Images de page
PDF
ePub

vie lui ait jamais rien appris. A Dumas fils, elle devait beaucoup apprendre.

Me voici presque au bout de ma tâche, voulant terminer mes études sur le seuil de ce xx° siècle, où nous venons à peine d'entrer. On ne pourrait plus guère mentionner encore, au XIX, que de rares documents de ce genre, ayant fait, à leur heure, un certain bruit. Il y eut, par exemple, la préface de Gaëtana, sous l'Empire, dont il faut dire un mot, quoique About ne compte guère comme auteur dramatique, La jeunesse des Écoles ne pouvait pardonner à Edmond About quelques coups d'encensoir donnés au prince Napoléon et à la princesse Mathilde. Gaëtana, qui bénéficiait peut-être de leur protection, et qui n'était pas un chef-d'œuvre, tant s'en faut, fut alors jugée sans être entendue, et condamnée ab irato. Je puis le dire personnellement j'ai assisté à une de ses représentations, dans une logé d'avantscène, sans pouvoir en entendre un mot, tant était grand le bruit des sifflets, des cris d'animaux et des hurlements. Après des efforts infructueux pour se faire entendre, les comédiens durent abandonner la partie; et les jeunes gens, sortant du théâtre, se mirent à parcourir

les galeries de l'Odéon, en chantant, sur l'air de Marlborough :

Gaëtana est morte,

Est morte et enterrée!

Cela ressemble bien à un déni de justice; et About eut beau jeu pour se plaindre. Aussi, comme il avait toujours le dernier mot en matière d'esprit, il imprima sa pièce, avec cette note, à la suite des mots « Acte 1er, scène 1re >>

« C'est ici que le public impartial a commencé à siffler. »

On m'aurait peut-être reproché d'omettre cette préface, qui fit du bruit presque autant qu'en avaient fait les spectateurs de l'Odéon. Autrement, elle ne nous intéresse guère. About, qui n'était pas doué du sens dramatique, n'y aborde aucune question technique. Il défend sa pièce, et plutôt encore sa personne. Il rend coup pour coup, et se plaint, particulièrement d'avoir reçu « le coup de pied de M. Ulbach ». C'était se comparer à un lion. Ce qui est certain, c'est que cette préface n'est qu'une charge à fond de train contre ceux qui ont contribué ou applaudi à la chute de Gaëtana. Rien donc de cette région sereine où nous nous plaisons et où s'élaborent les idées générales.

Je dirai la même chose d'une lettre de l'auteur de La Haine, qui, elle aussi, causa quelque émoi, à l'heure où Victorien Sardou subit l'amertume d'une chute lourde, et qui nous semble encore imméritée. L'œuvre, d'abord, avait réussi très brillamment: c'était presque un triomphe; et dans une lettre à Auguste Vitu, publiée en tête de la brochure, l'auteur en témoigne une joyeuse émotion. Mais le public ne ratifia pas le jugement des spectateurs de la « première ». D'où une nouvelle lettre d'un ton sensiblement différent. L'écrivain, qui n'est pas un de nos théoriciens, y soulève bien une sorte de thèse littéraire ; mais c'est dans l'amertume de l'injuste condamnation, et la question personnelle occupe trop de place dans son plaidoyer. Sardou décharge sa colère et son indignation sur ce public, juge futile et corrompu, qui ne veut plus que des pièces à femmes et à spectacle, et n'a que dédain pour les œuvres littéraires et de haut style. Il y avait, dans ces doléances et cet écœurement, un grand fond de vérité et une plainte justifiée; mais l'on ne pouvait s'empêcher de penser que l'auteur des Merveilleuses et du Roi Carotte était assez mal venu à se révolter contre une tendance qu'il venait lui

même d'encourager et dans le développement de laquelle il avait une part de responsabilité. Le Roi Carotte avait réussi à l'aide d'un truc resté fameux; et Les Merveilleuses, dépourvues d'intérêt scénique, avaient échoué sans honneur, et malgré les réclames qui recommandaient à l'attention des spectateurs les bijoux authentiques du temps du Directoire. Dans sa mauvaise humeur, Sardou avait oublié son Juvénal:

Quis tulerit Gracchos de seditione querentes ?

Aussi, bien qu'il eût raison au fond, l'écrivain ne vit pas les rieurs de son côté.

Théodore Barrière, à la chute de sa pièce de Væ victis! put manifester la même indignation, avec un droit mieux fondé à le faire. Dans sa préface, il dit : « Je ne sais pas déshabiller les femmes »; et ce mot crû était juste, car Barrière est un écrivain convaincu, qui n'a pas écrit, comme tant d'autres, cherchant et suivant la pensée du public, mais s'efforçant, au contraire d'amener le public à ses pensées à lui.

Quoi qu'il en soit, aucune de ces manifestations n'était de celles qui pouvaient nous

arrêter; je ne les mentionne donc que pour mémoire, et pour ne pas être accusé d'omettre des pages qui ont eu leur heure de célébrité dans cette fin du XIXe siècle.

Quel dommage que Pailleron, l'un des écrivains dramatiques français les plus charmants, ou, pour ne pas le louer d'un mot trop banal, les plus charmeurs, ne nous ait pas régalés de quelques bonnes préfaces, comme sa plume spirituelle eût su en faire! De lui, je n'en sais qu'une, et bien courte: ce sont les quelques mots qu'il a mis en tête de son chef-d'œuvre, Le Monde où l'on s'ennuie. Il voulait s'y justifier de la peine qu'il avait causée à un honnête homme, légèrement ridiculisé par lui, en raison de ses succès connus auprès de nos modernes Philamintes:

« J'ai pris, dans les salons, nous dit-il, et chez les individus, les traits dont j'ai fait mes types; mais où voulait-on que je les prisse?

« La comédie a ses droits, limités par le respect de soi-même, qui fait que l'on respecte les autres. J'ai la conscience de ne pas avoir dépassé cette limite. »

Est-ce bien vrai? Et Pailleron ne fut-il pas un peu cruel pour l'homme qu'il désignait si

« PrécédentContinuer »