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tout prêt de les suivre, lorsqu'on les aura mis en pratique aussi heureusement qu'on y aura vu les miens. >>

Sans nous arrêter sur la fierté, légitime en somme, de ce dernier trait, nous voyons là une conclusion bien nette. Les règles doivent être respectées comme les observations émanées d'esprits avisés, judicieux et expérimentés; il faut en tenir compte comme de très sages conseils, d'une haute portée générale; mais elles ne constituent pas des articles de foi, et il est des cas où l'écrivain peut les transgresser à ses risques et périls.

Au demeurant, pour Corneille, et il le répète à plusieurs reprises dans ses Discours, le but et le grand point est de plaire au public. Nous verrons, plus loin, Molière aboutir à la même conclusion. Et comment ne pas attacher de prix à cette doctrine, quand elle a pour défenseurs deux si grands poètes et qui ont su si bien joindre l'application au précepte?

II

En passant des préfaces et avertissements de Corneille aux avant-propos de Racine, on est déjà dans une atmosphère moins sereine, plus nerveuse. La personnalité s'y étale avec plus de complaisance. L'homme qui avouait à son fils que jamais les plus grands éloges ne lui avaient fait autant de plaisir que les moindres. critiques ne lui avaient causé de peine, cet écrivain inquiet et ombrageux s'y retrouve tout entier. Dirai-je qu'on y sent aussi un besoin de réclame que le grand Corneille ne paraît pas avoir connu au même degré 1?

1. Ceci est une question de caractère et n'ôte pas un atome au merveilleux génie de Racine. L'homme est plus grand chez Corneille, cela n'est pas douteux. Quant au poète, je laisse à chacun le soin d'en décider.

Racine, dans la préface de Bérénice, est heureux de nous insinuer que sa tragédie a été << honorée » de bien des larmes, et que « la trentième représentation (chiffre énorme pour l'époque) a été aussi suivie que la première. » Voilà donc déjà la feuille de location donnée pour argument, et l'on voit poindre ici Émile Zola, avec la centième édition lisez le cen

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Note encore très personnelle et quasi moderne, Racine nous initie à son travail; et ses préfaces prennent comme des airs d'interviews.

« Voici, dit-il de Britannicus, celle de mes tragédies que je puis dire que j'ai le plus travaillée. Cependant j'avoue que le succès ne répondit pas d'abord à mes espérances. A peine elle parut sur le théâtre, qu'il s'éleva quantité de critiques qui semblaient la devoir détruire. Je crus même que sa destinée serait à l'avenir moins heureuse que celle de mes autres tragédies. Mais enfin il est arrivé de cette pièce ce qui arrivera toujours des ouvrages qui auront quelque bonté : les critiques se sont évanouies, la pièce est demeurée. C'est maintenant celle des miennes que la cour et le public revoient le plus volontiers. Et si j'ai fait quelque chose de solide et qui mérite quelque louange, la plupart

des connaisseurs demeurent d'accord que c'est ce même Britannicus 1. >>

Certes, que « l'ouvrage ait quelque bonté », la postérité n'y contredira pas, en voyant qu'il s'agit de cet admirable Britannicus. Peut-être aimerait-on mieux que l'auteur laissât à d'autres le soin de le dire. Mais qu'est-ce que cela, à côté des coups de tam-tam de notre « foire aux vanités »?

Ce que je retiens ici, surtout, ce sont les premiers mots; c'est la confidence de l'auteur livrant ses dessous au public: « Voici celle de mes tragédies que je puis dire que j'ai le plus travaillée ». Aveu précieux pour nous, la postérité; mais, pour les contemporains, besoin, déjà, d'occuper de soi et légère pointe de caboti

nage.

Autre note de la même gamme. Énervé, las de répondre aux critiques, notre écrivain nous fait ses doléances : « Je plains fort le malheur d'un homme qui travaille pour le public. »> Oui, il en a assez du métier d'auteur dramatique; pour un peu, il jetterait la plume. Et cela est vrai, cela est sincère; nous le savons bien, puisqu'il finira par la jeter un jour. Mais quelle

1. Deuxième préface de Britannicus. 2. Première préface de Britannicus.

nécessité de dire cela au public, dans la préface d'un de ses ouvrages?

Revenons à des idées d'ordre moins personnel, les idées de doctrine, dont la recherche est notre but. S'il en est une qui revient souvent chez tout écrivain visant à être autre chose qu'un amuseur, c'est la prétention à une portée morale. Le théâtre a-t-il le droit de s'attribuer la fameuse devise de Santeuil : Castigat ridendo mores? Ridendo ou lugendo, peu importe, d'ailleurs. La question est encore agitée aujourd'hui, et nous aurons forcément à y revenir. Je me contente ici de l'indiquer.

Ce principe du « théâtre moral » ne fait pas question pour Racine; mais, ce qui peut nous étonner un peu aujourd'hui, c'est qu'il l'expose à propos de sa Phèdre, et déclare n'avoir pas écrit de tragédie « où la vertu soit plus mise en jour que dans celle-ci ». Le passage est curieux et mérite d'être cité. Si l'application à Phèdre peut nous surprendre, nous qui avons quelque prévention contre la portée morale de cette œuvre, il paraît théoriquement indiscutable.

« Je n'ose encore assurer que cette pièce soit la meilleure de mes tragédies; je laisse aux lecteurs et au temps à décider de son véritable

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