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Et sait cent tours ingénieux

Pour mettre à bout les plus cruelles. Des yeux d'Alcmène il a senti les coups; Et tandis qu'au milieu des béotiques plaines Amphitryon, son époux,

Commande aux troupes thébaines,

Il en a pris la forme, et reçoit là-dessous
Un soulagement à ses peines,

Dans la possession des plaisirs les plus doux.
L'état des mariés à ses feux est propice :
L'hymen ne les a joint que depuis quelques jours;
Et la jeune chaleur de leurs tendres amours
A fait que Jupiter à ce bel artifice

S'est avisé d'avoir recours.

Son stratagème ici se trouve salutaire :
Mais, près de maint objet chéri,
Pareil déguisement serait pour ne rien faire;
Et ce n'est pas partout un bon moyen de plaire
Que la figure d'un mari.

LA NUIT.

J'admire Jupiter, et je ne comprends pas
Tous les déguisements qui lui viennent en tête.

MERCURE.

Il veut goûter par là toutes sortes d'états;
Et c'est agir en dieu qui n'est pas bête.
Dans quelque rang qu'il soit des mortels regardé,
Je le tiendrais fort misérable

S'il ne quittait jamais sa mine redoutable,
Et qu'au faîte des cieux il fut toujours guindé.
Il n'est point à mon gré de plus sotte méthode
Que d'être emprisonné toujours dans sa grandeur,
Et surtout, aux transports de l'amoureuse ardeur
La haute qualité devient fort incommode.
Jupiter, qui sans doute en plaisirs se connaît,
Sait descendre du haut de sa gloire suprême;
Et, pour entrer dans tout ce qu'il lui plaît
Il sort tout à fait de lui-même,
Et ce n'est plus alors Jupiter qui paraît.

LA NUIT.

Passe encor de le voir, de ce sublime étage,
Dans celui des hommes venir,

Prendre tous les transports que leur cœur peut fournir,
Et se faire à leur badinage,

Si, dans les changements où son humeur l'engage,
A la nature humaine il s'en voulait tenir.

Mais de voir Jupiter taureau,

Serpent, cygne, ou quelque autre chose,
Je ne trouve point cela beau,

Et ne m'étonne pas si parfois on en cause.

MERCURE..

Laissons dire tous les censeurs :

Tels changements ont leurs douceurs
Qui passent leur intelligence.

Ce dieu sait ce qu'il fait aussi bien là qu'ailleurs;
Et, dans les mouvements de leurs tendres ardeurs,
Les bêtes ne sont pas si bêtes que l'on pense.

LA NUIT.

Revenons à l'objet dont il a les faveurs.

Si, par son stratagème, il voit sa flamme heureuse, Que peut-il souhaiter, et qu'est-ce que je puis?

MERCURE.

Que vos chevaux par vous au petit pas réduits Pour satisfaire aux vœux de son âme amoureuse, D'une nuit si délicieuse

Fassent la plus longue des nuits;

Qu'à ses transports vous donniez plus d'espace,
Et retardiez la naissance du jour

Qui doit avancer le retour
De celui dont il tient la place.

LA NUIT.

Voilà sans doute un bel emploi
Que le grand Jupiter m'apprête !
Et l'on donne un nom fort honnête
Au service qu'il veut de moi!

MERCURE.

Pour une jeune déesse,

Vous êtes bien du bon temps!
Un tel emploi n'est bassesse

Que chez les petites gens.

Lorsque dans un haut rang on a l'heur de paraître
Tout ce qu'on fait est toujours bel et bon;
Et, suivant ce qu'on peut être,
Les choses changent de nom.

LA NUIT.

Sur de pareilles matières
Vous en savez plus que moi;

Et, pour accepter l'emploi,

J'en veux croire vos lumières.

MERCURE.

Hé! là, là, madame la Nuit,

Un peu doucement, je vous prie;

Vous avez dans le monde un bruit (1)

De n'être pas si renchérie.

On vous fait confidente, en cent climats divers,
De beaucoup de bonnes affaires;

Et je crois, à parler à sentiments ouverts,

Que nous ne nous en devons guères

(1) Bruit pour réputation.

LA NUIT.

Laissons ces contrariétés,

Et demeurons ce que nous somines.
N'apprêtons point à rire aux hommes
En nous disant nos vérités.

MERCURE.

Adieu. Je vais là-bas, dans ma commission,
Dépouiller promptement la forme de Mercure,
Pour y vêtir la figure
Du valet d'Amphitryon.

LA NUIT.

Moi, dans cet hémisphère, avec ma suite obscure,
Je vais faire une station.

Bonjour, la Nuit.

MERCURE.

LA NUIT.

Adieu, Mercure.

(Mercure descend de son nuage, et la Nuit traverse le théâtre.)

