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tique. Ce qui sied à des hommes pleins d'autorité, comme Molière et Corneille, ne sied pas à d'autres. »

Vous me pardonnerez le mot et sa familiarité; mais quand je lis de pareilles choses sous la plume de Victor Hugo, je suis tenté de m'écrier: « Qu'est-ce qu'il lui prend? » Je me remets, alors, en me rappelant que ses avantpropos sont un tissu de contrastes et de contradictions, et qu'à ce titre, le bon sens et la modestie ont bien le droit d'y tenir leur place. L'orgueil n'est pas long à prendre sa revanche. Voyez plutôt (préface de Marion de Lorme) :

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« Époque trop avancée! Pas de génie primitif possible? Laissez-les parler, jeune homme! Si quelqu'un vous eût dit, à la fin du XVIIIe siècle, après le Régent, après Voltaire, après Beaumarchais, après Louis XV, après Cagliostro, après Marat (?), que les Charlemagne, les Charlemagne grandioses, poétiques et presque fabuleux, étaient encore possibles, tous les sceptiques d'alors, c'est-à-dire la société tout entière, eussent haussé les épaules et ri. Eh! bien, au commencement du XIXe siècle, on a vu l'empire et l'empereur. Pourquoi maintenant ne viendrait-il pas un poète qui serait à Shakespeare ce que Napoléon est à Charlemagne? »>

Ce Molière, que Victor Hugo veut bien assurer de son estime, aurait beau jeu à dire ici:

Je vois votre scrupule, et que, par modestie,
Vous ne vous osez pas mettre de la partie.

Evidemment, ce poète, c'est bien lui. Et quel serait celui que Victor Hugo pourrait préférer à Victor Hugo? Mais alors je reprends mon étonnement. Se peut-il que ce poète, qui est à Shakespeare ce que Napoléon est à Charlemagne, soit assez modeste pour ne pas se croire digne de répondre à la critique (le mot y est), qu'il ne se sente pas assez d'autorité (le mot est de lui encore) pour se justifier et se défendre? Cet abîme de contradictions me confond. Et, d'ailleurs, le plus modeste des écrivains n'a-t-il pas le droit d'expliquer ses intentions, si elles ont été incomprises? Ne pourrait-on dire à ce Hugo, qui se fait si petit, ce qu'un spirituel président de cour d'assises de Rouen dit à Dumas père, un jour. Interrogé sur sa profession, celui-ci avait répondu : « Je dirais : auteur dramatique, si je n'étais dans la patrie de Corneille. » « Dites toujours, Monsieur Dumas, répliqua le Normand avec bienveillance; il y a des degrés. » Donc, à Hugo, modeste devant les « géants >> Molière et Corneille, on dirait volontiers :

« Défendez-vous toujours, il y en a pour toutes les tailles. » A plus forte raison, que penser de ce continuateur de Shakespeare qui s'incline sous la férule des censeurs, sans se croire digne d'élever la voix?

Au fond, je crois que cette modestie cache un profond dédain. A l'inverse des « géants >> du xvII° siècle, Hugo ne sent pas la critique. Il s'est bardé de fer contre elle comme un Burgrave; et les traits qu'elle lui lance glissent sur son armure d'indifférence, sans pouvoir l'entamer. En son âme et conscience, il s'estime audessus de la critique: et lisez bien, entre les lignes, sa déclaration de modestie, il trouve Molière et Corneille bien bons enfants, (j'avais au bout de ma plume: bien bêtes; c'est le mot, mais je n'ose l'écrire) bien bons enfants, dis-je, de daigner disputer leur œuvre, pied à pied, aux folliculaires du XVII° siècle. Voilà la vraie raison pour laquelle il n'entend pas les imiter. La beauté de ses œuvres est un dogme intan gible ce dogme, on peut le rejeter, des hérétiques, des malandrins! mais on ne le

discute pas.

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C'est ce qui fait, sans aller chercher plus loin, que Victor Hugo n'a pas une seule préface intéressante, du moins dans son ensemble

et dans l'ordre d'idées qui nous préoccupe. Laissons les admirateurs systématiques de la préface de Cromvell se pâmer devant ces pages, qu'en leur âme et conscience ils ne comprennent pas plus que nous; laissons même un ministre de l'Instruction publique cela s'est vu, il y a quelques années, - inscrire aux livres classiques ce tissu d'incohérences, et fausser ainsi, troubler, tout au moins, les jeunes esprits qu'il a mission d'élever et de former. Il n'y a pas là un atome de doctrine, pas même une ombre de justification pour les belles œuvres du poète, qui se justifient toutes seules par leur inspiration, mais qu'un fanatisme maladroit pourrait seul offrir comme modèles à des esprits novices.

J'ai dû, cependant, m'arrêter devant ces préfaces qui eurent leur heure de retentissement, et que, d'ailleurs, le grand nom du poète ne m'eût pas permis de passer sous silence. L'intention seule les rattache aux documents que nous avons déjà rencontrés. Toute préface, toute notice de ce genre, fût-elle de Hugo, est, plus ou moins, un plaidoyer pro domo med. Mais ces plaidoyers, chez Hugo, s'inspirent des discours ridicules que prononçaient, au Palais, les avocats du moyen-âge, et dont Racine a

fait spirituellement la parodie dans ses Plaideurs, ces discours où les orateurs remontent jusque avant la naissance du monde à propos du vol d'un chapon. Et puisque, aussi bien, cela ne nous dit rien de « la cause »>, il me paraît bien inutile de nous en occuper davantage. Disons-nous donc comme Dante, l'un des « géants » chers à Hugo: « Regarde, et passe! >>

De Hugo à Dumas, il y a un monde. Ceux qui, comme moi, ont vu Alexandre Dumas père en ses dernières années, ont tous été frappés de l'allure optimiste du fécond écrivain, à qui il ne manquait alors qu'une chose l'art de savoir vieillir. Pour ceux-là, Antony reste un problème, et ne peut s'expliquer que par la facilité de Dumas à s'assimiler tous les genres régnants. Ce gros homme, si vivant et si bon vivant, a endossé la mélancolie, comme tout le monde, avec la redingote de 1830; mais combien, malgré l'aisance apparente, elle a dû le gêner aux entournures! Mélancolique, pessimiste, désespéré, voilà des épithètes qui cadrent bien mal avec la figure de celui qui a créé d'Artagnan, et qui s'incarne encore mieux dans Porthos!

Et cependant, s'il y a tant de différence entre lui et Hugo, qui fut, dès la vingtième année,

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