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canevas et son titre, mais même une des plus jolies répliques du Barbier. Mes lecteurs en jugeront par le rapprochement que voici :

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Faut-il admirer la mémoire de Beaumarchais, qui a de si heureuses réminiscences? Faut-il, au contraire, dire qu'il avait la mémoire bien courte, quand il déclarait que jamais personne ne s'était avisé de sa pièce, et perdait de vue, avec une si facile désinvolture, et Nolant de Fatouville, et cette Précaution inutile, dont il osait ramasser le titre pour en faire sa chose? Il y a là un curieux mystère, ou, j'en ai peur,

une rare effronterie de Figaro. Peut-être pensait-il que le Théâtre de Gherardi était mort et enterré, et que nul ne songerait à le réveiller. C'était jouer gros jeu aussi bien s'est-il trompé. Mais quoi? On ne s'avise jamais de tout. C'est encore le mot qui clôt le mieux cet incident.

Je croyais terminer ici l'examen de cette excellente préface. Mais je m'apercois qu'à mon tour, je ne me suis pas avisé de tout. Ainsi, voici un point intéressant, et que je ne saurais passer sous silence. Beaumarchais trouve moyen d'exposer en courant ses idées sur le théâtre musical. On m'en voudrait de ne pas indiquer d'un mot ce passage digne d'attention.

Il serait aisé, sans doute, et curieux, de rechercher, dans leurs préfaces ou leurs écrits, ce que les grands musiciens dramatiques ont dit et pensé de leur art, et il y aurait là matière à un volume faisant pendant à celui que j'essaie d'écrire en ce moment. On trouverait, dans l'ordre du théâtre musical, comme dans celui du théâtre littéraire, certains génies d'inspiration qui ont peu discuté leur art tels sont les Mozart, les Rossini, les Meyerbeer, les Verdi. Mais, de Gluck à Wagner, que de théoriciens, en passant par Berlioz et Reyer, par Gounod et Saint-Saëns eux-mêmes !

Laissons cette étude, qui sort de ma donnée, et qui m'entraînerait trop loin. En revanche, puisque je trouve sur ma route les idées originales, et généralement justes, émises sur le drame lyrique par notre « touche à tout », il en faut dire un mot.

Quelques personnes s'étonnaient que l'auteur n'eût pas donné Le Barbier de Séville aux Italiens, et n'en eût pas fait « un opéra-comique »; car, disait-on, « la pièce est d'un genre à comporter de la musique ». L'écrivain donne les raisons qui l'ont détourné de ce projet :

<< Notre musique dramatique ressemble trop à notre musique chansonnière pour en attendre un véritable intérêt ou de la gaîté franche. Il faudra commencer à l'employer sérieusement au théâtre quand on sentira bien qu'on ne doit y chanter que pour parler; quand nos musiciens se rapprocheront de la nature, et surtout cesseront de s'imposer l'absurde loi de revenir sans cesse à la première partie d'un air après qu'ils en ont dit la seconde. Est-ce qu'il y a des reprises et des rondeaux dans le drame? Ce cruel radotage est la mort de l'intérêt, et dénote un vide insupportable dans les idées.

<«< Moi, qui ai toujours chéri la musique sans inconstance et même sans infidélité; souvent,

aux pièces qui m'attachent le plus, je me surprends à pousser de l'épaule, à dire tout bas avec humeur : « Eh! va donc, musique! pourquoi toujours répéter? N'es-tu pas assez lente? Au lieu de narrer vivement, tu rabâches! Au lieu de peindre la passion, tu t'accroches aux mots! Le poète se tue à serrer l'évènement, et tu le délayes! Que lui sert de rendre son style énergique et pressé, si tu l'ensevelis sous d'inutiles fredons? Avec ta stérile abondance, reste, reste aux chansons pour toute nourriture, jusqu'à ce que tu connaisses le langage sublime et tumultueux des passions.

« En effet, si la déclamation est déjà un abus de la narration au théâtre, le chant, qui est un abus de la déclamation, n'est donc, comme on voit, que l'abus de l'abus. Ajoutez-y la répétition des phrases, et voyez ce que devient l'intérêt. Pendant que le vice ici va toujours en croissant, l'intérêt marche à sens contraire; l'action s'alanguit; quelque chose me manque; je deviens distrait; l'ennui me gagne; et si je cherche alors à deviner ce que je voudrais, il m'arrive souvent de trouver que je voudrais la fin du spectacle. »

Il y a une grande part de vérité dans ces critiques, qui, du reste, ont porté coup, et dont

l'art a tenu bon compte. Il y a aussi la part d'exagération due au tempérament violent de Beaumarchais. Reprocher à la musique dramatique d'ignorer complètement << le langage sublime et tumulteux des passions »>, alors que Rameau avait écrit toutes ses œuvres et Gluck une partie des siennes, c'était peut-être un peu téméraire; cependant, je ne chercherai pas trop chicane à notre écrivain sur ce point, estimant que ces grands hommes ont été surtout des précurseurs, que le grand siècle musical est le xix, et que c'est en ce même xix' siècle que « le langage sublime et tumultueux des passions» a trouvé son entière expression.

Le reproche de « rabâcher », fait par Beaumarchais à la musique de son temps, et encouru aussi par celle du nôtre, est assez exact; « le poète serre, elle délaie. » Il y a du vrai. Mais, comme il faut que toujours Beaumarchais dépasse le but, proscrire en musique, et même en musique dramatique, toute espèce de reprise et de répétition, n'est-ce pas tomber dans un autre inconvénient et un autre abus? N'est-ce pas condamner la musique à la sécheresse? Ce qui est curieux à constater, toutefois, c'est que les idées de la préface du Barbier de Séville triomphent aujourd'hui et sont en pleine appli

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