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sont dirigées contre les tragédies de Corneille, Attila, Agésilas, la Mort de Pompée, enfin, où Cornélie adresse à César un si fier et si magnifique discours, qu'on y peut voir une des plus belles pages de l'auteur du Cid. Certes, on comprend l'irritation d'un poète qui voit méconnaître un chef-d'œuvre tel que Britannicus; mais, quand il ne trouve, pour se défendre, que ces petites méchancetés à émettre contre le grand Corneille, on ne saurait s'empêcher d'en rougir pour lui-même. On lui en veut surtout en lisant le paragraphe suivant, où, non content d'avoir désigné assez clairement déjà son glorieux prédécesseur, il revient rageusement à la charge et le montre, en quelque sorte, du doigt:

« Je prie seulement le lecteur de me pardonner cette petite préface que j'ai faite pour lui rendre raison de ma tragédie. Il n'y a rien de plus naturel que de se défendre quand on se croit injustement attaqué. Je vois que Térence même semble n'avoir fait des prologues que pour se justifier contre les critiques d'un vieux poète mal intentionné, malevoli veteris poetæ, et qui venait briguer des voix contre lui jusqu'aux heures où l'on représentait ses comédies ».

Je ne sais jusqu'à quel point

ces choses

là sont difficiles à établir aujourd'hui - le fier et digne Corneille justifiait cette accusation; mais ce trait du malevoli veteris poetæ, insultant la vieillesse d'un si haut génie, ne fait vraiment tort qu'à Racine même, et l'on voudrait que cette première préface de Britannicus eût été retranchée de son œuvre.

Elle l'eût été, je crois, s'il n'eût tenu qu'à lui. Rendons-lui, du moins, cette justice, qu'après l'avoir écrite ab irato, il en a composé et y a substitué une seconde, où les attaques contre Corneille ne se retrouvent plus. C'est ainsi, du reste, que notre nerveux poète a souvent deux préfaces l'une est le produit de son irritation contre les censeurs, l'autre celui de la réflexion. Pour l'honneur de Racine, attachons-nous à l'autre.

J'ai parlé avec une franchise qu'on me reprochera peut-être, de ce merveilleux esprit par qui notre théâtre a été doté de la plus belle et la plus pure langue poétique qu'il ait connue; mais il faut reconnaître que, chez Racine, le caractère, trop impressionnable, n'est pas toujours à la hauteur du génie. Cependant, je ne puis quitter ce grand tragique sans citer une page admirable, où le poète, gardant, à travers son inspiration, sa lucidité toute française,

expose de précieuses pensées sur l'art théâtral, et justifie ces préceptes des anciens, qu'on est trop porté, encore un coup, à croire arbitraires et conventionnels. Je la trouve dans la seconde préface de Bérénice, il parle de son sujet :

« Ce qui m'en plut davantage, dit-il, c'est que je le trouvai extrêmement simple. Il y avait longtemps que je voulais essayer si je pourrais faire une tragédie avec cette simplicité d'action qui a été si fort du goût des anciens; car c'est un des premiers préceptes qu'ils nous ont laissés. Que ce que vous ferez, dit Horace, soi toujours simple et ne soit qu'un. »

Racine cite, à l'appui de sa thèse, l'Ajax, le Philoctète, ajoutant « L'OEdipe même, quoique tout plein de reconnaissances, est moins chargé de matière que la plus simple tragédie de nos jours. » Il s'agit, bien entendu, de cet admirable OEdipe-Roi, qui est de notre répertoire.

« Et il ne faut point croire, poursuit notre poète, que cette règle ne soit fondée que sur la fantaisie de ceux qui l'ont faite : il n'y a que le vraisemblable qui touche dans la tragédie. Et quelle vraisemblance y a-t-il qu'il arrive en un jour une multitude de choses qui pourraient à peine arriver en plusieurs semaines? Il y en a

qui pensent que cette simplicité est une marque de peu d'invention. Ils ne songent pas qu'au contraire toute l'invention consiste à faire quelquechose de rien, et que tout ce grand nombre d'incidents a toujours été le refuge des poètes qui ne sentaient dans leur génie ni assez d'abondance ni assez de force pour attacher durant cinq actes leurs spectateurs par une action simple, soutenue de la violence des passions, de la beauté des sentiments, et de l'élégance de l'expression.

« Ce n'est pas que quelques personnes ne m'aient reproché cette même simplicité que j'avais recherchée avec tant de soin. Ils ont cru qu'une tragédie qui était si peu chargée d'intrigues ne pouvait être selon les règles du théâtre. Je m'informai s'ils se plaignaient qu'elle les eût ennuyés. On me dit qu'ils avouaient tous qu'elle n'ennuyait point, qu'elle les touchait même en plusieurs endroits, et qu'ils la verraient encore avec plaisir. Que veulent-ils davantage? Je les conjure d'avoir assez bonne opinion d'eux-mêmes pour ne pas croire qu'une pièce qui les touche, et qui leur donne du plai

(1) Sic.

sir, puisse être absolument contre les règles. La principale règle est de plaire et de toucher : toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première; mais toutes ces règles sont d'un long détail, dont je ne leur conseille pas de s'embarrasser : ils ont des occupations plus importantes. Qu'ils se reposent sur nous de la fatigue d'éclaircir les difficultés de la Poétique d'Aristote. »

« La principale règle, Racine le dit donc, est de plaire et de toucher. » Il n'est rien de plus juste; et nous verrons Molière dire la même chose, et presque dans les mêmes termes. Cependant, il ne faut pas détacher cette phrase de son complément : «< toutes les autres règles ne sont faites que pour parvenir à la première. » Molière lui-même, quoiqu'il peste parfois contre les règles qu'on lui jette malencontreusement dans les jambes, aboutit aux mêmes conclusions. Plaire est la règle primordiale c'est le but. Les autres sont les moyens. Il ne faut donc pas dédaigner celles-ci; car il ne suffit pas de savoir où l'on va; encore faut-il connaître par quels chemins on doit passer.

Racine, on le sait, n'a écrit qu'une comédie, Les Plaideurs. Ce n'est vraiment pas un absolu chef-d'œuvre. Tout y est poussé à la charge,

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