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sauf, d'ailleurs, à noter, çà et là, au cours de ces œuvres mêmes, quelques épigrammes jetées par l'illustre écrivain aux méchants poètes de son temps, et qui nous ouvrent une perspective passagère sur ses préférences littéraires.

Cela soit dit, en passant, d'un poète qui est un peu de tous les pays, étant universel. Autrement, ce n'est pas de la littérature anglaise que je parle, et la France suffira à nous occuper. Les écrivains du grand siècle qu'on me passe le mot, il est et sera toujours de mise ne font précéder leurs œuvres que de courtes notices explicatives ou justificatives. La seule préface de quelque importance, ce sera celle que j'ai déjà citée la préface du Tartuffe, justifiée, je l'ai dit, par toute la polémique que cette comédie militante avait soulevée, et non moins par la reconnaissance que Molière pouvait ici, sans nulle courtisanerie, témoigner à Louis XIV.

A partir de là, il faut franchir plus d'un siècle pour trouver une page qui compte ; mais cellelà, en revanche, aura à nous occuper sérieusement; car elle porte en germe toute une révolution littéraire. Je veux parler de la préface

tapageuse du Barbier de Séville. Le document, cette fois, est si important que, s'il ne subsistait rien autre de Beaumarchais, il suffirait encore à nous révéler l'homme, qu'on y retrouve tout entier; Beaumarchais, l'un des pères du XIX siècle, et de qui, notamment, Dumas fils procède plus directement, dans l'ordre intellectuel, qu'il n'est issu de Dumas père.

Dans le théâtre du XIXe siècle, les avantpropos apparaissent solennels, pompeux, pleins de prétentions littéraires, ou même sociales, et de nature à donner la plus grande idée des œuvres, si l'œuvre ne venait, parfois, démentir l'idée donnée par la préface. Nous trouverons là le grand manifeste du romantisme, la fameuse préface de Cromwell, qui se perd si haut dans les nues que nul ne peut l'y suivre, où les idées. se heurtent, se pressent et se contredisent, où l'histoire du théâtre part des temps préhistoriques pour pénétrer dans l'avenir le plus lointain, et qui nous fait tout connaître, enfin, hors peut-être ce que nous voudrions savoir.

Passons donc en revue les idées, les théories émises ainsi par les plus célèbres auteurs dramatiques. Comme on peut s'en douter, j'aurai

beaucoup de citations à faire, voulant laisser aux grands écrivains la responsabilité de leurs assertions; et il ne faudra pas s'étonner si du choc de ces opinions diverses découle tout naturellement une étude critique générale sur les conditions primordiales et nécessaires de l'art dramatique.

DE

L'IDÉE DRAMATIQUE

CHEZ LES MAITRES DU THÉATRE

CHAPITRE PREMIER

LES ÉCRIVAINS DRAMATIQUES DU XVII SIÈCLE

I

Les préfaces et notices du xvII° siècle ne visent généralement pas à une portée considérable. L'auteur y justifie son sujet, en indique les sources, explique ses emprunts à l'histoire et la part de fiction qu'il a cru pouvoir y mêler, se défend contre quelques critiques de détail formulées par les censeurs ou prévues par lui-même; mais c'est par exception qu'il s'en prend aux idées générales et qu'il expose des théories sur l'art du théâtre1.

1. C'est là pourtant ce que fait Corneille dans ses Trois Discours sur l'Art dramatique, pages très précieuses, que tous les écrivains de théâtre, dignes de ce nom, devraient connaître et méditer et dont j'aurai ici à parler.

On reconnaissait cependant alors des principes généraux, et les préfaces des classiques s'y réfèrent sans cesse. Ce sont les fameuses Règles d'Aristote. Si on ne les discute pas, c'est qu'elles s'imposent d'une façon tout impérative, et que leur autorité, universellement reconnue, les fait, par cela même, échapper à la discussion. Quand, parfois, on paraît les avoir mises en oubli, on a hâte de s'en excuser humblement, on cherche à établir que l'insubordination n'est qu'apparente et la loi d'une application douteuse. Mais l'idée de mettre en débat ces règles suprêmes ne vient guère à personne. On les cite, et tout est dit, toute question tranchée. C'est le magister dixit dans toute sa plénitude. Toute parole d'Aristote est un dogme placé au-dessus de la contestation.

Il faudrait cependant s'entendre sur ces fameuses règles d'Aristote, et sur ce fétichisme des écrivains du XVIIe siècle qui nous fait aujourd'hui sourire de pitié. Ce respect inviolable de la doctrine du maître, passée comme à l'état de religion, nous paraît excessif à bon droit. Mais nous faisons, en revanche, aujourd'hui, trop bon marché de cette doctrine; et nous devrions penser que, pour s'être imposée ainsi à tant et de si grands esprits, elle doit avoir en

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