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

SOSIE.

Qui va là? Heu! ma peur à chaque pas s'accroît!
Messieurs, ami de tout le monde.

Ah! quelle audace sans seconde

De marcher à l'heure qu'il est!

Que, mon maître, couvert de gloire,

Me joue ici d'un vilain tour!

Quoi! si pour son prochain il avait quelque amour,
M'aurait-il fait partir par une nuit si noire?
Et, pour me renvoyer annoncer son retour
Et le détail de sa victoire,

Ne pouvait-il pas bien attendre qu'il fût jour?
Sosie, à quelle servitude

Tes jours sont-ils assujettis!

Notre sort est beaucoup plus rude

Chez les grands que chez les petits.

Пls veulent que pour eux tout soit, dans la nature,

Obligé de s'immoler.

Jour et nuit, grêle, vent, péril, chaleur, froidure,
Dès qu'ils parlent, il faut voler.
Vingt ans d'assidu service

N'en obtiennent rien pour nous.
Le moindre petit caprice

Nous attire leur courroux.
Cependant notre âme insensée

S'acharne au vain honneur de demeurer près d'eux,

Et s'y veut contenter de la fausse pensée

Qu'ont tous les autres gens, que nous sommes heureux.
Vers la retraite en vain la raison nous appelle,
En vain notre dépit quelquefois y consent;
Leur vue a sur notre zèle

Un ascendant trop puissant,

Et la moindre faveur d'un coup d'œil caressant
Nous rengage de plus belle.

Mais enfin, dans l'obscurité,

Je vois notre maison, et ina frayeur s'évade.
Il me faudrait, pour l'ambassade,
Quelque discours prémédité.

Je dois aux yeux d'Alcmène un portrait militaire
Du grand combat qui met nos ennemis à bas;
Mais comment diantre le faire,

Si je ne m'y trouvai pas?

N'importe, parlons-en et d'estoc et de taille,
Comme oculaire témoin.

Combien de gens font-ils des récits de bataille
Dont ils se sont tenus loin!

Pour jouer mon rôle sans peine,

Je le veux un peu repasser.

Voici la chambre où j'entre en courrier que l'on mène,
Et cette lanterne est Alcmène,

A qui je me dois adresser.

(Sosie pose så lanterne à terre.)

Madame, Amphitryon, mon maître et votre époux... (Bon! beau début!) l'esprit toujours plein de vos charmes, M'a voulu choisir entre tous

Pour vous donner avis du succès de ses armes,

Et du désir qu'il a de se voir près de vous.

« Ah! vraiment, mon pauvre Sosie,

<< A te revoir j'ai de la joie au cœur. » Madame, ce m'est trop d'honneur, Et mon destin doit faire envie.

(Bien répondu!) « Comment se porte Amphitryon? » Madame, en homme de courage,

Dans les occasions où la gloire l'engage

(Fort bien ! belle conception!)

« Quand viendra-t- il, par son retour charmant,
<<< Rendre mon âme satisfaite? »

Le plus tôt qu'il pourra, madame, assurément,
Mais bien plus tard que son cœur ne souhaite.
(Ah!) << Mais quel est l'état où la guerre l'a mis?
« Que dit-il? que fait-il? Contente un peu mon âme. »
Il dit moins qu'il ne fait, madame,

Et fait trembler les ennemis.

(Peste! où prend mon esprit toutes ces gentillesses? }
« Que font les révoltés? dis-moi, quel est leur sort? »
Ils n'ont pu résister, madame, à notre effort;
Nous les avons taillés en pièces,
Mis Ptérélas leur chef à mort,

Pris Télèbe d'assaut; et déjà dans le port
Tout retentit de nos prouesses.

<< Ah! quel succès! ô dieux! Qui l'eût pu jamais croire.
« Raconte-moi, Sosie, un tel événement. »

Je le veux bien, madame; et, sans m'enfler de gloire,
Du détail de cette victoire

Je puis parler très-savamment.
Figurez-vous donc que Télèbe (1),

Madame, est de ce côté ;

(Sosie marque les lieux sur sa main ou à terre.)

C'est une ville, en vérité,

Aussi grande quasi que Thèbe.

La rivière est comme là.

Ici nos gens se campèrent;

Et l'espace que voilà,

Nos ennemis l'occupèrent.

Sur un haut (2), vers cet endroit,

Était leur infanterie ;

Et plus bas, du côté droit,

Était la cavalerie.

Après avoir aux dieux adressé les prières,

Tous les ordres donnés, on donne le signal.

Les ennemis, pensant nous tailler des croupières,

(1) Télébe était la capitale de l'ile de Taphe, voisine et peu éloignée d'ltbaque, située vis-à vis l'Acarnanie:

(2) Haut, pour hauteur, élévation.

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