tous ses soins vont au ciel; et j'ai su par des gens
Qu'elle condamne fort le train qui vient céans.

DORINE.

L'exemple est admirable, et cette dame est bonne !
Il est vrai qu'elle vit en austère personne;
Mais l'âge dans son âme a mis ce zèle ardent,
Et l'on sait qu'elle est prude à son corps défendant.
Tant qu'elle a pu des cœurs attirer les hommages,
Elle a fort bien joui de tous ses avantages:
Mais, voyant de ses yeux tous les brillants baisser,
Au monde qui la quitte elle veut renoncer,
Et du voile pompeux d'une haute sagesse
De ses attraits usés déguiser la faiblesse.
Ce sont là les retours des coquettes du temps:
Il leur est dur de voir déserter les galants.
Dans un tel abandon, leur sombre inquiétude
Ne voit d'autre recours que le métier de prude;
Et la sévérité de ces femmes de bien
Censure toute chose et ne pardonne à rien;

Hautement d'un chacun elles blâment la vie,
Non point par charité, mais par un trait d'envie
Qui ne saurait souffrir qu'une autre ait les plaisirs
Dont le penchant de l'âge a sevré leurs désirs.

MADAME PERNELLE, à Elmire,

Voilà les contes bleus qu'il vous faut pour vous plaire,
Ma bru. L'on est chez vous contrainte de se taire :
Car madame, à jaser, tient le dé tout le jour.
Mais enfin je prétends discourir à mon tour:
Je vous dis que mon fils n'a rien fait de plus sage
Qu'en recueillant chez soi ce dévot personnage;
Que le ciel au besoin l'a céans envoyé
Pour redresser à tous votre esprit fourvoyé;
Que, pour votre salut, vous le devez entendre ;
Et qu'il ne reprend rien qui ne soit à reprendre.
Ces visites, ces bals, ces conversations,
Sont du malin esprit toutes inventions.
Là jamais on n'entend de pieuses paroles;
Ce sont propos oisifs, chansons et fariboles:
Bien souvent le prochain en a sa bonne part,
Et l'on y sait médire et du tiers et du quart.
Enfin les gens sensés ont leurs têtes troublées
De la confusion de telles assemblées :

Mille caquets divers s'y font en moins de rien;
Et, comme l'autre jour un docteur dit fort bien,
C'est véritablement la tour de Babylone,

Car chacun y babille, et tout du long de l'aune:
Et, pour conter l'histoire où ce point l'engagea...
(Montrant Cléante.)

Voilà-t-il pas monsieur qui ricane déjà !

Allez chercher vos fous qui vous donnent à rire,
(A Elmire.)

Et sans... Adieu, ma bru; je ne veux plus rien dire.
Sachez que pour céans j'en rabats de moitié,

Et qu'il fera beau temps quand j'y mettrai le pied.
(Donnant un soufflet à Flipote.)

Allons, vous, vous rêvez et bayez aux corneilles (1).
Jour de Dieu! je saurai vous frotter les oreilles.
Marchons, gaupe, marchons.

(1) Bayer, regarder en tenant la bouche ouverte : du vieux mot beor.

SCÈNE II.

CLEANTE, DORINE.

CLÉANTE.

Je n'y veux point aller,

De peur qu'elle ne vînt encor me quereller;

Que cette bonne femme...

DORINE.

Ah! certes, c'est dommage

Qu'elle ne vous ouît tenir un tel langage :
Elle vous dirait bien qu'elle vous trouve bon,
Et qu'elle n'est point d'âge à lui donner ce nom.
CLÉANTE.

Comme elle s'est pour rien contre nous échauffée
Et que de son Tartufe elle paraît coiffée!

DORINE.

Oh! vraiment, tout cela n'est rien au prix du fils:
Et, si vous l'aviez vu, vous diriez : C'est bien pis!
Nos troubles l'avaient mis sur le pied d'homme sage,
Et pour servir son prince, il montra du courage :
Mais il est devenu comme un homme hébété,
Depuis que de Tartufe on le voit entêté :

Il l'appelle son frère, et l'aime dans son âme

Cent fois plus qu'il ne fait mère, fils, fille, et femme.
C'est de tous ses secrets l'unique confident,

Et de ses actions le directeur prudent;

Il le choie, il l'embrasse; et pour une maîtresse
On ne saurait, je pense, avoir plus de tendresse :

A table, au plus haut bout il veut qu'il soit assis;
Avec joie il l'y voit manger autant que six;
Les bons morceaux de tout, il faut qu'on les lui cède;
Et s'il vient à roter, il lui dit: Dieu vous aide!
Enfin il en est fou, c'est son tout, son héros;

Il l'admire à tous coups, le cite à tous propos;

Ses moindres actions lui semblent des miracles,

Et tous les mots qu'il dit sont pour lui des oracles.
Lui, qui connaît sa dupe, et qui veut en jouir,

Par cent dehors fardés a l'art de l'éblouir;

Son cagotisme en tire à toute heure des sommes,

Et prend droit de gloser sur tous tant que nous sornmes. Il n'est pas jusqu'au fat qui lui sert de garçon

Qui ne se mêle aussi de nous faire leçon :

Il vient nous sermonner avec des yeux farouches,
Et jeter nos rubans, notre rouge, et nos mouches.
Le traître, l'autre jour, nous rompit de ses mains
Un mouchoir qu'il trouva dans une Fleur des Saints,
Disant que nous mêlions, par un crime effroyable,
Avec la sainteté les parures du diable.

SCÈNE III.

ELMIRE, MARIANE, DAMIS, CLÉANTE, DORINE.
ELMIRE, à Cléante.

Vous êtes bien heureux de n'être point venu

Au discours qu'à la porte elle nous a tenu.
Mais j'ai vu mon mari; comme il ne m'a point vue,
Je veux aller là-haut attendre sa venue.

CLÉANTE.

Moi, je l'attends ici pour moins d'amusement;
Et je vais lui donner le bonjour seulement.

SCÈNE IV.

CLÉANTE, DAMIS, DORINE.

DAMIS.

De l'hymen de ma sœur touchez-lui quelque chose.
J'ai soupçon que Tartufe à son effet s'oppose,
Qu'il oblige mon père à des détours si grands;
Et vous n'ignorez pas quel intérêt j'y prends...
Si même ardeur enflamme et ma sœur et Valère,
La sœur de cet ami, vous le savez, m'est chère;
Et s'il fallait...

DORINE.

Il entre.

SCÈNE V.

ORGON, CLEANTE, DORINE.

ORGON.

Ah! mon frère, bonjour.

CLÉANTE.

Je sortais, et j'ai joie à vous voir de retour.

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