l'époque du Romantisme, et qu'il appartient tout à fait, comme poète, à la première partie du siècle. Mais il s'agit de Musset auteur dramatique. Celui-là est véritablement plus près de nous; car, à l'exception de La Nuit Vénitienne, jouée en 1830, il faut venir jusqu'à la Révolution de 1848 pour voir ses œuvres aborder la scène. Quant aux préfaces, elles les ignorent, et il est regrettable de ne pas trouver, dans quelques-unes de ces pages annexes, les idées dramatiques de cet esprit si haut et — littérairement si sain. Mais, puisque nous chercherions vainement les idées générales de Musset sur le théâtre en tête de ses œuvres, il est permis d'en trouver les éléments dans les exquises digressions et les fines écoles buissonnières dont il a rempli et même formé la plupart de ses œuvres. L'auteur de la Ballade à la lune est un classique dans la meilleure acception du mot. Son homme est l'écrivain qui, chez nous, réunit toutes les écoles et concilie tous les suffrages c'est Molière. Et, chose assez curieuse et bien à l'honneur de Musset, ce qui lui plaît, chez Molière, à lui poète élégant et teinté d'aristocratie, c'est que le grand comique aime les simples et les laisse venir à lui comme faisait le Christ aux enfants. Se souvient-on de ses vers à Laforêt ? Ah! pauvre Laforêt qui ne savais pas lire, Quels vigoureux soufflets ton nom seul a donnés Quel mépris des humains dans le simple et gros rire Il ne te lisait pas, dit-on, les vers d'Alceste : Que Molière, au gré de Musset, ne soit pas assez confiant dans le jugement du « peuple », cela peut nous surprendre un peu ; et cela n'empêche pas, d'ailleurs, que celui qui « fit les vers d'Alceste» ne reste le modèle idéal pour celui qui fit les vers de Namouna. La meilleure profession de foi, à ce sujet, est dans La Soirée perdue, ce joli poème qui nous montre Musset tout entier et nous livre, avec une franchise irrécusable, toutes ses aspirations. Le poète y revient au maître comique, et spécialement au Misanthrope; et il nous fait connaître ses idées sur le théâtre en tournant en ridicule les drames de son temps. ...Nous savons de reste Que ce grand maladroit qui fit un jour Alceste, Et de servir à point un dénoûment bien cuit. Tourne comme un rébus autour d'un mirliton. A toi, Scribe! Ainsi, déjà, sous prétexte de revenir aux maîtres, déjà Musset commençait la campagne funeste, en un sens, contre la « pièce bien faite! » Puis, emporté par une idée plus juste, il se montait d'un ton et reprochait, non sans raison, aux auteurs de son temps, de reculer lâchement devant les vérités hardies mais nécessaires, devant la franche satire : ... A quoi comparer cette scène embourbée Et l'habiller de noir, cet homme aux rubans verts, Qu'une méchante femme et qu'un méchant sonnet; O notre maître à tous ! si ta tombe est fermée, Et pour me faire entendre, à défaut de génie, La citation est longue, et le passage connu. Je n'en ai pourtant pas voulu retrancher, parce que les tendances littéraires de Musset auteur dramatique y sont très curieusement accusées, et que cette étude rentre directement dans mes vues, de chercher, à côté de ce que les écrivains ont fait, ce qu'ils auraient voulu faire. Les aspirations d'Alfred de Musset tendaient donc à un retour vers les grands classiques? Ne se trompait-il pas en ce qui le concerne ? Aurait-il ramassé utilement ce fouet de la satire qu'il lui était pénible de voir traîner à terre? N'aurait-il pas perdu, à cette épreuve, l'originalité charmante, qui en fait, en dépit de quelques velléités exotiques, le plus séduisant et le plus français, assurément, des trois grands poètes du XIXe siècle? Il restera à l'honneur d'Alfred de Musset d'avoir rêvé d'être le con tinuateur de Molière; mais mieux vaut pour nous, je le crois, qu'il soit resté lui-même. Mon verre n'est pas grand, mais je bois dans mon verre. C'est lui qui l'a dit ; et quoi qu'il en dise dans sa modestie obligée, son verre est assez grand pour que cet Horace français soit assuré d'y boire toujours. On peut, je crois, affirmer sans conteste que les deux maîtres du théâtre, dans la seconde moitié du XIXe siècle, sont Emile Augier et Alexandre Dumas fils. Rapprochés par plus d'un point, et hommes de leur temps tous les deux, ces écrivains diffèrent beaucoup par la manière de présenter leurs œuvres. Emile Augier, le plus classique des deux, a cela de commun avec les classiques du passé, qu'il se met peu en frais de préfaces ou de discours pour justifier ses pièces et en faire connaître la genèse. S'il aborde une thèse, c'est pour la mêler vivement à l'action, en laissant bien à chacun de ses personnages son caractère propre, son intérêt passionnel dans la discussion, et c'est sans se substituer à aucun d'eux, ni se mettre, comme tant d'autres, à conférencier à leur place 1. A cela, pour le dire en passant, se 1. Voir la discussion sur la Révolution dans Les Effrontés. |