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et la gaîté y manque parfois de franchise. Je ne ferais pas cette réflexion, qui sort du cadre de cette étude, si je n'y étais amené par une déclaration de l'auteur au début de sa préface, qui vaut la peine d'être relevée. Si la charge est ici un peu... pantalonesque, le fait s'explique par cette déclaration. Racine nous apprend qu'il avait primitivement destiné sa pièce aux Italiens et réservé le rôle de l'Intimé à Scaramouche. C'est ce Scaramouche, de son vrai nom Tiberio Fiorelli, dont Molière faisait si grand cas que, d'après certains contemporains, il ne manquait presque aucune de ses représentations.

III

Puisque j'ai nommé Molière, arrivons enfin à ce roi de la comédie, toujours indétrôné, et sans doute indétrônable. Il use peu des commenet c'est une remarque que nous devons

taires;

faire,

, que la comédie s'en passe plus aisément que la tragédie ou le drame. Regnard ne les connaît pas; et, de nos jours, notre excellent Labiche n'en eut jamais sur la conscience. La gaîté se discute moins, et le rire n'a pas besoin de s'expliquer.

Des rares préfaces de Molière, la plus importante est celle du Tartuffe, mais ne peut-on pas dire que, par son principal personnage, le Tartuffe confine au drame? Hors de là, nous ne trouvons que des Avis au lecteur d'un intérêt secondaire et ne visant pas à une portée générale.

Le maître demande, par exemple, qu'on excuse son improvisation des Fâcheux; et, pour qu'on ne lui impute pas le manque de composition de ces trois actes en vers, premier spécimen de la « pièce à tiroirs », il est bien aise de nous apprendre, dans son Avertissement, que «< cette comédie a été conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours. » Voilà qui est fort! Un vrai record, dirions-nous.

C'est bien autre chose pour L'Amour médecin, trois actes, en prose, il est vrai, mais au sujet desquels Molière fait une déclaration à peine croyable. Laissons-lui en la responsabilité :

« Ce n'est ici, dit-il dans les quelques lignes intitulées « Au lecteur », qu'un simple crayon (notons ce mot d'allure si moderne), un petit impromptu dont le roi a voulu se faire un divertissement. Il est le plus précipité de ceux que Sa Majesté m'ait commandés ; et lorsque je dirai qu'il a été proposé, fait, appris et représenté en cinq jours, je ne dirai que ce qui est vrai. »

Est-ce admissible? Et Molière n'opère-t-il pas son calcul de jours de manière à faire valoir son zèle et celui de sa troupe? Est-il matériellement possible d'écrire, de faire copier, apprendre, répéter et jouer trois actes en l'espace de cinq

jours? Des auteurs et metteurs en scène d'à présent diraient : Non! Les gens de théâtre du XVII siècle étaient-ils donc moins exigeants ou plus habiles?

Ces renseignements, plus ou moins sincères, donnés par Molière sur son œuvre, ont leur intérêt; mais ils nous ouvrent peu d'aperçus sur ses idées dramatiques. Un peu plus intéressante, à cet égard, est la préface des Précieuses ridicules, où l'on a encore accusé l'écrivain de jouer la comédie, en se donnant comme victime d'un complot et en poussant les cris d'un auteur qu'on imprime malgré lui. Elle est bien jolie, bien fine et bien spirituelle, cette préface pleine d'humour; mais il est surtout un point par où elle nous touche : c'est qu'elle pose la règle de la satire permise et marque la limite jusqu'où, selon Molière, elle a le droit de s'avancer. L'écrivain tient à bien y signaler la distinction qu'il a su faire des précieuses... ridicules et de celles qui ne le sont pas; car, avec plus ou moins de sincérité, il semble n'attacher au terme même de « précieuse » aucun sens défavorable. C'est ce qu'il aurait fait plus complètement, nous dit-il, si on lui en avait laissé le temps:

« On me met au jour sans me donner le

loisir de me reconnaître, et je ne puis même obtenir la liberté de dire deux mots pour justifier mes intentions sur le sujet de cette comédie. J'aurais voulu faire voir qu'elle se tient partout dans les bornes de la satire honnête et permise; que les plus excellentes choses sont sujettes à être copiées par de mauvais singes qui méritent d'être bernés; que ces vicieuses imitations de ce qu'il y a de plus parfait ont été de tout temps la matière de la comédie et que, par la même raison que les véritables savants et les vrais braves ne se sont pas encore avisés de s'offenser du docteur de la comédie et du capitan, non plus que les juges, les princes et les rois, de voir Trivelin, ou quelque autre, sur le théâtre, faire ridiculement le juge, le prince ou le roi, aussi les véritables précieuses auraient tort de se piquer lorsqu'on joue les ridicules qui les imitent mal. »

La théorie est simple: elle est, en elle-même, indiscutable. C'est à l'application que la difficulté apparaît. Où finit la « précieuse véritable » ? Où commence la « précieuse ridicule »? Point délicat, sans doute. J'ajoute même qu'il est permis de prêter au futur auteur des Femmes savantes une médiocre sympathie pour les précieuses, véritables ou ridicules. Mais la petite

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