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L'union de Valère avecque Mariane,

De renoncer vous-même à l'injuste pouvoir?
Qui veut du bien d'un autre enrichir votre espoir;
Et...

SCÈNE IV.

ELMIRE, DAMIS, TARTUFE.

DAMIS, sortant du cabinet où il s'était retiré.
Non, madame, non; ceci doit se répandre.
J'étais en cet endroit, d'où j'ai pu tout entendre;
Et la bonté du ciel m'y semble avoir conduit
Pour confondre l'orgueil d'un traître qui me nuit,
Pour m'ouvrir une voie à prendre la vengeance
De son hypocrisie et de son insolence,

A détromper mon père, et lui mettre en plein jour
L'âme d'un scélérat qui vous parle d'amour.

ELMIRE.

Non, Damis; il suffit qu'il se rende plus sage,
Et tâche à mériter la grâce où je m'engage.
Puisque je l'ai promis, ne m'en dédites pas.
Ce n'est point mon humeur de faire des éclats:
Une femme se rit de sottises pareilles,

Et jamais d'un mari n'en trouble les oreilles.

DAMIS.

Vous avez vos raisons pour en user ainsi ;
Et pour faire autrement j'ai les miennes aussi.
Le vouloir épargner est une raillerie;
Et l'insolent orgueil de sa cagoterie

N'a triomphé que trop de mon juste courroux,
Et que trop excité de désordre chez nous.
Le fourbe trop longtemps a gouverné mon père
Et desservi mes feux avec ceux de Valère :
Il faut que du perfide il soit désabusé;
Et le ciel pour cela m'offre un moyen aisé.
De cette occasion je lui suis redevable,
Et, pour la négliger, elle est trop favorable :
Ce serait mériter qu'il me la vînt ravir,
Que de l'avoir en main et ne m'en pas servir

Damis...

ELMIRE.

DAMIS.

Non, s'il vous plaît, il faut que je me croie.

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Mon âme est maintenant au comble de sa joie;
Et vos discours en vain prétendent m'obliger
quitter le plaisir de me pouvoir venger.
Sans aller plus avant, je vais vider l'affaire;
Et voici justement de quoi me satisfaire.

SCÈNE V.

ORGON, ELMIRE, DAMIS, TARTUFE.

DAMIS.

Nous allons régaler, mon père, votre abord
D'un incident tout frais qui vous surprendra fort.
Vous êtes bien payé de toutes vos caresses,

Et monsieur d'un beau prix reconnaît vos tendresses.
Son grand zèle pour vous vient de se déclarer :
Il ne va pas à moins qu'à vous déshonorer;

Et je l'ai surpris là qui faisait à madame
L'injurieux aveu d'une coupable flamme.

Elle est d'une humeur douce, et son cœur trop discret
Voulait à toute force en garder le secret;

Mais je ne puis flatter une telle impudence,

Et crois que vous la taire est vous faire une offense.

ELMIRE.

Oui, je tiens que jamais de tous ces vains propos
On ne doit d'un mari traverser le repos;
Que ce n'est point de là que l'honneur peut dépendre,
Et qu'il suffit pour nous de savoir nous défendre;
Ce sont mes sentiments; et vous n'auriez rien dit,
Damis, si j'avais eu sur vous quelque crédit.

SCÈNE VI.

ORGON, DAMIS, TARTUFE.

ORGON.

Ce que je viens d'entendre, ô ciel! est-il croyable?

TARTUFE.

Oui, mon frère, je suis un méchant, un coupable,
Un malheureux pécheur, tout plein d'iniquité,
Le plus grand scélérat qui jamais ait été.
Chaque instant de ma vie est chargé de souillures;
Elle n'est qu'un amas de crimes et d'ordures;
Et je vois que le ciel, pour ma punition,

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Me veut mortifier en cette occasion.

De quelque grand forfait qu'on me puisse reprendre,
Je n'ai garde d'avoir l'orgueil de m'en défendre.
Croyez ce qu'on vous dit, armez votre courroux,
Et comme un criminel chassez-moi de chez vous;
Je ne saurais avoir tant de honte en partage,
Que je n'en aie encor mérité davantage.

ORGON, à son fils.

Ah! traître, oses-tu bien, par cette fausseté,
Vouloir de sa vertu ternir la pureté?

DAMIS.

Quoi! la feinte douceur de cette âme hypocrite
Vous fera démentir...

ORGON.

