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théâtre, d'avoir le sens exact de ce qui peut émouvoir, toucher, tenir attentif un public dramatique.

Scribe, selon Alexandre Dumas fils, a eu tant de connaissance du métier, que cela a pu lui tenir lieu d'art. Aujourd'hui, une telle réaction s'est produite contre cet écrivain inférieur et contre ce métier poussé par lui au plus haut point, qu'il ne semble plus rien rester, ni de l'homme, ni de ses quatre cents ouvrages dramatiques, si l'on excepte le livret de quelques opéras, que le génie de Meyerbeer a rendus immortels. On ne saurait, du moins, effacer le passé; et il faut convenir que, si ce seul don, être un homme de théâtre, a fait régner si longtemps Scribe sur la scène, il est nécessaire d'admettre que ce don, ce métier, si dédaigné aujourd'hui, cet art, tourné en ridicule de « la pièce bien faite », tout cela n'était pas, ne pouvait pas être une quantité négligeable. Tournez ces choses comme il vous plaira plus vous rabaisserez Scribe, et plus vous devrez reconnaître que la seule qualité qu'on puisse trouver en lui, pour justifier la longue autorité dont il a joui, ne pouvait être une qualité sans valeur.

La vérité, c'est que la réaction a, comme

toujours, dépassé le but, et que le métier, dont la jeune critique aujourd'hui fait fi, est indispensable à connaître, comme il l'a toujours été. Je ne pouvais pas, ayant à nommer Scribe, passer absolument sous silence cette question importante; mais je la traiterai plus à fond avec Alexandre Dumas fils, qui l'a nettement abordée dans une de ses préfaces.

Nous ne nous arrêterons pas longtemps avec l'auteur de La Camaraderie, trop exalté autrefois, cela est certain, trop déprécié aujourd'hui, cela peut être. Il ignore les avant-propos. Ce grand fabricant n'a pas le loisir de justifier ses produits peut-être aussi se sent-il assez maître de son public pour n'avoir pas besoin de les défendre.

Je ne connais qu'une préface de Scribe; et elle précède la plus insignifiante de ses pièces, Le Combat des Montagnes, vaudeville donné en 1817. Des montagnes russes venaient de s'établir sur plusieurs points de Paris; et Scribe avait exploité cette actualité dans une de ces piécettes que le vent d'hier a apportées et qu'emportera le vent de demain. Pourquoi Scribe a-t-il même accordé au Combat des Montagnes l'honneur de faire partie de ses « œuvres complètes »? Pourquoi lui a-t-il accordé le privilège d'une pré

face? C'est qu'il avait eu l'idée d'y introduire une satire, ni bien méchante ni bien profonde, à l'adresse des commis de magasin qui voulaient jouer les gentilshommes, et qu'il bafouait dans un de ses personnages dénommé « Calicot »>. De là, une cabale organisée par ces messieurs, des représentations orageuses, et ce qu'on a alors nommé Scribe le mentionne avec orgueil -la guerre des Calicots. L'événement a paru à notre auteur mériter d'être transmis à la postérité nous lui en donnons acte. Je ne note cette préface que par acquit de conscience; car ce qu'elle nous apprend sur l'art dramatique est nul.

J'imagine

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ai-je tort? que Scribe eût plutôt été avare de ses conseils sur l'art théâtral, et que, s'il avait eu la main pleine de vérités de ce genre, il se fût gardé de l'ouvrir. Je ne pouvais cependant passer sous silence cet. écrivain, je me reprends: le mot est de trop, - cet auteur qui jouit, en son temps, d'une si grande autorité, et qui poussa le métier jusqu'au point d'en inspirer la nausée et le dégoût aux générations qui l'ont suivi. Son tort, à en croire Dumas fils (préface du Père prodigue), fut précisément de prendre le métier pour l'art; mais ce métier, il en porta si loin la connais

ÉCRIVAINS DRAMATIQUES DU XIX SIÈCLE 211

sance, que ce même Dumas arrive à cette conclusion L'auteur dramatique qui connaîtrait l'homme comme Balzac et le théâtre comme Scribe serait le plus grand auteur dramatique qui aurait jamais existé.

Je puis arrêter sur ce mot ce que j'avais à dire de Scribe. Lui refuser toute place dans l'histoire du théâtre serait absurde; ne lui reconnaître qu'une influence funeste ne le serait guère moins. Mais c'est lui faire assez d'honneur que de trouver en lui, avec Dumas fils, une partie fût-ce la moindre de ce qui eût pu constituer « le plus grand auteur dramatique du monde ».

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II

L'eau passe sous les ponts tandis que nous

discourons ainsi; et nous voici arrivés à la seconde moitié du XIXe siècle. Je vais avoir à parler des hommes que nous avons connus et qui ont vécu de notre vie : les Dumas fils, les Émile Augier, les Musset, les Labiche, les Octave Feuillet, les Pailleron; sans compter Victorien Sardou, qui vivait hier, et ceux qui se sont produits à la fin du XIX° siècle, et que, parfois, quel que soit leur âge, on est tenté d'appeler « les jeunes ».

J'ai nommé : Musset; et plusieurs entre mes lecteurs vont penser sans doute que j'aurais dû le faire plus tôt et attribuer cet écrivain à la première moitié du XIX° siècle. Il est certain que les premières œuvres de Musset datent de

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