Tais-toi, peste maudite!

TARTUFE.

Ah! laissez-le parler; vous l'accusez à tort,
Et vous ferez bien mieux de croire à son rapport.
Pourquoi sur un tel fait m'être si favorable?
Savez-vous, après tout, de quoi je suis capable?
Vous fiez-vous, mon frère, à mon extérieur ?

Et, pour tout ce qu'on voit, me croyez-vous meilleur ?
Non, non vous vous laissez tromper à l'apparence;
Et je ne suis rien moins, hélas! que ce qu'on pense.
Tout le monde me prend pour un homme de bien;
Mais la vérité pure est que je ne vaux rien.

(S'adressant à Damis.)

Oui, mon cher fils, parlez; traitez-moi de perfide,
D'infâme, de perdu, de voleur, d'homicide;
Accablez-moi de noms encor plus détestés :
Je n'y contredis point, je les ai mérités;
Et j'en veux à genoux souffrir l'ignominie,
Comme une honte due aux crimes de ma vie.

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Mon frère, c'en est trop. Ton cœur ne se rend point,
Traître !

DAMIS.

Quoi! ses discours vous séduiront au point...

ORGON.

(Relevant Tartufe.)

Tais-toi, pendard! Mon frère, hé! levez-vous, de grâce!

(A son fils.)

Infâme!

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Si tu dis un seul mot, je te romprai les bras.

TARTUFE.

Mon frère, au nom de Dieu, ne vous emportez pas !
J'aimerais mieux souffrir la peine la plus dure,
Qu'il eût reçu pour moi la moindre égratignure.
ORGON, à son fils.

Ingrat!

TARTUFE.

Laissez-le en paix. S'il faut, à deux genoux,

Vous demander sa grâce...

ORGON, se jetant aussi à genoux, et embrassant Tartufe.

Hélas! vous moquez-vous?

(A son fils.

Coquin! vois sa bonté!

DAMIS.

Donc...

ORGON.

Paix!

DAMIS.

Quoi! je...

ORGON.

Je sais bien quel motif à l'attaquer t'oblige.
Vous le haïssez tous; et je vois aujourd'hui
Femme, enfants et valets déchaînés contre lui.
On met impudemment toute chose en usage
Pour ôter de chez moi ce dévot personnage :
Mais plus on fait d'efforts afin de l'en bannir,
Plus j'en veux employer à l'y mieux retenir;
Et je vais me hâter de lui donner ma fille,
Pour confondre l'orgueil de toute ma famille.

DAMIS.

A recevoir sa main on pense l'obliger?

ORGON.

Paix dis-je :

Oui, traître, et dès ce soir, pour vous faire enrager.
Ah! je vous brave tous, et vous ferai connaître
Qu'il faut qu'on m'obéisse, et que je suis le maître.

Allons, qu'on se rétracte, et qu'à l'instant, fripon,
On se jette à ses pieds pour demander pardon.

DAMIS.

Qui? moi! de ce coquin, qui par ses impostures...

ORGON.

Ah! tu résistes, gueux, et lui dis des injures!

(A 'Tartufe.)

Un bâton! un bâton! Ne me retenez pas.

(A son fils.)

Sus! que de ma maison on sorte de ce pas,
Et que d'y revenir on n'ait jamais l'audace.

Oui, je sortirai; mais...

DAMIS.

ORGON.

Vite, quittons la place.

Je te prive, pendard, de ma succession,
Et te donne, de plus, ma malédiction.

SCÈNE VII.

ORGON, TARTUFE.

ORGON.

Offenser de la sorte une sainte personne!

TARTUFE.

O ciel! pardonne-lui la douleur qu'il me donne!

(A Orgon.)

Si vous pouviez savoir avec quel déplaisir

Je vois qu'envers mon frère on tâche à me noircir...

Hélas!

ORGON.

TARTUFE.

Le seul penser de cette ingratitude

Fait souffrir à mon âme un supplice si rude...
L'horreur que j'en conçois... J'ai le cœur si serré
Que je ne puis parler, et crois que j'en mourrai.

ORGON, courant tout en larmes à la porte par où il a chassé son fils.
Coquin! je me repens que ma main t'ait fait grâce,
Et ne t'ait pas d'abord assommé sur la place.

(A Tartufe.)

Remettez-vous, mon frère, et ne vous fâchez pas.

TARTUFE.

Rompons, rompons le cours de ces fâcheux débats.

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